Rediffusion

Repenser le droit à l’heure de l’Anthropocène

Juriste

Au moment où l’humanité devient une force tellurique capable d’influencer l’avenir de la planète, elle semble impuissante à influencer son propre avenir : tel est le « paradoxe de l’Anthropocène ». Face au présent de l’urgence environnementale, rien ne semble changer dans la vision nationaliste et souverainiste qui sous-tend les systèmes de droit conçus et pensés à partir des États. Seulement, pour s’adapter à cette nouvelle ère, une pensée juridique ouverte, en mouvement et moins dogmatique apparait nécessaire. Rediffusion du 30 janvier 2019

L’Anthropocène est une nouvelle phase de l’histoire où l’espèce humaine deviendrait une force tellurique capable d’interagir avec les autres forces géophysiques et d’entraîner des conséquences durables pour notre écosystème. [1] Ces interactions ont été mises en lumière dans diverses perspectives scientifiques (géologie, sciences de la terre, géographie, climatologie) mais la prise de conscience est plus tardive dans les sciences humaines et sociales. Elle a commencé à atteindre le droit et la philosophie du droit à travers le droit dit « de l’environnement » et se cristallise plus particulièrement autour du dérèglement climatique, mais elle remonte plus loin.

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Les sociétés sont désormais prises dans un mouvement de « collectivisation humaine » (Pierre Teilhard de Chardin) dit mondialisation, ou globalisation si l’on se réfère à la forme sphérique de la Terre. Dès la fin du 18ème siècle Kant fonde sur cette forme sphérique le droit à ne pas être traité en ennemi dans le pays où l’on arrive. Le principe « d’hospitalité universelle » s’impose selon lui parce que la dispersion à l’infini est impossible et que les relations de plus en plus étroites entre les peuples sont portées au point « qu’une violation de droits dans un lieu est ressentie partout». À son époque la planète abritait à peine un milliard d’êtres humains. Deux cents ans plus tard, la population mondiale avait triplé (1 milliard tous les 100 ans). Entre 1950 et 2010, s’ajouteront en soixante ans 4 autres milliards d’êtres humains (1 milliard tous les 15 ans !). Nous avons dépassé les 7 milliards et atteindrons bientôt 8 milliards. Autant dire que nous entrons dans une phase de compression, où le « serrage de la masse humaine » (Pierre Teilhard de Chardin), renforcé par la révolution numérique, accroît les interdépendances entre groupes humains (tribus, États, groupes d’États, entreprises) et plus largement entre les habitants, présents et futurs, humains et non humains, autrement dit entre le


[1] Repenser le droit à l’heure de l’anthropocène est tiré de l’allocution prononcée par Mireille Delmas-Marty en introduction du colloque international « Agir en justice au nom des générations futures » qui s’est tenu en 2017 à l’Univerité de Caen-Normandie.

[2] Ph. Descola, « Critique de l’anthropocentrisme », in L’environnement et ses métamorphoses, Hermann 2016 ; Par de-là nature et culture, Gallimard, 2005.

[3] K. Martin-Chenut, in L’environnement et ses métamorphoses, Catherine Bréchignac, Gabriel De Broglie, Mireille Delmas-Marty (dir.), Hermann, 2015.

Mireille Delmas-Marty

Juriste, Professeure honoraire au Collège de France

Notes

[1] Repenser le droit à l’heure de l’anthropocène est tiré de l’allocution prononcée par Mireille Delmas-Marty en introduction du colloque international « Agir en justice au nom des générations futures » qui s’est tenu en 2017 à l’Univerité de Caen-Normandie.

[2] Ph. Descola, « Critique de l’anthropocentrisme », in L’environnement et ses métamorphoses, Hermann 2016 ; Par de-là nature et culture, Gallimard, 2005.

[3] K. Martin-Chenut, in L’environnement et ses métamorphoses, Catherine Bréchignac, Gabriel De Broglie, Mireille Delmas-Marty (dir.), Hermann, 2015.