Prévoir ou expliquer : le dilemme de la modélisation de l’épidémie
Dans la période où la France entrait en confinement, on a pu observer une certaine agitation dans la communauté des chercheurs en simulation agents. Un grand nombre de modèles anticipant la contagion sont apparus dans les médias. Certains ont été utilisés pour « expliquer » l’épidémie au public, et celui qui a eu le plus de succès dans ce sens est celui du Washington Post. D’autres ont été utilisés pour tenter de prévoir l’évolution de la situation afin d’aider les décideurs publics. Le modèle qui a le plus influé sur les politiques européennes du moment est celui proposé par l’Imperial College à Londres : c’est sur la base de ses prédictions que les confinements des différents pays ont été décidés.
Les discussions ont été vives principalement parce que les praticiens savent combien leurs modèles, dits complexes, sont sensibles à de petites modifications d’hypothèses. En sus, comme pour tout modèle calculatoire, les résultats ne peuvent pas être plus certains que leurs hypothèses. En conséquence, la prédiction, en temps réel et pendant une crise, où les données sont rares et où peu de connaissances sont solidement établies, ne semble pas vraiment relever du champ du « scientifique ».
C’est d’ailleurs ce qui a dérangé principalement les chercheurs : on a ainsi pu voir apparaître sur internet une pétition demandant à ce que les codes des modèles qui aident aux décisions soient rendus publics, afin que chacun puisse juger de la pertinence des résultats. En parallèle, des initiatives collectives à but pédagogique ont été mises en place, qui se proposent de répondre aux questions ouvertes du public.
Pour saisir les enjeux de cette controverse devenue publique, il est utile de comprendre la logique des travaux qui sous-tendent chacun des types de modélisation en usage. Chacun pourra alors juger si « la science » dans son ensemble, ou seulement une vision d’experts parmi d’autres, a soutenu la décision d’organiser un confinement général.