Transition écologique, transition des modes de pensée
La transition écologique qu’il s’agit d’engager, n’est pas seulement de nature technique : elle exige aussi, rappelait il y a peu Dominique Méda, de remettre en cause une grande partie de nos cadres cognitifs, de nos représentations des rapports entre humains et nature. Elle exige également de questionner notre conception de ce qu’est l’être humain.
Un bref retour en arrière nous remettra en mémoire la vision qui fut longtemps la nôtre. Les Européens des siècles passés qui avaient émigré en Amérique du Nord estimaient, dans l’ensemble, que les Indiens se montraient incapables d’exploiter convenablement les ressources que la Providence divine leur avait généreusement prodiguées. Ainsi, Le Magasin pittoresque de 1845, présentant le nouveau monde à ses lecteurs, vantait l’activité des colons, laquelle contrastait heureusement avec « l’indolence » des natifs, et observait que « la nature se prête avec docilité à prendre toutes les formes sous la main de l’homme. Dieu qui a produit la terre pour qu’elle soit notre séjour agréable a mis dans son sein une disposition à recevoir tous les changements qu’il nous plaît d’y faire[1]. »
Ces lignes font écho au fameux passage de la Genèse dans lequel, s’adressant à Adam et Ève, le Créateur leur donne tous pouvoirs sur sa création : « Remplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur le sol[2]. » Les humains sont ainsi appelés à se voir comme des colons placés par Dieu sur une planète dont ils ne font pas partie.
Un historien américain, Lynn White, a sévèrement critiqué cette vision dualiste et hiérarchique dans un court essai d’histoire des idées : « The Historical Roots of Our Ecological Crisis ». Le texte se termine sur la proposition de faire de François d’Assise le patron des écologistes [3]. Deux économistes appartenant à la même génération que Lynn White ont apporté à la pensée écologique un soutien fondé, quant à lui, sur le constat que les activités économiques impliquent des flux d’énergie et de matière qui font partie intégrante de la planète.
Les limites de la pensée économique actuelle
L’apport de ces économistes témoigne du fait que la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui avait déjà été solidement analysée il y a de cela une cinquantaine d’années. L’un, Nicholas Georgescu Roegen, auteur de The Entropy Law and the Economic Process (1971), notait que les sciences économiques naissantes se sont inspirées de la mécanique céleste (les physiocrates, les premiers à parler de « science économique », étaient fascinés par le modèle newtonien). Georgescu-Roegen a voulu ré-enraciner les activités économiques dans l’environnement terrestre. Pour lui, l’économie s’inscrit dans le prolongement de l’évolution biologique. Les sciences économiques doivent donc s’inspirer des sciences du vivant et ne pas oublier que tout processus néguentropique ne peut remporter que des victoires provisoires sur l’entropie, comme le rappelle le deuxième principe de la thermodynamique[4].
En d’autres termes, le monde organisé que créent les humains ne dépend pas seulement de leur activité, mais aussi du monde plus vaste qu’ils n’ont pas créé. Notons au passage que les cosmologies des sociétés traditionnelles témoignent à leur manière d’une perception intuitive de ces contraintes : l’ordre socio-cosmique n’est pas instauré une fois pour toutes, les hommes doivent constamment entretenir et réactiver son « économie » par des comportements sociaux appropriés, des sacrifices et autres rituels.
L’autre économiste, Kenneth Boulding, a lui aussi souligné le fait que les activités économiques produisent des effets sur le « vaisseau spatial terre », lequel, en retour, agit sur elles, ce qui implique notamment que leur croissance est nécessairement limitée (comme le confirma le fameux « rapport Meadows », The Limits To Growth, paru en 1972).
Un troisième économiste, Herman Daly, appartient à la génération suivante. Daly avait suivi les cours de Boulding et de Georgescu-Roegen dont il a poursuivi l’approche « bioéconomique ». Dans un article paru en 1968, « On Economics as a Life Science », il souligne l’analogie entre les cycles économiques d’extraction/production/consommation et le métabolisme des organismes vivants (pendant que nous consommons les aliments produits dans le cadre du système économique, les cellules de notre corps, elles aussi, se nourrissent).
Le métabolisme comprend anabolisme et catabolisme. L’anabolisme ou biosynthèse compose des molécules complexes à partir de molécules simples (par exemple des protéines à partir d’acides aminés), ce qui consomme de l’énergie. Le catabolisme (par exemple la digestion) décompose des molécules en molécules plus simples et libère de l’énergie. Les processus économiques comme les processus biologiques sont des systèmes ouverts : ils puisent des flux de matière et d’énergie dans l’environnement et y rejettent leurs déchets. D’où le lien entre économie et écologie. Les deux termes ont le même préfixe – « éco » du grec oikos, maison, domaine – mais l’oikos de l’économie n’est qu’un sous-ensemble de l’oikos de l’écologie.
Daly évoque aussi les nombreux problèmes écologiques causés par la pollution de l’air et de l’eau.
« De tels phénomènes, poursuit-il, ont depuis longtemps été identifiés par la science économique, bien qu’avec réticence, sous le nom d’externalités – c’est-à-dire les interrelations dont les connexions sont extérieures à l’univers marchand abstrait des économistes, mais qui font partie intégrante du monde dans lequel nous vivons, nous nous déplaçons et résidons. “Interdépendances hors marché” serait peut-être un meilleur terme. […] Notre cosmos économique n’est pas fait d’un mouvement circulaire de marchandises entre les hommes, mais d’orbites elliptiques qui traversent des secteurs écologiques interdépendants. […] Dans sa représentation la plus simple, l’économie totale doit être divisée entre son secteur humain et son secteur non-humain[5]. »
Ce qu’écrivait Daly il y a un demi-siècle est toujours d’actualité, comme en témoigne notamment le manuel très complet récemment publié par deux chercheurs en « économie biophysique », Charles A. S. Hall et Kent A. Klitgaard. Ceux-ci partent du même constat que Daly :
« Durant les 150 dernières années, les sciences économiques ont été traitées comme des sciences sociales dans lesquelles les économies sont modélisées comme un flux circulaire de revenu entre producteurs et consommateurs. Dans ce “mouvement perpétuel” d’interaction entre les entreprises qui produisent et les ménages qui consomment, il a peu ou pas été rendu compte du flux d’énergie et de matières venant de l’environnement et y retournant. Dans le modèle économique standard, énergie et matière sont censées être complètement recyclées au cours de ces mouvements, et l’activité économique n’est apparemment pas assujettie à la deuxième loi de la thermodynamique[6]. »
Les sciences économiques, semble-t-il, ont jusqu’à présent limité leur périmètre de calcul à ce qui n’est en réalité qu’un sous-système de l’économie générale incluant la planète, le vivant et les humains. Comme l’a bien vu Alain Deneault, il ne saurait y avoir d’économie (au sens d’économie marchande) en l’absence des autres formes d’économie (économie de la nature ou écologie, économie sociale des biens et des échanges non marchands, économie psychique). S’obstiner à ne prendre en compte qu’une partie seulement de la réalité est évidemment contraire à l’exigence scientifique, mais celle-ci, malheureusement, ne pèse pas lourd en regard du coût que l’on évite ainsi : le coût que causeraient les « externalités »[7] si on les prenait en compte.
Cependant, la réalité sur laquelle nous fermons les yeux finit toujours par nous présenter la facture. Ce qui était avantageux à court terme se révèle coûteux et même désastreux à long terme, comme on le constate aujourd’hui.
Ce que nous rappelle l’expérience du confinement
Daly distingue entre ce qu’il appelle le « secteur humain », qui correspond au périmètre de calcul des sciences économiques, et le « secteur non-humain » qui englobe le premier. Ici, une précision s’impose : les sciences économiques n’éclairent évidemment pas l’ensemble du fait humain, loin de là. Elles éclairent seulement un secteur des activités humaines : le secteur des biens que produisent, vendent et achètent les humains. Le domaine auquel s’applique les sciences économiques est donc encore plus limité que le disent les chercheurs en « économie biophysique » (ou « économie écologique »).
Notre existence, en effet, ne repose pas seulement sur les biens marchands et sur les fonctions que nous remplissons dans l’activité économique. Notre existence passe nécessairement aussi par des relations non fonctionnelles, autrement dit les relations humaines que nous recherchons et cultivons pour elles-mêmes. Or, de telles relations ne pourraient s’établir et s’entretenir sans le vaste ensemble de ce que les anthropologues mettent sous le mot de culture : langage, institutions, droit et autres modes de régulation, aménagements de l’espace et du temps, modes de relation à la nature, monuments, artefacts, arts de faire, manières d’être et pratiques relationnelles, savoirs, traditions intellectuelles et artistiques, systèmes de santé et d’éducation. Bref, un immense éventail de biens communs matériels et immatériels, naturels et culturels au sein desquels les biens marchands circulent, et en symbiose avec lesquels ils réalisent leur valeur d’usage[8].
Il n’est donc pas étonnant que l’augmentation du PIB ne se traduise pas nécessairement par un progrès du bien-être social ; celui-ci, en effet, implique une synergie entre biens marchands et biens non marchands (pour l’évaluer, on doit donc faire appel à d’autres indicateurs de richesse que le PIB). Au sein des biens non marchands, il faut relever le caractère véritablement vital des biens communs relationnels, c’est-à-dire les biens qui n’existent que si l’on est plusieurs à en jouir et qui correspondent donc à toutes les situations où l’on a plaisir à faire quelque chose avec les autres (conversation, jeu, travail, sport, musique, etc.) ainsi qu’aux milieux de vie qui favorisent ces situations.
Il est d’autant plus nécessaire de replacer les biens marchands dans le cadre des biens communs que le monde occidental est encore fortement imprégné de la croyance selon laquelle les sociétés humaines reposent sur le seul fondement de l’économie marchande. Cette croyance est elle-même étroitement liée à une autre, plus ancienne encore puisqu’elle a commencé à s’implanter avec le platonisme : la croyance que l’être humain possède en lui-même la source de son être propre. Selon cette croyance, notre être propre serait donc extérieur à la vie sociale de sorte que celle-ci n’aurait qu’une fonction utilitaire.
L’expérience du confinement ne confirme nullement cette croyance : elle nous confronte à une toute autre vérité. Les milliards d’êtres humains ainsi assignés à résidence font l’expérience que la vie sociale dont ils sont privés leur est vitale, que loin de n’être qu’utilitaire, elle est au contraire une fin en soi. Pour les Occidentaux qui, à la différence de la plupart des autres cultures passées ou présentes, persistent à croire que les sociétés humaines se sont constituées afin de répondre à des besoins utilitaires, il est temps de réaliser qu’il s’agit d’une fable sans fondement, d’une contrevérité.
Le virus qui cause la pandémie actuelle ne nous rappelle pas seulement que des réalités étrangères à l’économie ont le pouvoir de la ruiner. Il nous oblige aussi à réaliser par l’expérience du confinement que le système économique qui règne sur le monde nous fait prendre les moyens (l’économie) pour la fin ; et la fin (la vie sociale) pour un moyen. « L’argent, c’est la vie ! », s’exclame le père Goriot. Non : c’est l’une des composantes de la vie, car il y en a au moins deux autres : la vie biologique à laquelle s’en prend le virus, et la vie sociale dont nous prive le confinement[9].
En somme, comme l’écrit Bernard Perret en conclusion d’un judicieux article, on « pourra de moins en moins compter sur la seule économie marchande pour assurer la coordination des activités humaines. » Il nous faut réintégrer celle-ci dans l’ensemble beaucoup plus vaste dont elle fait partie : interactions physiques dont résulte le climat, échanges au sein du monde vivant, interdépendances des humains dans leur vie relationnelle et sociale. Ce qui débouche sur la question des fondamentaux de l’existence humaine, la question de ce qui nous fait vivre (physiquement et mentalement) et de ce que nous sommes.
Jusqu’ici, cependant, étant donné que l’urgence climatique impose en priorité de décarboner nos sources d’énergie, les contraintes écologiques ont surtout appelé des réponses d’ordre technique. Mais celles-ci pourront difficilement être imaginées et mises en œuvre sans que changent nos modes de pensée. Comme le disait Einstein : « Aucun problème ne peut être résolu sans changer l’état d’esprit qui l’a engendré. »
Une entreprise, pourrait-on m’objecter, ne peut se permettre d’intégrer dans son programme d’action toutes les éventualités et les risques qu’une vision élargie invite à prendre en compte : tout plan nécessite une certaine simplification du réel. C’est bien pourquoi l’entreprise se décharge de certains risques en les confiant à une compagnie d’assurance, et qu’il appartient à la puissance publique d’en anticiper d’autres. Reste cependant qu’une vision trop simplifiée implique elle-même un risque pour l’entreprise – ou un manquement à sa responsabilité sociale et environnementale.
Transition écologique et modes de pensée
Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint Gobain, a publié en 2015 Notre combat pour le climat, sous titré : Un monde décarboné et en croissance, c’est possible. L’auteur prend très au sérieux l’urgence climatique. Il évoque au passage les insuffisances du PIB comme indicateur du bien-être et mentionne, entre autres problèmes écologiques, les « 40 millions de tonnes de déchets électriques et électroniques produits chaque année dans le monde », mais ce qui compte avant tout à ses yeux, c’est de réduire les émissions de gaz à effets de serre. Il s’agit de « décorréler la croissance et les besoins en énergie ». Si nous y parvenons, écrit-il, « nous aurons fait une bonne partie du chemin » (p. 130).
Chalendar se montre confiant dans les progrès de la technologie et l’avenir des énergies renouvelables qui permettront l’émergence d’un monde décarboné. Il reconnaît cependant que, pour financer la transition écologique (et en particulier le développement des énergies renouvelables), il faut réussir à mobiliser l’industrie financière. Cela ne va pas de soi, pour deux raisons bien connues : d’abord, le relatif découplage entre la finance et ce que l’on appelle, par contraste, « l’économie réelle » ; ensuite, le fait que l’on peut difficilement attendre des investissements écologiques qu’ils atteignent le niveau de profitabilité habituellement visé par l’industrie financière. Volonté politique (elle-même soutenue par la pression des citoyens) et concertation public/privé ont donc évidemment un rôle à jouer.
En somme, l’une des difficultés à surmonter pour mettre en œuvre la transition écologique est de créer une synergie entre les multiples acteurs impliqués à l’intérieur des entreprises, dans le monde de la finance, au sein de l’État, sans parler des citoyens eux-mêmes. Cela suppose une vision commune, un imaginaire partagé (j’y reviendrai dans la conclusion). Mais cela suppose aussi de ne pas reconduire des schémas de pensée et d’action dépassés. D’où la nécessité de questionner les bases de la rationalité économique, c’est-à-dire les représentations de l’homme, de la société et de la nature dont cette rationalité a hérité et qui, pour elle, font figure d’évidence.
Rappelons que le fonctionnement des sociétés humaines ne peut être appréhendé par ses membres qu’à travers des représentations qu’ils ont eux-mêmes forgées. Ces représentations, s’ils les adoptent et se fient à elles, ont pour effet de coordonner leurs activités et leurs interactions. Dès lors qu’ils constatent qu’elles coordonnent efficacement leurs activités, les membres de la société en infèrent qu’elles correspondent à la réalité, qu’elles sont objectivement rationnelles, ce qui n’est pourtant pas certain. Il s’agit en effet d’une réalité qu’ils ont créée et mise en forme.
Le discours économique, comme le note André Orléan, joue un rôle performatif. « La théorie économique, écrit-il, joue un rôle immense dans nos sociétés développées. Elle est le discours qui indique comment les affaires humaines doivent être menées[10]. » Tout en se présentant comme une description scientifique de la réalité, elle remplit une fonction normative. Il est donc fort possible que la réalité créée et mise en forme par nos représentations laisse de côté des réalités qui n’entrent pas dans leur cadre. Le fait que ces réalités soient ignorées, voire déniées, ne les empêche évidemment pas d’exister, de perturber ou même de détruire les équilibres pris en compte par la pensée économique et jusque là considérés comme fiables.
Tout mode de pensée qui se veut rationnel, donc efficace, s’appuie sur une définition de la réalité faisant consensus au sein de la communauté qui, consciemment ou non, l’a adoptée. Les membres de cette communauté ont alors le sentiment que c’est parce que cette vision de la réalité est vraie qu’elle s’impose à eux et qu’elle fait consensus. Or, trop souvent, c’est au contraire parce qu’elle fait consensus qu’ils la croient vraie. Le consensus dont jouit l’idée que toute société se fonde sur l’économie marchande a conduit les politiques eux-mêmes à se légitimer sur la base d’un discours économique, contribuant ainsi à faire oublier que le monde réel – le monde des relations sociales non marchandes et le monde du vivant (avec, par exemple, ses virus) – est beaucoup plus vaste que ne le donne à penser le cadre de l’économie.
Autre exemple : « Les seuls liens qui maintiennent l’ensemble d’une Grande Société, écrivait Friedrich Hayek, sont purement économiques. […] Le grand idéal de l’unité du genre humain dépend en dernière analyse des relations entre des éléments régis par l’impulsion vers la meilleure satisfaction de leurs besoins matériels[11]. » Cette affirmation repose sur une tradition occidentale multiséculaire qui a fini par passer pour une vérité première. L’idée que les hommes ont préexisté à la société, qu’ils ont créé celle-ci pour des raisons utilitaires et que les liens qui les unissent sont donc purement économiques a été reçue comme une vérité à cause du consensus dont elle a fait l’objet. Pourtant, rien dans les connaissances scientifiques dont nous disposons aujourd’hui ne justifie une telle croyance : ces connaissances prouvent au contraire que c’est la vie sociale de nos lointains ancêtres qui a rendu possible l’émergence de l’Homo sapiens.
Conclusion : il faut renoncer à l’idée que ce qui est considéré comme rationnel est nécessairement rationnel en soi, objectivement et indépendamment d’une vision de la réalité faisant consensus. Et se défaire aussi, par conséquent, de l’idée que ce qui est efficace dans un cadre de rationalité donné est efficace dans l’absolu. Une vision renouvelée de la réalité invite à penser autrement l’efficacité.
L’approche technique de la transition écologique, évidemment indispensable, implique des recherches complexes dans le domaine de l’énergie[12]. Celles-ci ne suffisent cependant pas. D’abord, parce que les problèmes écologiques ne se limitent pas au réchauffement du climat. Ensuite, parce qu’ils questionnent l’ensemble de notre système économique et pas seulement le secteur de l’énergie. Enfin, parce que nous-mêmes (avec nos manières de penser et l’idée que nous nous faisons de notre place dans la nature), nous faisons partie du problème (et par conséquent aussi de sa possible solution).
Il est nécessaire de le rappeler car, spontanément, nous nous percevons plutôt comme étant face au problème, donc extérieurs à lui : les données auxquelles nous sommes confrontés forment un tableau qui est là, devant nous ; nous l’examinons – rationnellement bien sûr – et cherchons à identifier la cause des effets observés pour, ensuite, agir sur cette cause. Nos comportements techniques les plus quotidiens répondent à cette logique (ma voiture tombe en panne : quelle en est la cause ? une fois celle-ci identifiée, comment y remédier ?).
Or, ce mode de pensée, qui suppose une causalité linéaire et auquel Descartes a donné ses lettres de noblesse, s’est révélé insuffisant pour appréhender le fonctionnement des organismes vivants ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. L’essor des sciences biologiques et de l’écologie scientifique est inséparable d’un mode de pensée plus complexe : l’approche systémique, qui permet également de mieux comprendre les interactions humaines[13]. Ce mode de pensée est donc l’allié indispensable de la transition écologique.
La pensée systémique s’écarte du schéma une cause/un effet : un effet peut répondre à plusieurs causes ; une cause peut produire plusieurs effets – certains voulus, d’autres non ; un effet peut rétroagir sur ses causes ; certains effets se produisent à court terme, d’autres à long terme ; il se peut, enfin, qu’en plus de l’action produisant délibérément ses effets, l’agent lui-même produise également d’autres effets, positifs ou négatifs, intentionnellement ou à son insu (l’agent fait partie du système). On voit que l’approche systémique s’efforce d’intégrer et d’anticiper ce qui, dans le cadre de la pensée causale linéaire, est ignoré ou regardé comme des externalités. La pensée systémique implique donc de la part de l’agent un sens des responsabilités plus étendu que la pensée linéaire et une vision à plus long terme.
L’évolution des techniques agricoles donne une bonne illustration du passage de la causalité linéaire à la pensée systémique. L’agriculture intensive s’appuie largement sur les propriétés chimiques des intrants (engrais et produits phytosanitaires), et ceux-ci produisent effectivement les effets salutaires que l’on attend d’eux, du moins à court ou moyen terme. Mais à la longue, ils produisent également des effets indésirables : l’action des produits phytosanitaires sur les végétaux adventices et les insectes ne se limitent pas à ceux qui sont ciblés. Ces produits exercent également une pression qui aboutit à sélectionner des variétés plus résistantes (effet comparable à celui que produit, dans le domaine de la santé, un recours excessif aux antibiotiques). De plus, les sols, comme on sait, perdent en fertilité, celle-ci reposant pour une large part sur l’action des micro-organismes et vers de terre qui peuplent l’humus et que ces produits détruisent (sans parler des techniques de labour).
Les pratiques agricoles plus récentes, dont l’agroécologie, répondent à une approche systémique qui les rend soutenables. Elles impliquent également, de la part de l’agriculteur, un cadre de rationalité renouvelé et par conséquent aussi une représentation différente de ce qu’il est, de son métier et de son rapport à l’environnement.
Les nouvelles pratiques agricoles exigent moins d’intrants que l’agriculture intensive mais davantage de travail humain. En conséquence, leur diffusion suppose aussi un changement de logique économique et de politique. Ainsi, le montant des aides de l’Union européenne, actuellement proportionnel à la surface de l’exploitation, favorise l’agriculture intensive ; un montant lié au nombre de personnes travaillant sur celle-ci favoriserait les nouvelles pratiques (et fournirait aussi des emplois, saisonniers ou pérennes, à de nombreux jeunes sans diplôme qui restent en marge du marché du travail).
L’écart entre les deux modes de pensée, linéaire et systémique, trouve également une illustration dans les réponses apportées à la croissance démographique. Le lien entre démographie et contraintes écologiques est évident : la population ne peut croître indéfiniment dans un monde fini. Au cours du siècle dernier, les pays occidentaux se sont inquiétés des taux de natalité dans les pays du Sud avant que l’Inde et la Chine ne prennent elles-mêmes des mesures pour limiter les naissances. Un simple raisonnement de cause à effet a conduit à des pratiques d’avortement et de stérilisation – souvent forcée – ainsi qu’à encourager la contraception. Avec la baisse du coût de l’échographie et sa démocratisation au début des années 2000, les avortements aux dépens des filles se sont multipliés en Asie.
Le déséquilibre entre filles et garçons s’est alors creusé. Conséquences : trafics de femmes, agressions sexuelles, jeunes hommes (de classe pauvre surtout) qui ne peuvent se marier et sont davantage sujets à des comportements violents. Comme c’est généralement le cas lorsque le remède se focalise sur la cause la plus immédiate d’un problème, son efficacité se voit sérieusement compromise ou compensée par les effets secondaires imprévus et négatifs qu’entraine ce remède.
Une toute autre voie menant au contrôle des naissances, l’éducation des femmes, implique une approche systémique et un mode d’efficacité très différent. Les politiques d’éducation des femmes n’agissent pas directement et immédiatement sur le taux de natalité, mais indirectement et à plus long terme. Elles n’entraînent pas d’effets secondaires désastreux et produisent au contraire, en plus du contrôle des naissances, des résultats souhaitables en termes d’autonomie des femmes.
Notez au passage qu’une politique d’éducation implique une synergie entre des actions volontaristes et ce bien commun que sont les connaissances, les premières étant au service de la diffusion des secondes. Il y a quelque chose d’analogue dans les nouvelles pratiques agricoles : la terre n’y est plus considérée comme un simple moyen, mais comme un bien dont il s’agit de respecter la nature propre, de sorte que l’action volontaire de l’exploitant vise autant à entretenir ce bien qu’à en tirer profit.
On voit là que, comparée à la maîtrise unilatérale qui s’affirme dans la causalité linéaire, la volonté de maîtrise qui s’investit dans une approche systémique apparaît nettement plus modérée car l’efficacité relève alors moins du « quand on veut on peut » que du « faire avec » (qu’illustre, par exemple, l’art du jardinier) : plus on porte attention aux contraintes du réel, plus on a de chances d’y déceler des ressources[14].
Pensons, par exemple, aux travaux d’Esther Duflo et Abhijit Banerjee. Même s’ils ne se réclament pas de la pensée systémique, leur méthode de travail en donne une illustration. Dans Repenser la pauvreté, les deux auteurs montrent bien les limites des politiques de lutte contre la pauvreté qui privilégient une cause et en déduisent le remède à appliquer. En observant des situations concrètes, les relations entre causes et effets se révèlent dans leur complexité, de sorte qu’une action qui se montre efficace apparaît souvent comme contre-intuitive. À première vue, par exemple, il n’y a pas de relation entre l’administration d’un vermifuge à de jeunes enfants et leur vie professionnelle ultérieure. Pourtant, « au Kenya, des élèves ayant reçu un traitement vermifuge pendant deux ans restent plus longtemps à l’école et gagnent, en tant que jeunes adultes, 20% de plus que les enfants qui n’avaient été traités que pendant un an » (p. 66), avantage qui persiste au long de leur vie. Explication : les vers intestinaux causent un déficit alimentaire, lequel nuit à l’assiduité scolaire et au développement cognitif. De tels exemples, soit dit en passant, témoignent bien des connexions entre écologie, santé publique, vie sociale et bien-être des individus.
Ce goût du concret vaut d’être médité, d’autant que la pensée systémique ou pensée complexe telle qu’elle est diffusée dans l’entreprise met souvent en avant, plutôt que ce souci, un surcroît de maîtrise. C’est alors moins la curiosité d’esprit qui se trouve encouragée que le fantasme d’une pensée totalisante, pensée qui tend à se complaire dans son propre déploiement dès lors qu’elle procure un sentiment d’agrandissement du moi.
Une méthode qui prétend tout englober peut assurément en imposer, mais c’est au prix d’être une construction hors sol. Lorsqu’elle répond trop directement au désir d’exister, l’approche systémique devient stérile faute d’être nourrie par un intérêt porté aux personnes, à leur singularité et leur diversité, ou par une curiosité ouverte aux réalités si modestes et terre à terre soient-elles[15]. Il est tentant de croire que plus de maîtrise égale plus d’efficacité. C’est faux : plus on maîtrise, plus on croit à son propre pouvoir de maîtrise ; et plus on y croit, moins on est conscient de ce qu’on ne maîtrise pas (d’où le fameux avertissement : la Roche Tarpéienne est proche du Capitole).
Conclusion. Vivre dans un lieu qu’on n’aspire pas à fuir
Sur le premier point évoqué dans les pages qui précèdent, la nécessité de replacer le système économique dans l’ensemble plus vaste dont il fait partie (l’environnement, le vivant ainsi que la vie sociale), on dispose de connaissances qui devraient faciliter les changements à concevoir et à mettre en œuvre. Le second point, le domaine de l’approche systémique, est lui aussi, largement exploré.
Sur la dimension humaine de la transition écologique, en revanche, nous sommes moins bien armés. Lorsque celle-ci est abordée, ce n’est généralement pas pour ouvrir un chantier menant à de nouvelles connaissances, mais pour dire ce qu’il faut faire (pratiquer la sobriété heureuse, cultiver l’harmonie avec la nature, adopter les bons gestes pour « sauver la planète »).
Il arrive cependant que le propos soit plus ambitieux et vise une « refondation anthropologique ». Mais celle-ci devrait pouvoir se faire à moindres frais : on ne mesure généralement pas à quel point nous restons tributaires d’une vision de l’être humain profondément enracinée dans la culture occidentale depuis l’antiquité. Ainsi, lorsque l’on prétend mettre en question la conception de l’individu et y substituer une vision relationnelle fondée sur l’interdépendance, omniprésente dans le monde du vivant, la critique de l’individualisme se réduit, en fait, à une critique de l’égoïsme. L’interdépendance, quant à elle, est ramenée à la solidarité. Sous un vêtement neuf aux couleurs de l’écologie, un discours moral déjà diffusé au XIXe siècle poursuit son cours. Le présupposé sous-jacent est qu’on en sait maintenant bien assez sur ce que nous sommes, de sorte qu’il n’est pas besoin de nouvelles connaissances, mais seulement d’un discours du bien.
Il faut pourtant voir que le champ de l’écologie scientifique reste limité : l’écologie s’intéresse aux effets de l’environnement sur notre vie biologique à travers ce que nous respirons et ce que nous mangeons, mais elle s’arrête au seuil de notre vie mentale, se conformant ainsi à la croyance traditionnelle qui veut que notre subjectivité relève d’un autre règne que celui du vivant. Ceci en dépit des observations montrant que notre vie mentale et sociale s’entretient, comme la vie biologique, au prix de toutes sortes d’échanges avec le milieu de vie dont nous faisons partie. Il y a là une « économie » complexe, une écologie sociale encore mal connue et insuffisamment explorée.
Je prends un exemple, celui de notre rapport aux choses et aux lieux. Lorsque l’on s’interroge sur l’évolution qui, à partir du dernier ancêtre commun à l’homme et au chimpanzé, a mené à l’Homo sapiens, on ne manque pas de mentionner le langage. Celui-ci remplit des fonctions cognitives et utilitaires très avantageuses, mais le fait est que les humains se parlent aussi, et beaucoup, pour le plaisir de s’entretenir. La parole est un bien commun des plus précieux et qui, de plus, ne coûte à peu près rien. Mais il est une autre grande différence entre les autres animaux et nous, c’est que ceux-ci, quels que soient leurs déplacements, voyagent toujours sans bagages. Ils ne s’embarrassent pas de choses, ils ne possèdent rien. Certains aménagent leur milieu (en creusant un terrier par exemple), mais ils ne créent pas, comme le font les sociétés humaines, tout un monde de choses à la fois immatérielles (représentations collectives, entités imaginaires) et matérielles.
Au cours de la préhistoire puis de l’histoire, les humains ont créé un monde matériel de plus en plus envahissant. Lorsqu’il s’est agi de diffuser l’American way of life (en d’autres termes la société de consommation) en Europe puis dans le monde entier, la tâche de modeler les esprits a trouvé un terrain favorable, tant l’Homo sapiens a le goût des choses et en particulier des choses nouvelles (comme l’ont reconnu, souvent à regret, des anthropologues d’abord confiants dans la frugalité supposée des peuples premiers).
À la différence du monde des paroles, ce monde d’artefacts matériels, économiquement profitable, se révèle écologiquement ruineux. Pourquoi, seuls parmi les animaux, les humains ont-ils tendance à s’entourer d’artefacts ? La réponse la plus fréquente invoque l’utilité : on taille un silex pour en faire un outil, on achète une montre pour avoir l’heure. La réponse qui vient en deuxième lieu suppose le désir d’exister aux yeux des autres[16] : on porte une parure de coquillages ; ou une Rolex. Cette seconde explication prend volontiers un tour critique : on pointe la vanité du paraître, ce qui conduit naturellement à dénoncer les « besoins artificiels », lesquels ressemblent fort aux « vains désirs » dont les Stoïciens étaient censés se déprendre. Le marxisme a repris à son compte la distinction entre vrais besoins et besoins artificiels.
Pourtant, cette distinction est condamnée à en rester au stade des généralités car il est impossible de dire où, concrètement, placer la frontière entre les deux sortes supposées de besoins, ou plutôt entre les choses qui y répondent. Cette frontière n’existe sans doute pas, parce que la plupart de nos besoins sont aussi des désirs et que beaucoup de nos désirs sont aussi pressants que des besoins. Une autre distinction, entre être et avoir, se révèle tout aussi problématique. Elle suppose que l’on peut être sans avoir. Pour Dieu, c’est tout à fait possible, mais non pour un être humain : en pratique, qui n’a vraiment rien est bien à plaindre.
Il faut donc prendre la question autrement : admettre d’emblée que, de même que l’être humain existe avec les autres, il existe aussi avec des choses et dans des lieux. C’est bien ce que l’on constate dès lors que, laissant de côté les livres, on regarde autour de soi et que l’on observe comment les gens vivent. Et comment, soi-même, on vit.
Le mot d’ordre du moment étant de rester chez soi, on voit bien qu’il est essentiel d’avoir un chez-soi. Occasion de méditer sur ce qui contribue au sentiment d’être chez soi et de s’y sentir bien. Puis on sort de chez soi ; dans le quartier, dans les rues, on peut aussi se sentir chez soi, mais d’une autre manière qu’à la maison. Arbres qui bordent la rue, terrasses de café, commerces, jour de marché ou pas, gens qui passent, certains dont le visage nous est familier, d’autres pas, amis que l’on rencontre ou auxquels on a donné rendez-vous. Travail : gagner sa vie, mais aussi se sentir utile, faire quelque chose avec les autres, avoir sa place parmi eux. Loisirs : les uns chez soi, d’autres ailleurs, plus loin, seul ou avec d’autres. Voyager. Puis revenir chez soi, satisfaction modeste mais précieuse : vivre dans un lieu qu’on n’aspire pas à fuir[17]. Tout cela, notez-le, échappe à l’opposition entre matériel et spirituel : les deux se mêlent.
À considérer les lieux, la toile de fond de la vie quotidienne, on conçoit qu’une moindre consommation de biens marchands puisse être compensée par davantage de biens communs (naturels et culturels, matériels et immatériels), par l’assurance que la vie continue, par le fait d’entretenir des activités qui socialisent, par le sentiment d’être en lien avec ses proches, y compris lorsqu’on préfère être seul. L’ouvrage encyclopédique de Thierry Paquot, Mesure et démesure des villes, apporte toutes sortes d’exemples et de réflexions sur l’espace urbain et le bien-être. En ressort l’importance de l’habitabilité (habitabilité de l’espace privé, de l’espace public, mais aussi de la planète elle-même).
Au-delà du caractère fonctionnel de l’aménagement des lieux et des conditions matérielles d’existence (notamment la nature et la durée du transport entre résidence et lieu de travail), l’habitabilité renvoie au vécu des habitants (à commencer ceux qui appartiennent aux classes sociales les plus modestes). Lorsqu’elle est heureuse, la relation entre ceux-ci et leur milieu de vie se traduit par un attachement. Si différent qu’il soit de l’attachement aux personnes, l’attachement aux lieux est lui aussi vital[18]. Les arbres et les plantes n’y sont pas pour rien (comme l’ont reconnu les promoteurs des cités-jardins).
Il semble qu’architectes et urbanistes spéculent plus volontiers sur la ville idéale que sur les moyens d’améliorer les espaces urbains existants ; pourtant, il n’est pas si difficile de savoir ce qui rendrait les gens plus heureux (ce qu’eux-mêmes en disent rejoint ce qu’écrivent les experts). Mais alors, puisque ce savoir est disponible, où est l’obstacle ? Pourquoi l’économie et la politique ne contribuent-t-elles pas davantage à l’habitabilité et au bonheur général ? Si, durant les années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, la croissance économique a permis une amélioration du bien-être, pourquoi, depuis quelques décennies, le sentiment de bien-être ne s’améliore-t-il plus au même rythme que la croissance[19] ? Il est vrai que ceux dont les revenus ont crû le plus fortement font part de leur satisfaction, mais celle-ci reflète davantage l’amélioration de leur « standing » que les sentiments qu’ils éprouvent jour après jour.
Si l’on posait aux hommes, écrivait Saint Augustin, « cette question unique : “Voulez-vous être heureux ?” ils répondraient tous, sans hésiter, qu’ils le veulent[20] ». Oui, mais ce qu’ils font correspond-il à ce qu’ils disent ? Aristote avait déjà donné on avis sur la question : « On fait effort pour vivre et non pour mener une vie heureuse[21]. » Il ajoutait qu’en poursuivant les moyens censés conduire au bonheur, ces moyens finissent par prendre la place de la fin. Rousseau développe la même idée :
« On s’imagine que la première passion est le désir d’être heureux et on se trompe. L’idée de bonheur est très composée, le bonheur est un état permanent dont l’appétit dépend de la mesure de nos connaissances, au lieu que nos passions naissent d’un sentiment actuel indépendant de nos lumières […]. Le développement s’est fait à l’aide de la raison mais le principe existait avant elle. Quel est donc ce principe ; je l’ai dit : le désir d’exister. Tout ce qui semble étendre ou affermir notre existence nous flatte, tout ce qui semble la détruire ou la resserrer nous afflige. Telle est la source primitive de toutes nos passions[22]. »
Mêlé à la nécessité de satisfaire nos besoins, notre désir d’exister dépend, pour se réaliser, de notre milieu de vie : normes sociales, pression des pairs, liens personnels, organisation du travail, rivalités et concurrence, opportunités, etc. Pas facile de se frayer un chemin parmi ces différentes contraintes. Plus elles occupent le premier plan de l’existence, plus la visée du bonheur s’estompe à l’horizon.
La transition écologique, en nous obligeant à repenser ce qu’est notre bien ainsi que les moyens de le réaliser, nous place donc face à une question imprévue : qu’est-ce qui fait que les activités humaines, en s’enchaînant les unes aux autres, ne conduisent pas au bonheur qu’elles prétendent poursuivre ? Sans un examen approfondi de cette question, les bonnes volontés sont vouées à répéter les erreurs qu’elles veulent éviter.