Extension du domaine du tri
À l’occasion de la crise sanitaire liée au Covid-19, beaucoup découvrent les notions de priorisation en santé et de triage des patients, notamment à travers les témoignages de médecins urgentistes, réanimateurs ou exerçant en EHPAD, qui décrivent que, du fait de la pénurie de moyens humains et matériels, l’accès à la réanimation a été refusé, dans plusieurs régions, à des personnes atteintes du coronavirus et âgées de plus de 75 ans.
Pour les personnes vulnérables et dépendantes de la médecine, ou qui ont un parent dans cette situation (parce qu’il est âgé, atteint d’une ou de plusieurs maladies graves ou chroniques, de troubles mentaux, d’un handicap, etc.), la surprise, la peur et l’indignation sont profondes. S’il est connu qu’il n’existe pas d’égalité effective dans l’accès aux soins – en fonction des territoires, des catégories socio-professionnelles, des vulnérabilités cumulées –, il est difficile d’imaginer, a fortiori d’accepter que soient prises des décisions de priorisation (donc de sélection et d’exclusion) de patients pour l’accès à des soins vitaux, en vue d’optimiser l’utilisation de ressources médicales pour le bien collectif.
Le malaise éthique est d’autant plus grand qu’il surgit dans une société qui prône l’égale dignité des vies et dont le système de santé était censément robuste et préparé. Il ne s’agit ni de nier, ni même de tenter de réduire ce malaise éthique légitime, mais de comprendre en quoi le triage (ou le tri – les deux termes s’équivalent) est une opération rationnelle dont la visée est précisément éthique et, ensuite, d’interroger les raisons de l’extension actuelle du domaine du tri.
Le triage constitue une réflexion et une pratique éthiques, premièrement, parce qu’il vise, en situation de rareté, la distribution des ressources la plus juste possible. Et, pour cela, il donne moins de poids au principe éthique de l’égalitarisme qu’à celui de l’utilitarisme : alors qu’en temps ordinaire, la priorité dans l’accès aux soins es