Qu’est-ce que le « marketing littéraire » ?
Flux tendu des publications, tir nourri des éditeurs. Ma crainte : qu’ils se dotent bientôt de bombardiers. Je songe à aménager ma cave.
Eric Chevillard
Pourquoi et comment les techniques de storytelling, autrefois cantonnées à la littérature de genre, sont-elles en passe de donner le ton à l’ensemble de la production littéraire, misérablement réduite au seul genre du roman ? Comment et depuis quand le nom d’auteur glisse-t-il vers le statut d’une « marque » commerciale ? Pourquoi les médias cherchent-ils à montrer les écrivains « en personne », en privilégiant le plus souvent les « belles gueules[1]» ? Autrement dit, quand la vie littéraire est massivement surdéterminée par l’exigence commerciale et médiatique, qu’en résulte-t-il pour les autrices et les auteurs ?
Pour mieux saisir les effets de l’alignement de la littérature sur les grandes industries culturelles (cinéma, jeux vidéo et musiques actuelles), il faut ouvrir la focale. Décrire à la fois les mutations de l’édition, celles de l’univers médiatique et enfin celles de l’image des auteurs sur la scène publique, en passe d’être réduits au statut de ce que l’écrivain Dominique Poncet appelle « caniches de concours ». Il s’agit de décrire ce que Gilles Deleuze nommait le « marketing littéraire » sur la création actuelle, notamment l’énorme gâchis éditorial qui voit se côtoyer des ouvrages sans intérêt, formatés ou imités, et des ouvrages invisibles ou mort-nés (parfois de qualité)[2].
Depuis les années 1990, les logiques néolibérales ont pénétré l’ensemble de la chaîne du livre qui s’est concentrée, suite à de nombreuses fusions, dans quelques méga-groupes éditoriaux privés. En termes techniques, les économistes parlent d’un « oligopole à franges » : en France, la montée de mastodontes éditoriaux (Hachette, Editis, Madrigall) est concomitante à « une accentuation de la best-sellerisation ». Elle s’accompagne aussi de l’affaiblissement de la production médiane et de la marginalisation des formes expérimentales valorisées jadis par les avant-gardes. À cette évolution, nombre d’anciens défenseurs des avant-gardes, comme Philippe Sollers, ont réagi par une adaptation de leur dispositif d’écriture dans le sens d’une plus grande lisibilité.
D’autres, comme le romancier Jean-Marc Lovay, n’ont fait aucune concession à ces attentes, acceptant le risque de perdre bien des lecteurs. Il est significatif, à mon sens, qu’un auteur comme Pierre Guyotat, symbole de l’avant-garde des années 1960 (Tombeau pour cinq cent mille soldats, 1967) obtienne en 2018 le Prix Médicis pour un roman autobiographique, Idiotie, présenté par Le Monde comme « l’un [de ses] textes les plus accessibles » et désormais publié chez un éditeur de tradition commerciale, Grasset.
Selon l’enquête d’Olivier Donnat (2018), entre 2007 et 2016, le nombre de nouveaux auteurs a augmenté de 36 %, de même que sont apparues de nombreuses petites maisons d’édition, mais on assiste à un émiettement global des ventes avec une diminution d’un tiers du nombre moyen d’exemplaires vendus par livre. La production dite médiane (celles d’ouvrages vendus entre 10 000 et 99 000 exemplaires, susceptibles d’assurer un revenu professionnel aux auteurs), s’est quant à elle affaissée de 15 %. Dans le même temps, la part des ventes des ouvrages à très grand succès a continué d’augmenter pour atteindre les 38 %.[3]
Si les ventes de littérature générale se maintiennent globalement depuis 2007, malgré un reflux sensible de la catégorie des « forts lecteurs » et l’impact de la numérisation, c’est par un jeu de rééquilibrages internes au secteur : le recul de ventes des classiques (soit les ouvrages publiés avant le XXe siècle) se trouve compensé par le succès de romans contemporains désignés comme feel good books et liés au secteur en expansion du « développement personnel » ou « bien-être » (self-help).
Aux grands groupes éditoriaux qui se partagent une large part du marché s’ajoute l’émergence de nombreuses maisons d’édition de petite taille dont la survie est limitée et qui contribuent à multiplier l’offre en librairie sans pour autant parvenir à développer leurs ventes. Nombre de celles-ci tendent à se replier sur des niches thématiques ou communautaires, liées à des publics spécifiques (comme les presses universitaires, la littérature religieuse ou ésotérique, etc.). D’après les chiffres de Donnat (2018), l’immense majorité des nouvelles publications de ces petites maisons n’atteignent pas les 100 exemplaires vendus.
De là, on peut craindre une uniformisation de la production littéraire soumise à un unique modèle commercial, réglée au flair monologique de taste-makers (critiques ou agents littéraires), voire bientôt par simples algorithmes. Gérard Genette décrit ainsi le dispositif :
« Yves Michaud, philosophe de tous les savoirs, qualifie la catégorie des best-sellers, en principe purement commerciale, de “genre littéraire”. Cette désignation désinvolte, et même un peu cynique, est plus pertinente qu’elle ne semble d’abord. Chacun – à commencer par les éditeurs – sait que le succès, en ce domaine, ne procède pas de recettes que l’on pourrait appliquer d’avance, ni même inférer après coup, comme les règles codifiées d’un genre classique : Umberto Eco, théoricien pourtant fertile, n’a jamais prétendu “expliquer” celui du Nom de la rose par quelque raison singulière, et encore moins par une loi générique. Ce que signifie pour moi l’annexion catégorielle opérée, peut-être en passant, par Michaud, c’est qu’en littérature comme ailleurs les “genres” sont souvent de constitution, et donc de définition, plus sociologique qu’artistique.
Pour le “grand public” ici concerné, les best-sellers partagent bien un trait générique, qui n’est ni formel ni thématique, mais qui consiste tout bonnement dans leur succès. Ce trait est évidemment rétrospectif, et glorieusement incertain, comme les performances sportives, mais il n’est pas totalement aléatoire, puisqu’il suffit à l’éditeur (ou à ses agents de communication) de “faire savoir” au plus vite (mais pas “trop” vite) que des milliers voire des millions de lecteurs (de spectateurs, d’auditeurs…) ont aimé ce livre (ce film, ce disque…), qui figure déjà sur “toutes les listes des meilleures ventes”. Les “nouveaux” lecteurs ainsi suscités savent alors parfaitement ce qu’ils achètent : le succès lui-même, en lui-même et pour lui-même. Ce n’est jamais trop cher payé.»
Sous le regard ironique de Genette, le best-seller s’avère avant tout une réussite publicitaire et engage donc un cercle vertueux : tel livre attire l’acheteur parce que certains proclament par avance qu’il se vend. Et parce que d’autres rappellent qu’il s’est abondamment vendu : l’édition italienne du Livre des Baltimore de Joël Dicker, publiée par La Nave di Teseo, porte ainsi en bandeau rouge la mention : Un milione di copie in Francia. C’est l’affaire immémoriale du désir mimétique, dans sa version consumériste. L’éditeur Bernard Grasset avait évoqué ce jeu d’anticipation dès les années 1950 en définissant la publicité littéraire comme « l’audace de proclamer acquis ce que l’on attend[4]». Et que lit-on dans l’incipit de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert ? : « Tout le monde parlait du livre [de Marcus Goldman] ». Et plus loin, ceci : « Personne ne sait qu’il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent. » (p. 63)
Autrement dit, les questions du succès du livre et de la reconnaissance consécutive de l’écrivain sont logées au cœur même de la fable : l’intrigue de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert est en quelque sorte construite comme la prophétie auto-réalisatrice de son succès commercial. Le roman de Dicker confronte deux écrivains, Marcus Goldman, couronné de succès pour son premier livre mais désormais en panne d’idées, et son ancien professeur, Harry Quebert, auteur d’un best-seller intitulé L’origine du mal, soupçonné d’avoir assassiné une jeune fille de quinze ans dont il était épris.
Comme le best-seller de Quebert, l’intrigue de Dicker raconte (en abyme) le processus de marketing qui l’a fait connaître. Le discours sur la littérature porté par le roman relève d’ailleurs d’un même imaginaire du succès : mystique de l’inspiration ; aura érotique de l’écrivain ; célébration des pouvoirs de la littérature et des bienfaits de celle-ci dans les vies ordinaires. Version également pieuse et assez voisine dans La Vie secrète des écrivains (2019) de Guillaume Musso, qui met en scène un jeune auteur souvent refusé par les éditeurs, « ces gestionnaires de la littérature qui lisent les textes à travers le prisme d’un tableau Excel », et son admiration pour un aîné intègre, Nathan Fawles, retiré du monde après avoir renoncé à la littérature (ce personnage est un agrégat de Philip Roth, Elena Ferrante et Thomas Pynchon, tous rétifs à l’exigence médiatique)[5].
Dans ces deux cas, les valeurs de gratuité, centrales dans une conception autonomiste de la littérature, deviennent celles-là mêmes au nom desquelles justifier la grande production ! Dans le monde de la « com’ », on n’est pas à un paradoxe près. Et cette profession de foi bénigne en la littérature permet aussi d’assurer la jonction entre l’enthousiasme d’un Marc Fumaroli de l’Académie française et celui des lecteurs les plus ordinaires. Une fois posé comme un interprétant universel de la vie humaine, le roman mérite d’être vendu en grandes quantités, sans être soupçonnable d’obéir aux seuls intérêts du commerce. La littérature comme réparation du monde, comme lieu du « care » et de l’attention à l’autre, n’est-ce pas là un des topoï indiscutés de notre époque ?
Les « trucs » narratifs sous la loupe
Dans The Best-seller code, paru en 2016, Jodie Archer, ancienne éditrice de Penguin, et Matthew Jockers, chercheur au Stanford Literary Lab, ont établi l’algorithme propre aux 20 000 best-sellers des listes du New York Times, durant ces trente dernières années. À partir de ces données chiffrées, ils identifient cinq ressorts principaux communs à ce type d’ouvrages. Notons que leur propos s’énonce sur un mode normatif :
1. Ces ouvrages traitent trois ou quatre thèmes prédominants sur au moins un tiers du livre. D’autres thèmes sont bienvenus, mais s’en tenir aux thèmes principaux est essentiel.
2. Parmi ces thèmes, celui de l’intime, de la chaleur humaine, de l’empathie, est le plus important. Les contextes : vie domestique, enfants, nouvelles technologies, mariage, mort et même les impôts… Le sexe est très peu présent, du moins jamais dominant.
3. Le rythme et la lecture frénétique (la tension narrative) : il s’agit de susciter des émotions, et surtout les alterner : espoir – déception – espoir. 50 Shades of Grey ou Da Vinci Code fournissent l’exemple de cette succession de creux et de bosses émotifs qui rythment le récit.
4. Pas de formules alambiquées et de mots rares. Un style peu formel, des phrases courtes, un langage de tous les jours. Un mot aussi banal que « thing » apparaît six fois plus souvent dans un best-seller que dans un autre livre. (Parmi les 491 mots les plus fréquents, on trouve surtout « thing », « okay », « to do » et « very »…).
5. Des personnages actifs. Les auteurs ont constaté que des verbes comme « grab, do, think, ask, look, hold, love…» revenaient fréquemment. Dans les livres qui se vendent peu, on trouve des verbes plutôt passifs : « need, want, miss… » Agir et non pas subir. « Je pense, donc j’agis » plus que « je souhaite, donc j’attends ».
De même, les intrigues de ces ouvrages suivent, selon les auteurs, sept schémas généraux, traités le plus souvent en trois parties :
1. Un mouvement progressif d’une période difficile vers une période heureuse (Blanche-Neige).
2. Un mouvement progressif d’une période heureuse vers une période difficile (Le Diable s’habille en Prada).
3. Le schéma du roman initiatique, ou le parcours de la misère à la richesse (Cendrillon, Jane Eyre de Charlotte Brontë).
4. La renaissance : les personnages principaux vivent un changement, une transformation (Wolf Hall de Hilary Mantel, Le Fléau de Stephen King).
5. Le voyage et le retour (Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift).
6. La quête (Les Versets sataniques de Salman Rushdie, Les Corrections de Jonathan Franzen).
7. Vaincre le monstre : un héros doit défendre quelqu’un ou quelque chose contre un danger qui le menace (Harry Potter de J.K. Rowling).
La limite d’une telle analyse tient à son parti-pris d’en rester à l’étude interne du récit. Seule l’intrigue est prise en compte. Or, d’autres facteurs, externes interviennent ou surdéterminent la recherche du succès (l’éditeur, l’agent, la presse, la publicité, etc.). Les travaux d’Eva Illouz (2014) et du sociologue américain Michael Schudson (1989) comblent cette lacune en décrivant en détail le processus de consécration. Schudson identifie cinq facteurs de viralité d’une idée :
1. L’accessibilité.
2. La force rhétorique.
3. La résonance (soit la pertinence aux yeux du public).
4. L’institutionnalisation (son inscription dans des cadres comme l’école, les examens, les bibliothèques, les forums et réseaux sociaux, etc.).
5. L’incitation à l’action (certaines idées sont directives, elles engagent à agir).
Sur le plan éditorial, Eva Illouz distingue quant à elle deux phases et deux types d’intérêt pour le best-seller, à partir de Cinquante nuances de Grey :
1. Le décollage des ventes relève d’un premier public motivé. Dans le cas de Cinquante nuances de Grey, cela s’est d’abord passé sur internet, dans les forums, etc.
2. Une fois l’ouvrage présent dans les listes de best-sellers, émerge un second public conquis par les articles, reportages et émissions. L’achat du volume est alors motivé par une « dynamique consumériste faite d’imitation et de distinction[6]».
En examinant de près le processus de diffusion de ce roman, l’historien Jean-Yves Mollier déclare révolue l’ère de la prescription par la critique littéraire :
« L’exemple de Fifty Shades of Grey qui totalise aujourd’hui plus de 130 millions d’exemplaires vendus montre en effet qu’une romance érotique, d’abord publiée sur des sites de fanfiction […] peut à elle seule occuper une telle place sur le marché de la littérature générale qu’elle réduit à une peau de chagrin l’espace disponible pour les autres fictions. Si l’on regarde le classement des trois meilleures ventes de livres en France en 2014, on s’aperçoit que Merci pour ce moment a occupé la première place, tandis que les deux premiers tomes de Cinquante nuances de Grey s’installaient au deuxième et troisième rang.
On peut hausser les épaules et se contenter de rejeter loin de son regard ces livres qui seront sans doute vite oubliés, mais Girl Online et tous ces romans auto-édités qui font les délices des clients d’Amazon sont là pour prévenir que le temps où les critiques littéraires des grandes revues et des journalistes sérieux faisaient l’opinion et dictaient une partie des achats des lecteurs est révolu. Ni Le Monde ni Télérama ni les grands hebdomadaires, et encore moins les revues papier ne sont plus capables d’orienter les achats des lecteurs, y compris cultivés, et Bernard Pivot lui-même n’aurait sans doute plus le même public si son émission phare existait encore. »
Eva Illouz interprète de son côté Cinquante Nuances de Grey comme une intrigue qui entre en résonance avec la structure sociologique des relations hommes-femmes au stade actuel du capitalisme : dans l’intrigue, la tension entre relation amoureuse investie et jeux sado-masochistes reproduit les situations d’injonctions sociales contradictoires (au mariage, à la fidélité, à la liberté, à la réalisation de soi ou à la découverte du nouveau). À cette dialectique des valeurs et les modes de vie, le roman propose des issues symboliques.
Ce n’est pas la première fois que le roman fait office de laboratoire pluraliste des valeurs, notamment intimes. Ainsi, entre 1780 et 1860 environ, le roman européen a longuement pris en charge les paradoxes intimes résultant du passage du mariage d’intérêt au mariage d’amour (Rousseau, Austen, Goethe, Stendhal, Flaubert).
Formes du « capitalisme artiste »
Revenons à l’impact du dispositif nommé best-seller. Que fait le palmarès des « meilleures ventes » à l’activité littéraire en général ? Ces listes, généralisées dans la presse, sont désormais produites de manière totalement automatisée. À l’heure où, dans l’abondante production éditoriale, n’accèdent au grand public que les livres ayant passé par une soigneuse préparation médiatique, le rôle de cette sélection ne peut être négligé. L’accès à une large audience dépend de plus en plus de la capacité à faire résonner dans les médias l’auto-proclamation du succès commercial.
La réputation conférée par l’avis des pairs, le bouche à oreille du milieu culturel, la recommandation des revues spécialisées, tout cela, qui constituait la logique d’autonomie (et parfois de clôture sur soi) des pratiques littéraires, se voit concurrencé par des méthodes de communication issues directement de modèles du marketing industriel. Dès lors que le palmarès des « meilleures ventes » fonctionne comme critère de classement (le top 50 en musique pop) et indicateur médiatique, le succès commercial apparaît alors comme un fait objectif, indépassable, pour tout dire non argumentable. Interroger ce critère, c’est prendre le risque d’être perçu comme élitiste ou arriéré.
Ces métamorphoses de la production et de l’évaluation de la littérature s’inscrivent dans le cadre plus large d’un « capitalisme artiste » que Gilles Lipovetsky et Jean Serroy datent justement de la fin des années 1980 dans leur ouvrage L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste. Il s’agit d’un « système qui produit à grande échelle des biens et des services à finalité commerciale mais chargés d’une composante esthétique-émotionnelle, qui utilise la créativité artistique en vue de la stimulation de la consommation marchande et du divertissement de masse. »
Selon eux, l’art aurait renoncé peu à peu à son autonomie esthétique, si précieuse durant les deux siècles précédents : il se trouve dès lors intimement associé au système commercial du divertissement (entertainment). Le terme d’« économie créative », désignant le rôle auxiliaire de l’offre artistique dans des secteurs économiques comme le tourisme ou l’urbanisme, par exemple, s’est peu à peu imposé.
Les industriels intègrent ainsi l’art comme créateur de désir dans un marché difficile, notamment au sein d’une « économie de l’enrichissement » fondée sur le luxe, dont Luc Boltanski et Arnaud Esquerre décrivent le développement actuel. Rémy Rieffel prévoyait (en 2005) que la montée des logiques commerciales allait accentuer la personnalisation et la peopolisation de l’édition et de la presse culturelle. La mise en valeur de la personne avant l’œuvre vise en effet à élargir les publics potentiels.
Ainsi explique-t-il dans son ouvrage Que sont les médias ? que les formes contemporaines de la célébrité médiatique « inverse[nt] l’ordre habituel des grandeurs puisque le plan de la vie publique est privilégié au détriment de la vie littéraire et de la création proprement dite. Les médias attirent en effet l’attention non sur des œuvres mais sur des ouvrages ponctuels, restreints dans leur diffusion à la temporalité de l’activité éditoriale immédiate. » (p. 334)
Les sphères artistique, économique et financière s’interpénètrent de sorte qu’il devient peu aisé de différencier l’art industriel de l’art pour l’art, le succès commercial du prestige symbolique, les effets de mode des innovations. Dans ce contexte, le prestige accordé autrefois à des œuvres jugées « grandes » selon les critères des pairs n’a plus guère de poids dans la vie publique. Rémi Rieffel le constatait déjà il y a plus d’une décennie :
« [Il] est incontestable que les médiateurs et les marchands (les journalistes et les financiers) ont à l’heure actuelle davantage de poids sur la vie culturelle que les mandarins (les savants, les écrivains et les artistes), et que la balance entre ces deux mondes semble pour le moins inégale. » (p. 328)
NDLR : Ce texte est composé d’extraits d’un essai de Jérôme Meizoz, Rudiments de marketing littéraire, à paraître en 2020.