La république et la politique du troupeau
Un conseiller du Premier ministre britannique, Dominic Cummings, partisan de l’immunité collective, pris en flagrant délit de violation du confinement. Une série de manifestations d’extrême-droite aux États-Unis, en Espagne, en Allemagne qui bravent le lock-down au nom de la liberté individuelle. Mais aussi, à l’autre pôle, qu’il s’agisse d’Alain Damasio dans des interviews percutantes ou du philosophe Giorgio Agamben, un scepticisme affiché sur la gravité de l’épidémie et l’hostilité envers la politique de quarantaine.
L’horizon politique est tout autre, la convergence est fortuite, mais elle révèle un véritable désarroi dans les rangs de la gauche sociale et écologique : l’épidémie n’est-elle pas le prétexte tout trouvé pour soumettre entièrement les individus à l’État et éliminer le peu de liberté qu’il leur reste ? Peut-on pour autant les exposer au risque viral, sans basculer dans une sélection naturelle qu’on serait plutôt tenté d’attribuer à l’adversaire néolibéral ?
Pour lever ce dilemme moral, on suggère que la menace sur nos libertés individuelles réside moins dans le confinement que dans la dépossession politique générale dont il n’est que le symptôme. Défaire ce paternalisme autoritaire qui nous traite en troupeau irresponsable, c’est rebâtir les conditions de la liberté : celle-ci passe par la reconquête populaire de la chose publique.
L’horizon éco-socialiste et ses obstacles
Revenons d’abord brièvement sur le lien entre crise sanitaire et dynamique du capitalisme. Les archéologues objecteront sans doute que les grandes « tempêtes épidémiques » sont probablement aussi anciennes que le néolithique[1]. Les spécialistes d’histoire environnementale, que la mondialisation des épidémies remonte au moins au XVIe siècle avec la contamination des populations amérindiennes par les Européens. Toutefois, ils ont aussi montré que l’âge industriel nous a fait basculer vers un « Anthropocène fort » (ou, selon les points de vue, un « Capitalocène ») et fran