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France – Rwanda : le temps des archives, le temps de l’histoire

Historien

Alors que des pétitions d’historiens et d’archivistes sonnent l’alerte sur certaines restrictions de l’accès aux archives contemporaines, le chercheur François Graner vient de se voir soutenu par le Conseil d’État dans ses demandes d’accès aux archives de François Mitterrand sur le Rwanda. Quelle est la portée de cette décision ? Que contiennent ces documents ? Quels progrès laissent-ils espérer quant au rôle joué par la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda ?

« La France était là, présente au moment du dernier génocide du XXe siècle. Elle doit au monde des explications. La France doit réinterroger sa présence en Afrique. Il nous faut questionner les raisons de sa présence et ses objectifs pour qu’elle ne soit pas impliquée dans des paroxysmes sanglants. »

Sur les antennes de France Culture, le 13 avril 2019, à l’occasion de la 25e commémoration du génocide des Tutsi du Rwanda, le philosophe et politiste Achille Mbembe soulignait l’urgente actualité de l’établissement de la vérité sur la nature de l’engagement français au Rwanda entre 1990 et 1994. Il inscrivait cette question d’histoire dans le registre plus large des questionnements contemporains sur la place et le rôle de la France sur le continent africain.

Si le sujet a d’ores et déjà fait l’objet de nombreuses publications, une terrible controverse entrave cependant depuis la fin des années 1990 la bonne intelligibilité des faits par le public. Celle-ci oppose les tenants d’une responsabilité majeure jouée par la France au Rwanda entre 1990 et 1994 à d’anciens responsables politiques et militaires qui considèrent que la France a constamment œuvré en faveur de la démocratisation du Rwanda et de la paix. Ces discours sur le rôle exemplaire de la France entrent souvent en résonance avec des récits négationnistes qui tendent à minimiser le rôle de l’implication française dans le but d’équilibrer les responsabilités entre les acteurs et de rendre le FPR responsable du génocide des Tutsi.

Cette controverse se trouve en outre alimentée par le refus des autorités françaises d’autoriser l’ouverture générale des archives françaises[1] sur cette question extrêmement sensible où la France se trouve accusée de complicité de génocide[2]. Les enjeux d’une large ouverture des archives françaises sur le Rwanda sont donc lourds, entre écriture de l’histoire, déconstruction des discours de négation et avancées d’une justice qui pourrait se trouver saisie, plus de 25 ans après, le cri


[1] Après avoir été annoncée en avril 2015 par le Président François Hollande, Emmanuel Macron a finalement décidé de réserver cette ouverture à un petit groupe de chercheurs réunis au sein de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994).

[2] Voir notamment sur cette question l’enquête menée par la Commission d’enquête citoyenne : Laure Coret, François-Xavier Verschave. L’horreur qui nous prend au visage. L’État français et le génocide au Rwanda, Éditions Karthala, 2005.

[3] La question de l’accessibilité aux archives françaises sur le Rwanda a constitué un enjeu et une difficulté majeure dans le cadre de l’instruction des plaintes déposées en 2005 par six rescapés rwandais contre des soldats de l’Opération Turquoise dans l’affaire du massacre de Bisesero : « Archives sur le génocide des Tutsi au Rwanda : “l’accès aux sources secrètes doit être étendue aux juges” », Le Monde, 16 avril 2019, p. 25.

[4] La circulation de ces archives et leur publication partielle résultent notamment des déclassifications conduites dans le contexte de la Mission d’information parlementaire de 1998 ou dans le cadre de différentes procédures judiciaires.

[5]  En 1996, le Conseiller d’État Guy Braibant avait proposé 40 mesures pour faciliter l’accès aux archives ; à cette époque, l’accès aux archives De Gaulle était encore bloqué par le Fils du Général de Gaulle (rapport consultable en ligne).

[6] Parmi les principaux contributeurs à ce débat public, citons sans souci d’exhaustivité Benoit Collombat, Raphaël Doridant, Jean-François Dupaquier, François Graner, Monique Mas, Jacques Morel, Gabriel Périès, Patrick de Saint-Exupéry ou David Servenay et à l’étranger Daniela Kroslak, Linda Melvern et Andrew Wallis.

[7] Citons ici à titre d’exemple les travaux de Gérard Prunier, David Ambrosetti, Catherine Coquio ou Raphaëlle Maison.

[8] Voir par exemple : Jean-Pierre Chrétien, « France et Rwanda : le cercle vicieux », Politique a

François Robinet

Historien, Maître de conférence à l'Université de Versailles-Saint-Quentin

Notes

[1] Après avoir été annoncée en avril 2015 par le Président François Hollande, Emmanuel Macron a finalement décidé de réserver cette ouverture à un petit groupe de chercheurs réunis au sein de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994).

[2] Voir notamment sur cette question l’enquête menée par la Commission d’enquête citoyenne : Laure Coret, François-Xavier Verschave. L’horreur qui nous prend au visage. L’État français et le génocide au Rwanda, Éditions Karthala, 2005.

[3] La question de l’accessibilité aux archives françaises sur le Rwanda a constitué un enjeu et une difficulté majeure dans le cadre de l’instruction des plaintes déposées en 2005 par six rescapés rwandais contre des soldats de l’Opération Turquoise dans l’affaire du massacre de Bisesero : « Archives sur le génocide des Tutsi au Rwanda : “l’accès aux sources secrètes doit être étendue aux juges” », Le Monde, 16 avril 2019, p. 25.

[4] La circulation de ces archives et leur publication partielle résultent notamment des déclassifications conduites dans le contexte de la Mission d’information parlementaire de 1998 ou dans le cadre de différentes procédures judiciaires.

[5]  En 1996, le Conseiller d’État Guy Braibant avait proposé 40 mesures pour faciliter l’accès aux archives ; à cette époque, l’accès aux archives De Gaulle était encore bloqué par le Fils du Général de Gaulle (rapport consultable en ligne).

[6] Parmi les principaux contributeurs à ce débat public, citons sans souci d’exhaustivité Benoit Collombat, Raphaël Doridant, Jean-François Dupaquier, François Graner, Monique Mas, Jacques Morel, Gabriel Périès, Patrick de Saint-Exupéry ou David Servenay et à l’étranger Daniela Kroslak, Linda Melvern et Andrew Wallis.

[7] Citons ici à titre d’exemple les travaux de Gérard Prunier, David Ambrosetti, Catherine Coquio ou Raphaëlle Maison.

[8] Voir par exemple : Jean-Pierre Chrétien, « France et Rwanda : le cercle vicieux », Politique a