Covid-19 et politiques énergétiques : choc majeur ou déstabilisation mineure ?
Le 27 mai 2020, la Commission Européenne a présenté les contours d’un plan de relance de 750 milliards d’euros (répartis entre dotations et prêts). Si son « degré d’ambition écologique demeure encore incertain » (Institut Veblen), l’accélération du « Green Deal », ou « Pacte vert », constitue l’un des axes annoncés comme prioritaires tandis qu’il est envisagé d’introduire une taxe carbone aux frontières de l’UE pour pénaliser les importations de produits fabriqués par des industries polluantes et rembourser une partie des emprunts liés à ce plan de relance.
Le 15 juin 2020, le pétrolier britannique BP annonce la dépréciation de 17,5 milliards de dollars d’actifs pétroliers, anticipant que les conséquences de la pandémie accélèreront le rythme de la transition vers une économie et un système énergétique à plus faible intensité carbone. Le 22 juin 2020, l’agence de notation Standard & Poor’s dégrade la note d’EDF de A- à BBB+.
La veille, la Convention citoyenne pour le Climat (CCC), initiée à la suite du mouvement des Gilets jaunes et composée de 150 citoyennes et citoyens, a voté 149 propositions qui « s’inscrivent dans la droite ligne des dizaines de tribunes et autres appels publiés ces dernières semaines par certains syndicats, ONG, parlementaires, partis, entreprises, scientifiques et intellectuels, exhortant à transformer nos modes de développement pour les rendre plus soutenables et solidaires » (Florent Gougou et Simon Persico). Parmi ces propositions, on trouve notamment un moratoire sur l’activité industrielle minière en Guyane, l’introduction d’une taxe de 4 % sur les dividendes distribués au-delà de 10 millions d’euros pour financer la transition écologique ou encore le soutien à une « production, un stockage et une redistribution d’énergie pour et par tous ».
Si « l’atterrissage politique de la Convention citoyenne » reste à déterminer, le timing de publicisation de ses propositions pose la question des effets d’interaction avec les faits évoqués précédemment. Ces effets d’interaction pourraient jouer un rôle dans la trajectoire des propositions de la CCC. Prendre en compte ces effets c’est prendre au sérieux le fait que, comme l’explique le politiste américain Paul Pierson, si deux événements d’un même processus se déroulent à un même moment historique, les résultats peuvent être très différents que si ces événements avaient été temporellement séparés.
Cette dimension interactive entre action publique, stratégies et viabilités économiques d’acteurs établis de l’énergie et participation citoyenne prend une tournure particulière dans le contexte de la pandémie du Covid-19. Cette dernière peut être envisagée comme un « événement catalyseur et focalisant relativement rare, arrivant soudainement, défini comme nuisible ou révélant la possibilité de préjudices futurs potentiellement plus importants et connu des décideurs et du public simultanément » (Thomas Birkland). Appréhender « l’épisode Covid-19 » comme un événement catalyseur et focalisant soulève un enjeu intéressant : celui des « effets » potentiels de la « crise du coronavirus » sur les secteurs énergétiques, leur organisation et les politiques publiques qui les gouvernent.
« L’épisode » Covid-19 constitue-t-il un choc majeur aux effets durables ou une déstabilisation mineure aux effets temporaires ? Pour tenter de répondre à cette question, trois pistes seront explorées ici : d’abord le Covid-19 comme perturbation externe absorbée, puis comme accélérateur de tendances préexistantes, et enfin comme moment carrefour. Pour saisir les « effets potentiels » du Covid-19 en matière d’énergie, il est nécessaire de prendre en compte plusieurs dimensions : les rapports de pouvoir, les idées, les instruments de politique publique, les institutions articulées au sein d’un arrangement institutionnel et politique durable, le régime de politique publique.
Le Covid-19 comme perturbation externe absorbée
« Dans un secteur aussi fermé que celui de l’électricité, les occasions d’ouverture ne peuvent provenir que de crises ou d’événements externes qui viendraient déstabiliser la politique existante ». Formulée il y a sept ans par le politiste français Aurélien Evrard, cette analyse met en évidence la fermeture des secteurs énergétiques et le rôle que peuvent jouer des chocs externes dans la déstabilisation des politiques les gouvernant.
L’épisode Covid-19 constitue un choc exogène considérable en matière d’énergie. D’après le dernier rapport de l’AIE, les demandes énergétiques moyennes des pays en confinement total et partiel ont décliné respectivement de 25 et 18% par semaine. Ce document projette également une baisse de cette demande sans précédent depuis soixante-dix ans et sept fois plus élevé que suite à la crise financière de 2008 pour le restant de l’année 2020.
Cette baisse de la demande a entraîné des baisses de prix sur les marchés d’échange comme la Bourse Européenne de l’Electricité Epex Spot, qui ont déjà impacté les revenus des différents acteurs du secteur : les producteurs, les fournisseurs et les gestionnaires de réseau. Ces revenus seront probablement aussi affectés par de potentiels décalages de paiement de factures d’entreprises et de ménages en difficulté suite au ralentissement économique produit par le Covid-19.
Ces éléments conjoncturels éclairent le présent mais ne présagent pas du futur. Le ralentissement évoqué n’a été et ne sera peut-être qu’une perturbation externe de court terme. Si c’est le cas, celle-ci pourrait être absorbée par les acteurs établis comme EDF pour plusieurs raisons : cet opérateur est internationalisé, présent dans l’ensemble de la chaîne de valeur de l’électricité et dispose d’un fort pouvoir d’influence en France, véritable veto player des politiques énergétiques.
Ainsi, à l’image du récent prêt de 7 milliards d’euros à l’entreprise Air France, il est probable qu’en cas d’effets négatifs de l’épisode Covid-19, EDF soit en capacité de mobiliser l’intervention étatique pour atténuer ces effets et préserver la continuité de son modèle productif. À l’inverse, des challengers comme le fournisseur coopératif Enercoop, pourraient être plus fortement fragilisés, du fait de son poids politique moins important au sein du secteur énergétique français.
Toutefois, même pour des poids lourds comme l’opérateur historique français, les effets du Covid-19 pourraient être durables et d’ampleur importante comme le suggère un communiqué de presse d’EDF du 14 avril 2020 : « Les perturbations économiques provoquées par l’actuelle crise sanitaire induisent une baisse de la demande d’électricité ainsi que des répercussions importantes sur de nombreuses activités du groupe, notamment la production nucléaire (…) En conséquence, le Groupe EDF retire l’ensemble de ses objectifs financiers pour 2020, le moment Covid-19 pourrait constituer un accélérateur de tendances préexistantes ».
Dix jours plus tard, l’agence de notation Moody’s a abaissé la perspective de la dette d’EDF de « stable » à « négative » avec le risque potentiel d’une hausse des taux pour les futurs emprunts. Aussi, en cas d’effets durables et conséquents de l’épisode Covid-19, ce moment pourrait bien prolonger et amplifier des dynamiques précédemment amorcées.
Le Covid-19 comme accélérateur de tendances préexistantes
Parmi les tendances pré-Covid-19 en matière d’énergie, le désinvestissement dans les énergies fossiles est une dynamique balbutiante mais à suivre de près. D’après l’organisation étasunienne 350, coordinatrice d’une campagne mondiale en faveur de ce désinvestissement, 181 institutions (universités, fonds de pension et retraite de collectivités locales, entreprises…) s’étaient engagées à désinvestir 50 milliards de dollars actifs financiers soutenant directement ou indirectement ce type d’énergies en 2014. En 2019, 1 115 institutions avaient effectué ce type d’engagement pour un montant de 11 500 milliards de dollars d’actifs financiers.
Dans cette perspective, l’épisode Covid-19 pourrait être un levier d’accélération de ce désinvestissement pour plusieurs raisons. Les incertitudes créées par les chocs pétroliers des années 1970 avaient fragilisé les manières d’effectuer des prévisions : le moment Covid-19 pourrait fragiliser la prospective au sujet d’énergies intégrées dans des chaînes globales de production comme le pétrole ou le charbon et amener plusieurs acteurs du secteur à se projeter via des scénarios avec des énergies « moins globalisées » comme l’éolien ou le photovoltaïque. La catastrophe nucléaire de Fukushisma en 2011 a été une ressource pour les partisans d’une accélération du tournant énergétique (Energiewende) en Allemagne : le Covid-19 pourrait créer un cadre propice à la mise à l’agenda de politiques énergétiques avec une part réduite d’énergies fossiles (charbon, pétrole) et fissiles (nucléaire).
L’accélération de tendances préexistantes envisagée ici est en partie dépendante des instruments de politique publique qui seront mobilisés et en particulier les instruments économiques et fiscaux. Le contexte de fragilisation de l’activité économique que représente le moment Covid-19 est propice à l’expression des rôles producteurs et redistributeurs de l’État. Les plans de relance et différentes subventions, déjà évoqués depuis quelques semaines et qui vont être au cœur des débats politiques des mois à venir, seront un formidable poste d’observation de l’accélération, du ralentissement ou de l’exclusion de tendances préexistantes. On peut par exemple supposer que les États pourraient conditionner l’octroi de licences bancaires et le versement d’aides financières au retrait d’investissements de secteurs fossiles, fissiles et au soutien aux énergies renouvelables.
Les subventions et en particulier celles aux énergies fossiles sont une manne financière conséquente : elles représentaient un total mondial de 300 milliards de dollars en 2017, environ 8 milliards d’euros en France. Cette manne est considérable et considérée : réorienter l’allocation de ces subventions impacterait directement des intérêts sectoriels puissants qui ne resteront pas passifs si cette réorientation est mise en délibération. L’épisode Covid-19 pourrait ainsi créer un momentum pour l’utilisation de nouveaux instruments ou l’évolution d’anciens dispositifs et amplifier le désinvestissement dans les énergies fossiles. Cependant, ce moment n’est pas à lui seul un vecteur de transformation, isolé des rapports de pouvoirs, des institutions, des idées et des instruments préexistants. Ses potentiels effets sur les politiques énergétiques pourraient être d’autant plus importants si cet épisode Covid-19 se combinait avec d’autres facteurs pour constituer un « moment carrefour ».
Le Covid-19 comme moment carrefour
Confluence de facteurs qui perturbent l’équilibre économique ou politique existant dans la société, les moments carrefours sont des moments d’indétermination structurelle où des acteurs motivés influencent la prise de décision d’une manière plus forte que ne le permettent les circonstances normales.
L’épisode Covid-19 pourrait être apparenté à un tel phénomène s’il était accompagné de plusieurs facteurs tels qu’un choc électoral majeur favorable aux partisans des énergies renouvelables, un mouvement social de forte ampleur concernant les politiques énergétiques, la formation de nouvelles coalitions défavorables aux arrangements préexistants, l’amplification d’un « activisme d’actionnaires » de grandes entreprises énergétiques contestant les investissements dans les énergies fossiles et fissiles via des résolutions aux conseils d’administrations.
La combinaison d’un choc exogène comme le Covid-19 et d’un choc électoral est notamment illustré par le cas danois. Jusqu’au milieu des années 1970 et comme beaucoup de pays d’Europe Occidentale, le Danemark était fortement dépendant des énergies fossiles pour sa production électrique. Dans un premier temps, l’énergie nucléaire est envisagée comme une option permettant d’atténuer la dépendance au pétrole. Cette option était soutenue par les grandes entreprises électriques et les principales formations politiques danoises comme Venstre (centre-droit) et le Socialdemokraterne (Social-Démocrate).
Une autre option est toutefois défendue par une « coalition coopérative » qui regroupe notamment deux petits partis de gauche, un parti centriste à sensibilité écologiste (Radikale Venstre), l’Association danoise antinucléaire (OOA), créée en 1973, l’Organisation danoise de développement des énergies renouvelables (OVE), créée en 1975. Cette coalition souhaite développer les énergies renouvelables et l’éolien en particulier.
Alors qu’il était plus probable que l’option nucléaire soit retenue, l’élection « tremblement de terre » de 1973, année du premier « choc pétrolier », a déstabilisé les rapports de pouvoir dans les arènes parlementaires : quatre des principaux partis politiques établis perdent ainsi entre 27 et 48% de leurs sièges tandis que cinq partis (trois d’entre eux récemment créés) entrent au parlement. Cette élection a renforcé la fragmentation du système de partis danois (liée au mode de scrutin proportionnel pour le Folketinget, parlement danois) et permis la formation d’une « majorité verte » avec le parti centriste Radikale Venstre qui monnayera son soutien aux gouvernements successifs en échange de la mise en œuvre de politiques de soutien à l’éolien jusqu’à la fin des années 1990.
Les énergies renouvelables représentent aujourd’hui 60% (48% d’éolien) de la production d’électricité danoise (avec notamment 22% à partir du charbon). Ce développement a notamment été favorisé par l’introduction d’un instrument de prix garantis sur le moyen terme aux producteurs éoliens : le tarif d’achat. Le rôle joué par ce dernier indique que les instruments seront des traceurs de changement éventuels si l’épisode Covid-19 devenait un moment carrefour.
Le rôle des mouvements sociaux pour faire advenir ou prévenir une ou des orientations de politique en matière d’énergie sont nombreux, à l’image du récent exemple français des Gilets Jaunes et du cas des marches lycéennes pour le climat dans plusieurs pays européens. Au-delà des effets conjoncturels sur la demande énergétique, les mobilisations relatives aux enjeux énergétiques seront donc un élément à observer pour déterminer si l’épisode Covid-19 constitue un moment carrefour.
Les formations et transformations de coalitions politiques seront également à suivre de près. Dans certains cas de figures, ces coalitions contribuent à des changements d’orientation du contenu du mix électrique (cas danois évoqué précédemment), des évolutions de l’allocation des revenus issus des activités productives (cas de la Bolivie et des alliances entre coopératives minières et le Movimiento al Socialismo–Instrumento Político por la Soberanía de los Pueblos (MAS) d’Evo Morales entre 2003 et 2016) ou à ralentir le déclin d’une source d’énergie (cas d’alliances entre le parti de gauche de la gauche Die Linke et les syndicats du secteur minier dans certains länder Est-Allemands).
Ce facteur à lui seul n’est toutefois pas une condition suffisante, comme l’a mis en évidence le cas bolivien et de manière plus globale ceux d’autres pays sud-américains. Dans cet État comme en Équateur et au Venezuela, l’arrivée au pouvoir de formations politiques de gauche a revu l’allocation des rentes liées aux industries énergétiques pour financer les politiques sociales mais a maintenu intact un modèle extractiviste des ressources comme les hydrocarbures.
Enfin, à l’image de la résolution Climat du 15 avril 2020 déposée par onze organisations possédant des actions de l’entreprise Total, l’activisme d’actionnaires pourrait contribuer à fragiliser la légitimité des énergies fossiles et fissiles et à accroître la politisation des questions énergétiques. Le positionnement de ces actionnaires introduit plus globalement la question des stratégies des institutions financières (fonds de pension, établissements bancaires…) face à l’épisode Covid-19. Une défection d’une partie significative d’entre eux pourrait également impacter les politiques énergétiques post-Covid-19 et influencer le contenu des « plans de relance » déjà introduits et en cours d’élaboration.
La potentielle conjonction de cette défection et d’un activisme d’actionnaires en faveur d’un « verdissement » des investissements soulève plus largement l’enjeu de l’articulation des différentes arènes de gouvernement des industries énergétiques : les conseils d’administration des entreprises du secteur, les salles de marchés des places boursières, les rues empruntées par les manifestations de contestation, les parlements nationaux, les tribunaux. Les relations entre ces arènes seront à suivre de près pour analyser les décisions et non-décisions des mois et années qui viennent.
L’épisode Covid-19 met en évidence de manière critique l’importance de penser ces relations. Les quinze dernières années avaient déjà fourni des exemples d’interdépendance de ces arènes comme dans le cas de l’exploitation pétrolière en Équateur et en Ouganda.
Dans le premier État, le gouvernement de Rafael Correa avait envisagé de renoncer à cette exploitation dans le parc naturel du Yasuní en échange d’un dédommagement financier de la part de la communauté internationale à hauteur de 50 % de la valeur du pétrole potentiellement exploitable. Au printemps 2013, un peu plus de 10 millions de dollars avaient été collectés, montant très éloigné des 350 millions de dollars souhaités. Faute de contributions supplémentaires, l’initiative dite Yasuní-ITT fut finalement abandonnée en août 2013. Dans le second État, les Amis de la Terre France, Survie et les associations ougandaises AFIEGO, CRED, NAPE (les Amis de la Terre Ouganda) et NAVODA ont assigné l’entreprise française Total en référé devant le tribunal de Nanterre en octobre 2019. Cette action juridique avait pour objectif de dénoncer les impacts de projets pétroliers dans ce pays d’Afrique de l’Est en s’appuyant sur la loi française sur le devoir de vigilance des multinationales de 2017.
Au-delà du cas du pétrole, il est possible d’imaginer que l’épisode Covid-19 influencera la trajectoire d’initiatives de ce type et en fera peut-être émerger de nouvelles dans un contexte où l’interdépendance entre États se révèle encore plus visible et que des chaînes globales de production comme le nucléaire ou le charbon pourraient être contestées de manière accrue.
Si l’ensemble des facteurs qui viennent d’être évoqués venaient à converger, les politiques énergétiques de certains États pourraient être mise en délibération de manière plus importante qu’à l’accoutumée, voire donner lieu à des orientations plus ou moins inédites. Plusieurs cas de figures sont imaginables. Essayons d’en envisager deux qui, loin d’épuiser le champ des possibles, représentent plutôt deux scénarios extrêmes d’un continuum évidemment plus large.
Premier cas de figure : la situation économique de poids lourds du secteur énergétique comme EDF ou Total se dégrade significativement ouvrant ainsi des débats sur une potentielle recapitalisation des opérateurs, décision qui peut être pensée sans contrepartie significative en termes de « verdissement » du mix énergétique de l’entreprise concernée. Cette absence de contrepartie est contestée par des parlementaires faisant ponctuellement défection de leurs majorités, des actionnaires des entreprises concernées et des mouvements sociaux, internes ou externes (ex : action des syndicats d’EDF, comme dans le cas du mouvement des « Robins des Bois de l’Energie », analysé par Sophie Béroud). La décision initiale est revue tandis que sa contestation donne lieu à la construction d’une coalition inédite d’acteurs se mobilisant pour d’autres politiques énergétiques.
Ce type de cas de figure pourrait advenir dans un État comme le Canada où des plans d’aides aux compagnies pétrolières sont en discussion et où en février dernier un mouvement social de protestation contre le projet de gazoduc de Coastal GasLink a bloqué des centaines de trains de voyageurs et de marchandises. Dans ce premier cas de figure, il est ainsi possible d’envisager que l’épisode Covid-19 soit un moment carrefour pour les politiques énergétiques en ce qu’il contribue à créer des conditions de fragilisation des orientations de l’action publique préexistante.
Second cas de figure : des acteurs économiques internes et externes au secteur énergétique se positionnent en faveur d’un « moratoire » sur des politiques énergétiques « vertes » (ex : déclarations de certains représentants patronaux français comme le Medef ayant appelé au report de l’introduction de normes environnementales en avril), cette idée fait l’objet d’un « consensus ambigu » et fédère une coalition multi-acteurs (syndicats, partis majoritaires dans les arènes parlementaires et principaux élus des métropoles) motivés par des raisons distinctes.
Les diverses subventions alors attribuées pour « amortir » le moment Covid-19 sont allouées sans « contrepartie environnementale », les orientations fossiles (ex : Canada, Australie et États-Unis) et fissiles (ex : France) des politiques énergétiques sont préservées et renforcées. Dans ce second cas de figure, il est ainsi possible d’envisager que l’épisode Covid-19 soit un moment carrefour pour les politiques énergétiques en ce qu’il contribue à créer des conditions qui approfondissent les orientations préexistantes.
Perturbation externe absorbée, accélérateur de tendance préexistante ou moment carrefour, le champ des possibles pour des politiques énergétiques post-Covid 19 est ouvert. Les facteurs (dynamiques électorales, pouvoir des acteurs établis, mouvements sociaux, modes de prospectives, positionnements des institutions financières…) évoqués dans cet article font partie des (multiples) pièces du puzzle que constitue le gouvernement des secteurs énergétiques.
Examiner l’évolution et l’agencement de ces pièces est crucial pour saisir la trajectoire des propositions de la CCC en ayant à l’esprit « les relations ambiguës entre participation et politiques publiques » (Laurence Bherer). Analyser ces multiples pièces du puzzle du gouvernement des secteurs énergétiques permet de considérer le pouvoir des idées comme celles formulées dans les propositions de la CCC sans perdre de vue que leur trajectoire est conditionnée par leur capacité à « aimanter » des coalitions d’acteurs (Daniel Béland et Robert Cox) et que leur poids doit être envisagé en relation avec d’autres dimensions comme es intérêts et les institutions (Bruno Palier et Yves Surel).