International

Le conflit syrien ou l’impossible construction de l’État moderne

Historienne

Né en 2011 d’un soulèvement populaire, le conflit qui meurtrit la Syrie s’est vu animé par un double processus d’internationalisation et de confessionnalisation de ses enjeux. Difficilement qualifiable, il semble refléter les difficultés rencontrées par le pays pour établir un État moderne, difficultés dans lesquelles s’enracine le succès de l’islam politique au Moyen Orient.

Voilà plus de sept ans maintenant que la Syrie a basculé dans un conflit sanglant. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une organisation proche de l’opposition, il aurait fait à ce jour plus de 350 000 morts dont un tiers de civils et plus de 3 millions de blessés. Quelque 60 000 personnes seraient mortes sous la torture. Avec près de 6 millions de réfugiés dans les pays voisins (Liban, Jordanie, Turquie) ou en Europe, et autant de déplacés de l’intérieur – un syrien sur deux au total –, le pays a vu ses équilibres démographiques durablement modifiés. Le bilan de la guerre n’est pas moins dévastateur pour l’économie nationale qui aurait été ramenée trois décennies en arrière.

La question se pose de la nature d’un conflit dont la barbarie n’a dégale que la complexité. Comment le qualifier ? Certains parlent de soulèvement populaire pacifique sauvagement réprimé par un pouvoir dictatorial disposant de gardes prétoriennes aguerries. D’autres, de guerre civile. A moins qu’il ne s’agisse d’un soulèvement devenu une guerre civile en même temps que d’une guerre régionale par Syriens interposés. L’éphémère printemps de 2011 avait commencé dans les périphéries : Deraa au Sud, plus tard Lattaquié au Nord-Ouest, la région de l’Euphrate à l’Est et les confins syro-turcs, des zones de forte implantation du parti Baas au pouvoir où les révoltés dénoncent l’accaparement des richesses par un pouvoir prédateur et une libéralisation mafieuse de l’économie. Á Deraa, la violence de la répression, qui n’épargne plus désormais les enfants et les adolescents torturés en prison, met le feu aux poudres : le régime a franchi le seuil de l’inacceptable et bafoué la plus élémentaire dignité humaine.

Encadrés par des comités de coordination, les protestations pacifiques se multiplient qui vilipendent la corruption et la tyrannie et en appellent à la chute du régime au nom de la justice et de la liberté. Appels à la grève, manifestations festives ou performances d’artistes voisin


[1] Sur la communauté alaouite voir ci-dessous

[2] Songeons à la démission spectaculaire du général de la Garde républicaine Manaf Tlass fils de l’ancien ministre de la Défense d’Hafez al-Asad, à l’attentat de juillet 2012 qui coûta la vie à de nombreux dirigeants de la Défense comme au responsable de la Sécurité du Palais, Asef Chawkat, le propre beau-frère de Bachar, de la mort mystérieuse de Rustum Ghazalé en 2015, ou de l’exil d’Hafez Makhlouf, cousin maternel du Président et lui aussi haut responsable sécuritaire du régime.

[3] Même si Hafez al-Asad, succédant à l’aile radicale du baas avait associé au pouvoir d’autres partis dans le cadre d’un Front national progressiste qui n’en restait pas moins dominé par le baas et amorcé une timide libéralisation de l’économie.

[4] En Syrie, l’année 1949 fut marquée par trois coups d’état militaires successifs.

[5] ‘asabiyya, notion reprise au penseur maghrébin du XIV siècle Ibn Khaldun qui liait l’émergence des pouvoirs dynastiques urbains à la force de l’esprit de corps clanique ou tribal.

Nadine Picaudou

Historienne, Professeure émérite à l'Université Paris 1

Notes

[1] Sur la communauté alaouite voir ci-dessous

[2] Songeons à la démission spectaculaire du général de la Garde républicaine Manaf Tlass fils de l’ancien ministre de la Défense d’Hafez al-Asad, à l’attentat de juillet 2012 qui coûta la vie à de nombreux dirigeants de la Défense comme au responsable de la Sécurité du Palais, Asef Chawkat, le propre beau-frère de Bachar, de la mort mystérieuse de Rustum Ghazalé en 2015, ou de l’exil d’Hafez Makhlouf, cousin maternel du Président et lui aussi haut responsable sécuritaire du régime.

[3] Même si Hafez al-Asad, succédant à l’aile radicale du baas avait associé au pouvoir d’autres partis dans le cadre d’un Front national progressiste qui n’en restait pas moins dominé par le baas et amorcé une timide libéralisation de l’économie.

[4] En Syrie, l’année 1949 fut marquée par trois coups d’état militaires successifs.

[5] ‘asabiyya, notion reprise au penseur maghrébin du XIV siècle Ibn Khaldun qui liait l’émergence des pouvoirs dynastiques urbains à la force de l’esprit de corps clanique ou tribal.