Ecologie

Transition écologique, transition des modes de pensée

Philosophe et anthropologue

Les bons sentiments ne suffiront pas à instaurer le nouveau rapport aux choses et aux autres qu’exige la transition écologique. Celle-ci implique une sérieuse  révision de nos cadres de rationalité. Il s’agit d’abord de replacer l’économie dans l’ensemble plus vaste dont elle fait partie : le système Terre, le monde du vivant, sans oublier la vie sociale dont le confinement nous rappelle le caractère vital. Créer un milieu de vie favorable à l’existence humaine exige, enfin, une meilleure connaissance de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains.

La transition écologique qu’il s’agit d’engager, n’est pas seulement de nature technique : elle exige aussi, rappelait il y a peu Dominique Méda, de remettre en cause une grande partie de nos cadres cognitifs, de nos représentations des rapports entre humains et nature. Elle exige également de questionner notre conception de ce qu’est l’être humain.

publicité

Un bref retour en arrière nous remettra en mémoire la vision qui fut longtemps la nôtre. Les Européens des siècles passés qui avaient émigré en Amérique du Nord estimaient, dans l’ensemble, que les Indiens se montraient incapables d’exploiter convenablement les ressources que la Providence divine leur avait généreusement prodiguées. Ainsi, Le Magasin pittoresque de 1845, présentant le nouveau monde à ses lecteurs, vantait l’activité des colons, laquelle contrastait heureusement avec « l’indolence » des natifs, et observait que « la nature se prête avec docilité à prendre toutes les formes sous la main de l’homme. Dieu qui a produit la terre pour qu’elle soit notre séjour agréable a mis dans son sein une disposition à recevoir tous les changements qu’il nous plaît d’y faire[1]. »

Ces lignes font écho au fameux passage de la Genèse dans lequel, s’adressant à Adam et Ève, le Créateur leur donne tous pouvoirs sur sa création : « Remplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur le sol[2]. » Les humains sont ainsi appelés à se voir comme des colons placés par Dieu sur une planète dont ils ne font pas partie.

Un historien américain, Lynn White, a sévèrement critiqué cette vision dualiste et hiérarchique dans un court essai d’histoire des idées : « The Historical Roots of Our Ecological Crisis ». Le texte se termine sur la proposition de faire de François d’Assise le patron des écologistes [3]. Deux économistes appartenant à la même génération que Lynn White ont apporté à la pensée écologique un soutien fondé, quant à lui, sur le co


[1] Le Magasin pittoresque, volume 13, 1845, p. 259.

[2] Genèse, 1, 28. J’ai analysé l’histoire et les composantes de la vision occidentale traditionnelle dans Le Crépuscule de Prométhée. Contribution à une histoire de la démesure humaine, Mille et une nuits, 2008.

[3] En 1979, François d’Assise fut officiellement déclaré patron des écologistes par Jean Paul I, d’où le nom que s’est choisi le pape François.

[4] D’abord énoncé en 1824 par Sadi Carnot et reformulé à plusieurs reprises au cours des XIXe et XXe siècles, le second principe de la thermodynamique établit que l’énergie propre à un système différencié tend à se dissiper dans le milieu environnant. On dit alors qu’il produit de l’entropie. Exemple le plus familier : un objet chaud placé dans un milieu dont la température est inférieure tend à se refroidir, son énergie se dissipe dans le milieu. On appelle néguentropie le facteur d’organisation des systèmes physiques biologiques et sociaux qui s’opposent à l’entropie, tendance naturelle à la désorganisation qui fait que le cours de l’univers est irréversible.

[5] Herman Daly, « On Economics as a Life Science », Journal of Political Economy, Vol. 76, No 3, mai-juin, 1968. Toutes les traductions sont de l’auteur.

[6] Ch. Hall & K. Klitgaard, Energy and the Wealth of Nations. An Introduction to Biophysical Economics, Springer, New York, Berlin, nouvelle édition, 2018, 4ème de couverture.

[7] Les « externalités » sont les effets de l’activité économique qui ne sont pas inclus dans ses objectifs. Les externalités positives correspondent à des effets secondaires souhaitables (l’emploi, par exemple, joue un rôle majeur dans la socialisation des individus, même si celle-ci ne fait pas partie des finalités de l’entreprise). Les externalités négatives sont les effets secondaires indésirables (par exemple les effluents industriels qui polluent le sol, l’eau ou l’atmosphère).

[8] Un bien marchand perd sa valeur d’usage en l’absence du contexte social et culturel qui donne

François Flahault

Philosophe et anthropologue, directeur de recherches émérite au CNRS et membre correspondant de l’Institut d’Études Avancées de Nantes

Rayonnages

Écologie

Notes

[1] Le Magasin pittoresque, volume 13, 1845, p. 259.

[2] Genèse, 1, 28. J’ai analysé l’histoire et les composantes de la vision occidentale traditionnelle dans Le Crépuscule de Prométhée. Contribution à une histoire de la démesure humaine, Mille et une nuits, 2008.

[3] En 1979, François d’Assise fut officiellement déclaré patron des écologistes par Jean Paul I, d’où le nom que s’est choisi le pape François.

[4] D’abord énoncé en 1824 par Sadi Carnot et reformulé à plusieurs reprises au cours des XIXe et XXe siècles, le second principe de la thermodynamique établit que l’énergie propre à un système différencié tend à se dissiper dans le milieu environnant. On dit alors qu’il produit de l’entropie. Exemple le plus familier : un objet chaud placé dans un milieu dont la température est inférieure tend à se refroidir, son énergie se dissipe dans le milieu. On appelle néguentropie le facteur d’organisation des systèmes physiques biologiques et sociaux qui s’opposent à l’entropie, tendance naturelle à la désorganisation qui fait que le cours de l’univers est irréversible.

[5] Herman Daly, « On Economics as a Life Science », Journal of Political Economy, Vol. 76, No 3, mai-juin, 1968. Toutes les traductions sont de l’auteur.

[6] Ch. Hall & K. Klitgaard, Energy and the Wealth of Nations. An Introduction to Biophysical Economics, Springer, New York, Berlin, nouvelle édition, 2018, 4ème de couverture.

[7] Les « externalités » sont les effets de l’activité économique qui ne sont pas inclus dans ses objectifs. Les externalités positives correspondent à des effets secondaires souhaitables (l’emploi, par exemple, joue un rôle majeur dans la socialisation des individus, même si celle-ci ne fait pas partie des finalités de l’entreprise). Les externalités négatives sont les effets secondaires indésirables (par exemple les effluents industriels qui polluent le sol, l’eau ou l’atmosphère).

[8] Un bien marchand perd sa valeur d’usage en l’absence du contexte social et culturel qui donne