Les gilets jaunes, objet politique non identifié
Une version antérieure de ce texte a été publiée dans le numéro de janvier-février 2019 (n° 115, p. 77-92) de la New Left Review sous le titre : « An Improbable Movement ? Macron and the Rise of the Gilets Jaunes ».
Il s’agissait pour nous de donner à comprendre à un public international les enjeux d’une mobilisation souvent caricaturée dans les journaux étrangers, à l’instar du New York Times qui, le 15 janvier 2019, comparait la situation en France à « celle des années 1930, quand les ligues fascistes marchaient sur l’Assemblée nationale, menaçant la démocratie française ».
Pour les lecteurs français, familiers de la réalité de notre pays, le seul intérêt, s’il existe, du présent article, qui est une version substantiellement révisée et actualisée, est qu’il tente de proposer une vision d’ensemble, quoique nécessairement inachevée, de ce qui s’est joué entre novembre 2018 et mars 2019. Nous espérons qu’une telle analyse apparaîtra de quelque pertinence à la veille de la convergence des marches des gilets jaunes, contre les violences policières et pour le climat.

Le 22 novembre 2018, cinq jours après le début de ce qu’il est convenu d’appeler le mouvement des gilets jaunes, alors que 2000 routes et ronds-points étaient bloqués dans le pays, que 280 000 manifestants étaient descendus dans les rues des grandes villes, et que 75 % des Français déclaraient soutenir cette protestation, Emmanuel Macron convia des journalistes du Monde à l’Élysée.
L’objet de cette invitation n’était toutefois pas de leur faire part de ses réflexions sur le mécontentement croissant qui s’exprimait dans le pays, mais de leur faire visiter la salle des fêtes du palais présidentiel dans laquelle il avait entrepris d’importants travaux de rénovation. Il leur expliqua que la première dame les supervisait elle-même et vanta son choix d’un « tapis de laine en dégradé de gris » d’un coût de 300 000 euros tissé à la Manufacture royale du Parc d’Aubusson. « Nous sommes à un moment de la vie de l