Rediffusion

Les huit fonctions du rond-point

Sociologue

Après les Gilets Jaunes, les mouvements sociaux ne seront plus jamais les mêmes. Ils ont, à leur façon, créé un nouveau langage politique, avec ses fonctions propres, qui se plient et se déplient suivant les microclimats sociaux, et laisseront des traces bien après cette première année d’existence. Huit fonctions propres, au moins, déduites de nombreux entretiens et surtout d’une année passée sur un rond-point, ou plutôt sur trois ronds-points de l’est du Loiret. Rediffusion du 3 février 2020.

Pendant leur première année d’existence, les Gilets jaunes ont été comparés à tous les soulèvements possibles et imaginables : Bonnets rouges, Mai 1968, jacqueries, poujadistes, Printemps érable, Février 1934, Révolution française… Au fil des mois, cette accumulation est devenue suspecte. Elle reflète la fébrilité de commentateurs désarçonnés qui cherchent – sans gilet et de loin – à transformer ce qu’ils ne comprennent pas en de vieilles connaissances, de vieux rêves ou de vieux démons.

Aujourd’hui, en pleine grève contre la réforme des retraites, après avoir célébré le premier « anniversaire » du 17 novembre 2018 – un anniversaire sans gâteau ni bougies, pour continuer à se battre – il est temps de comparer les Gilets jaunes avec eux-mêmes en revenant à ce qui fait l’originalité de ce mouvement : le rond-point. Non pas le rond-point comme chose incongrue ou exotique, dont le visiteur pressé cherche à épingler l’essence ultime d’un coup d’œil, mais le rond-point comme forme durable de lutte, de l’intérieur, dans ses multiples dimensions, qui font de lui l’unité de base d’une puissante révolte.

De ces rôles ou fonctions du rond-point, huit se distinguent, mais le chiffre importe peu, il y en a peut-être un peu plus ou un peu moins : lieu de ralliement, de blocage économique, d’organisation des actions, de vie en commun, de décision collective, de solidarité, de création, le rond-point est tout cela à la fois. Pour accommoder autrement le goût des comparaisons, disons que la nature du rond-point ressemble au propre de l’homme que les philosophes n’ont toujours pas trouvé – le langage ? le rire ? la main ? – car ce sont plusieurs caractéristiques simultanées, combinées, qui font du rond-point une nouvelle forme d’organisation politique, populaire, radicale et efficace.

Même après les évacuations physiques et la destruction des cabanes par les forces de l’ordre, ces fonctions persistent, car les liens entre Gilets jaunes, même hors du sol fertile des carrefours, sont toujours là, et que les ronds-points continuent à être occupés, ici et là. Ils vont nourrir les prochaines luttes, les prochaines révoltes. C’est en tout cas ce qu’on peut en conclure de nombreux entretiens et surtout d’une année passée sur un rond-point, ou plutôt sur trois ronds-points de l’est du Loiret, car un rond-point n’existe jamais seul : il agit en groupes, par grappes de ronds-points qui s’assemblent pour faire trembler le département, la région, le pays.

1. La fonction de ralliement : le rond-point comme rapprochement des contraires

Ces ronds-points ont, avant tout, rassemblé des individus qui ne se connaissaient pas, semblaient n’avoir rien en commun et n’avaient, pour la plupart, jamais mis les pieds dans une manifestation. Les militants locaux, parfois politiquement engourdis, s’y sont réveillés pour former un ensemble inédit dont les parcours, les métiers, les visions du mouvement sont si différentes qu’il est impossible de les estampiller sans partir d’une liste.

Pour une opératrice de conditionnement en intérim, c’est une manière de se battre plus efficacement qu’à l’usine, où même les embauchées du syndicat ne font plus grève. Pour un autre, artisan-chauffagiste et enseignant en lycée professionnel, c’est une lutte contre les taxes qui ravive les idées d’un grand-père communiste. Pour un troisième, imprimeur à la retraite, passionné d’histoire, c’est une façon de poursuivre le combat des Templiers contre Philippe le Bel et les Infidèles. Pour un autre, c’est le prolongement d’un long engagement syndical à la CGT du secteur de l’énergie. Pour un menuisier, pêcheur de truites, c’est une lutte sans merci qui justifie de construire une petite armée dans le département – au risque de faire de longs mois de prison ferme. Pour une autre, infirmière à l’hôpital, c’est la défense des services publics, en particulier dans le secteur de la santé. Pour un chauffeur-livreur au chômage, endetté, c’est une façon de s’en sortir et de tisser des liens de solidarité qui tendent à disparaître. Pour une autre, tête de liste du Rassemblement national, c’est un moyen de disséminer ses idées plus largement, malgré les oppositions. Pour un neuvième, enfin, ouvrier de la métallurgie à la retraite, anticipant déjà sur le prochain combat, c’est le moyen d’avoir une pension correcte.

Le rond-point agit comme un « centre névralgique » par convergence de différentes « fractions de classe » et d’un éventail inhabituel de convictions politiques. Quelle autre structure politique aura été capable de rassembler, durablement, des professions et des convictions si différentes, du gendarme au cracheur de feu, du maoïste au templier ?

Tous ces Gilets jaunes se sont retrouvés, pendant des mois, sur les mêmes trois ronds-points du Loiret, soudés malgré leurs désaccords qui continuaient de s’exprimer sur les Gilets, de la croix templière rouge à l’antiracisme. On aurait pu s’attendre à la cacophonie, au pugilat. Il y en a eu. Mais le rond-point a surtout servi de catalyseur social opérant une clarification des revendications autour d’un dénominateur commun : suppression des taxes, référendum, hausse des salaires et des pensions, rétablissement de l’impôt sur la fortune.

On a souvent entendu que leurs revendications étaient confuses, mais de l’intérieur, il suffisait de lire les pancartes et les banderoles accrochées aux cabanes, jour après jour, pour s’apercevoir qu’elles ne l’étaient pas, que les mêmes demandes étaient martelées en boucle, quoique dans des ordres variables et sous des formes imprévues, peintes sur des bâches, du bitume, des planches, des croix en bois. En laissant leurs drapeaux respectifs à la maison, les Gilets jaunes ont harmonisé leurs colères.

La première fonction du rond-point consiste donc à rassembler, dans une structure suffisamment forte et souple pour qu’elle n’éclate pas, des groupes sociaux et des tendances politiques distinctes – apparemment contradictoires – autour de quelques revendications claires, qui renforcent une expression unifiée des classes populaires.

2. La fonction contondante : le rond-point comme blocage économique

On a souvent réduit le blocage des ronds-points à une simple interruption de la circulation dont les automobilistes seraient la première cible. C’est très inexact. Le blocage ne s’est jamais fait sans règle ni discernement, il a au contraire été l’objet d’une stratégie discutée jour après jour : faut-il bloquer tous les véhicules, sauf les urgences, ou bien seulement les camions, ou encore les seuls camions internationaux ? La principale cible n’était pas l’automobiliste mais le routier – on est en fait assez loin de l’idée de « référentiel automobilistique » qui amalgame les causes et les revendications – et pas le routier pour lui-même mais pour ce qu’il représente, l’entreprise de transport de marchandises dérégulée, soustraite aux taxes, qui maltraite ses propres employés. En témoignent les nombreuses fraternisations avec les conducteurs bloqués, facilitées par la présence de chauffeurs parmi les Gilets jaunes, comme Éric Drouet à Melun, à quelques kilomètres au nord du Loiret.

En entravant les circulations, c’est l’économie qui était paralysée, contrairement à une représentation opposant la stratégie classique des syndicats, dans l’entreprise, à celle des Gilets jaunes, hors du monde du travail. Cette distinction, souvent étayée par des comparaisons historiques, oublie que les Gilets jaunes ne rejettent pas les syndiqués, mais les responsables syndicaux : lors d’un blocage du Loiret, peu de temps après le revirement des syndicats des routiers, certains conducteurs bloqués manifestaient leur amertume et leur sympathie pour les Gilets jaunes.

Ce blocage économique n’a pas concerné seulement les entreprises de transport mais aussi, comme le dit cet ouvrier dans un grand garage, qui gagne 1500 euros par mois après 30 ans de travail, « les grands groupes commerciaux de la zone, qui sont vraiment contre les Gilets jaunes et ont vraiment tout fait contre nous… On les a plus embêtés, eux, que les commerçants. On a quand même bloqué jusqu’à trois ronds-points en même temps à un moment donné ! » Le blocage gênait surtout les entreprises de la grande distribution comme Leclerc, Carrefour, McDo, Lidl, Gifi, Intermarché ou Auchan, qui ont donné leurs noms à tant de ronds-points mobilisés.

Il faut insister sur ce point, car il a été trop souvent oublié, même dans les meilleurs livres sur le sujet, que les Gilets jaunes ne s’intéressaient pas aux luttes internes aux entreprises et se distingueraient donc fondamentalement de travailleurs en grève[1]. Sur l’un des ronds-points du Loiret, par exemple, le directeur d’un supermarché demandait aux Gilets jaunes d’assouplir les horaires et les formes du blocage, en particulier aux heures de pointe, en échange de caddies pleins d’aliments gratuits. Après délibération, le blocage a été maintenu mais les caddies acceptés, car les conditions étaient favorables. Comme le raconte un artisan chauffagiste de 39 ans particulièrement investi dans le mouvement, un vrai rapport de force économique a fini par s’instaurer vis-à-vis des grandes surfaces :
« Noël approche et ils se disent : « comment ils vont faire des cadeaux, les gens, s’ils ne peuvent pas accéder à notre magasin ? Comment on va faire du chiffre d’affaire ? » Donc eux ils veulent qu’on débloque le samedi. Et nous on leur dit qu’on est bien dans la misère : on a faim, on a soif, il nous faut du café, il nous manque plein de choses. Et on décide par petits groupes d’aller voir Décathlon pour qu’ils nous fournissent des duvets, des chaussures de randonnée, parce qu’on a froid aux pieds, des chaussettes, etc. On met la pression aux magasins. »

Mettre la pression aux magasins : selon la puissance des entreprises et la marge de manœuvre des gérants, les résultats sont contrastés. Bricoman donne des clous et des vis pour les cabanes. Gifi des armoires cartonnées pour les aliments. Intermarché ne répond pas : sa centrale logistique régionale sera bloquée, empêchant l’arrivée cruciale des dindes de Noël. Leclerc est intraitable. A mesure que s’amplifient les pertes de chiffre d’affaire, l’ensemble des gros commerçants, par la voix d’un responsable d’association patronale, considérant selon ce même Gilet jaune que « la cabane et les ballots de paille » « ça fait bidonville », leur « propose de débloquer entièrement le rond-point en échange d’un Algeco. Il est prêt à nous y amener l’électricité, Internet, pour qu’on ait un vrai bureau. »

Soumise à la démocratie du rond-point, la proposition est refusée, comme celle du déblocage en échange des caddies d’aliments gratuits. De toutes ces micro-luttes, certaines attaquent les symboles de la grande consommation, comme la destruction de deux cents caddies au marteau avant d’en jeter les dépouilles dans un grand feu de joie, mais d’autres imposent ce que les syndicats n’ont pas réussi : empêcher des licenciements dans les secteurs les plus précaires, comme parmi les caissières de supermarché.

La seconde fonction du rond-point, au-delà du blocage des carrefours pour se rendre visible, instaure un rapport de force économique local avec les entreprises de transport, de distribution et de vente des marchandises, qui arrache de petites victoires locales et permet d’alimenter symboliquement et matériellement le mouvement.

3. La fonction tactique : le rond-point comme lieu d’organisation des actions

Parmi les Gilets jaunes, on oppose souvent ceux qui restent sur les ronds-points à ceux qui réalisent des actions à l’extérieur. Certes, il y a des affinités tactiques et certains se spécialisent dans des actions que d’autres trouvent trop radicales ou inutiles, et inversement : les partisans des actions disent souvent qu’ils ne sont pas là pour « passer le temps », pour « prendre le thé », pour faire « salon ». Mais en réalité le rond-point articule les deux groupes en permanence, car il sert de quartier général où se retrouver pour s’informer et planifier les actions à venir, avec un minimum de prudence que ne permet pas Facebook.

Même Signal, Telegram et Proton, messageries cryptées, sont moins sûres qu’un échange physique d’information en bord de route, entouré de bruits de circulation qui brouillent de possibles enregistrements. En amont, on s’informe et on prépare. En aval, on raconte, on loue et on critique les actions, qui, dans le cas du Loiret, ont été fort nombreuses, et dont la liste suivante n’est absolument pas exhaustive : opérations escargots, péages gratuits, murage du centre des impôts, coupure d’électricité d’une zone industrielle, blocage d’un centre de tri postal menacé de fermeture, d’une plate-forme logistique d’Intermarché, d’Amazon, de la raffinerie de Saran, de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly…

Non seulement toutes ces actions ont été préparées et discutées sur les ronds-points, mais c’est bien souvent depuis les ronds-points, comme lieux de rendez-vous secondaires au petit matin, qu’elles sont réalisées. Pour aller à la manifestation à Paris, par exemple, on se donne rendez-vous à 5h du matin pour parcourir les 127 kilomètres qui séparent le rond-point Cacahuète d’Amilly de celui des Champs-Élysées. Au retour, à force de commenter les événements marquants – Élysée barricadé, violence des forces de l’ordre avec photos sanglantes à l’appui, gardes à vue et comparutions « immédiates » du lundi après-midi, incendie du Fouquet’s, grilles des Tuileries effondrées, défonçage de la porte du ministère – se forge un récit collectif de la lutte, qui s’épaissit.

La troisième fonction du rond-point consiste à préparer, réaliser et discuter collectivement des actions à distance, sous une forme plus prudente et efficace que sur les réseaux sociaux, puis à fabriquer progressivement, en racontant ces opérations, un récit collectif de l’affrontement contre le gouvernement.

4. La fonction délibérative : le rond-point comme lieu de décision collective

« Pas de mouvement sans AG » : cette identification classique du mouvement social à l’une de ses composantes, l’assemblée générale, est particulièrement nette dans les mouvements étudiants[2]. Elle est fortement remise en cause par la façon de faire des Gilets jaunes, qui se caractérise par une défiance à l’égard des réunions, souvent jugées inutiles ou génératrices de tensions.

Inutiles, car il est souvent plus efficace de bloquer pour se faire entendre que de discuter sans fin. De ce point de vue l’une des forces du mouvement était de considérer que l’action doit précéder la délibération, pour éviter l’enlisement, ce qui est rarement le cas en politique. Génératrices de tensions, car c’est dans les discussions, quand elles ne sont pas concentrées sur un point précis, que se révèlent des divisions, des affrontements personnels ou idéologiques, qui auraient pu être évités, et qui reconduisent de petites dominations dans les prises de parole.

Plus précisément, les assemblées de Gilets jaunes – qui bien évidemment sont différentes selon les endroits – ont pour particularité d’être des moments courts de discussion en vue de l’action, des assemblées non-générales intégrées parmi de nombreuses autres tâches à la vie du mouvement, aux antipodes de certaines assemblées de grévistes où seuls parlent les responsables devant des travailleurs taciturnes. L’assemblée, même si elle fait partie du mouvement et cherche à le structurer à différentes échelles – de l’assemblée locale à l’Assemblée des assemblées – n’est donc en aucune façon son cœur battant, même si, dans certains groupes, elle s’est imposée au fil des mois.

Pourtant, certains ont vu dans le rond-point une « petite république », un « parlement du peuple », voire « l’agora de ceux qui ne s’exprimaient plus » – l’avis des Gilets jaunes du Loiret confirme en partie ce point de vue. Pour un ancien garde républicain, « on avait fait une mini-République, une Assemblée nationale. J’ai dû voter sur au moins dix trucs ! On prenait des idées, on faisait des textes, on débattait toutes les idées. Sans politique, mais chacun par rapport à ses convictions… » Pour un éleveur de chevaux, responsable de rond-point, le vote était un outil important, permettant de régler démocratiquement les problèmes, par exemple les volontés de s’approprier la cabane : « J’ai été le voir – c’était un gamin qui avait 21 ans – je lui ai dit : “écoute, j’ai entendu que tu voulais reprendre la cabane, parce que vous étiez les premiers là, alors on va faire une élection à main levée !” Ce soir-là on était 60, il n’y en a pas un qui a voté pour lui. Je lui ai dit : “maintenant s’il y a quelque chose qui ne te plaît pas, tu rentres chez toi !” Et donc on l’a plus revu ». Le recours à la délibération collective dénoue le conflit quand il surgit mais ne le précipite pas.

Au-delà des métaphores républicaines et des votes, rarement systématiques, la force d’attraction du rond-point réside aussi dans sa capacité à déplacer le centre d’attention du lieu habituel du pouvoir vers le « non-lieu » du rond-point, en poussant les notables à se positionner, à écouter, à rendre des comptes. Le sous-préfet et le député du Loiret, qu’aucun Gilet jaune n’avait rencontrés personnellement auparavant, arrivent sur le rond-point :
« On devait être une trentaine. On a commencé à discuter avec eux, ils nous ont demandé ce qu’on voulait. Les ordres devaient venir d’en haut, pour que le sous-préfet vienne comme ça… Ils avaient reçu des directives, j’en suis persuadé. On a commencé à discuter avec eux. Je te donne mon avis, c’est parti dans tous les sens, chacun donnait sa revendication personnelle : “moi ma retraite n’est pas assez grosse, il faudrait l’augmenter”, “ouais moi mon boulot…”. Certains travaillent dans le centre hospitalier à Montargis : “il faudrait qu’il y ait plus de gens pour qu’on puisse travailler correctement !” »

Transformé en bain de revendications où sont brièvement plongés les plus hauts représentants des pouvoirs législatifs et exécutifs locaux, le rond-point rappelle aux notables le sens des réalités sociales et l’urgence des besoins économiques, laissant chez certains Gilets jaunes, après la sortie du bain, un arrière-goût aigre-doux : le sentiment qu’il est « possible d’être entendu », de forcer le pouvoir à descendre de sa tour ; l’impression que « ces deux-là vont se torcher avec nos revendications ». Indépendamment de ses suites, ce rapprochement imposé est une petite victoire politique du rond-point. Il sera suivi, quelques mois plus tard, par un événement similaire, à l’échelle internationale : la visite du ministre italien Di Maio aux Gilets jaunes du Loiret, baptisée « le coup de Montargis » par le Canard enchaîné, qui déclenchera une petite crise diplomatique, avec le rappel de l’ambassadeur de France à Rome par Emmanuel Macron, court-circuité dans sa politique internationale par les Gilets jaunes du Loiret.

La quatrième fonction du rond-point consiste à intégrer les assemblées – générales ou non générales – à l’activité du rond-point, sans les sacraliser ni les systématiser : le vote n’est que l’une des voies possibles de la décision collective, dont la force d’attraction déplace le centre d’attention politique en forçant les notables à rendre des comptes.

5. La fonction communautaire : le rond-point comme lieu de vie

Les cabanes des Gilets jaunes ont fait couler beaucoup d’encre. Sur le papier glacé des magazines, elles donnent l’impression d’une invention pittoresque, du cocon d’enfant perché dans l’arbre, du joli monde replié sur lui-même : c’est la cabane vue par les privilégiés, celle qui consiste à « se faire une petite tanière dans des lieux supposés préservés et des temps d’un autre temps[3]. » Installées dans les endroits les plus dangereux et les plus éloignés possibles des clairières de contes de fées – dans le trafic de poids-lourds transcontinentaux – elles font penser à la tour de guet, au camp retranché, avec ses meurtrières et sa peur de l’assiègement : c’est la cabane des Gilets jaunes, qui ne bénéficie que rarement du soutien ferme du maire contre la préfecture – c’est le cas dans un seul des ronds-points du Loiret.

A l’intérieur, cependant, ce sont bien des habitudes de vie collective quasi-familiales qui sont adoptées. Dans le mode de construction, d’abord, avec l’apport des outils, des techniques et des matériaux, qui tissent une solidarité matérielle et transmet des savoir-faire : on apprend à fabriquer un banc en bois, à installer une porte-fenêtre à l’horizontale pour guetter les camions, un toit étanche, un mur de pneus imbibés d’essence en cas d’attaque. Dans l’ameublement et la décoration, ensuite : bidons en métal transformés en fours à rôtis, frigidaires, canapés, bars, posters d’épices marocaines, tables basses, drapeaux – français pour la plupart mais aussi un turc – accueillent les nouveaux arrivants. Dans la disposition des pièces, aussi, avec une chambre à l’arrière pour se reposer à tour de rôle, un salon pour discuter, des toilettes, un projet de salle de bain, l’ensemble alimenté par une technique de récupération d’électricité tenue secrète que même les agents d’EDF, après plus d’une visite, n’ont jamais découverte. Dans ces lieux, mille et une discussions informelles se déploient, jouent le rôle de l’assemblée non-générale permanente.

Fin novembre, certains se sont même installés à demeure dans ces cabanes – qui permettent au mouvement de « tenir » – jusqu’à y installer une boîte aux lettres pour recevoir le courrier. La répartition des rôles, si elle donne souvent une place centrale aux femmes, est parfois traditionnelle : « les plus anciens restaient pour assurer la visibilité, les femmes faisaient beaucoup à manger, j’avoue ; nous on partait en opération, par contre on était tous ensemble quand il fallait construire la cabane. »

Des couples se sont formés, d’autres se sont défaits, transformant en réalité le slogan commode de la « grande famille » des Gilets jaunes, qui, comme toute famille, surtout en période de fêtes, connaît ses conflits fratricides et ses désirs d’autosubsistance. Les conflits se sont cristallisés par des incendies de cabanes, tantôt inexpliqués et faisant planer le soupçon d’hommes de mains des notables, tantôt expliqués et revendiqués, par exemple par un Gilet jaune victime de racisme et manifestant son désaccord par le feu, révélant ainsi l’une des fractures du mouvement et donnant naissance, par la suite, à deux nouvelles cabanes jumelles construites de part et d’autre du même rond-point. Chacune correspondait à une tendance politique, à droite et à gauche, matérialisation symétrique des lignes de faille idéologiques du mouvement.

Quant aux projets de communauté, ils ont souvent germé dans la continuité de cette expérience des cabanes, comme celui d’un Gilet jaune surnommé « l’architecte de la cabane » : « Lui, son grand projet, c’était de nous fédérer chez lui, pour qu’on exploite un hectare en légumes, d’amener des vaches, des poules, des chèvres, et d’essayer de faire un “truc” … » Mais le « truc » en question, cette communauté des Gilets jaunes encore mal définie – non théorisée, différente du phalanstère, de la commune, du kibboutz ou du soviet – ne verra pas vraiment le jour.

La cinquième fonction du rond-point consiste à ancrer, dans une maison fabriquée par la mise en commun des compétences, des outils et des matériaux, une communauté d’existence quotidienne qui décuple les liens sociaux, dont l’amitié et l’amour, et fait naître des projets de vie collective, parfois durable, mais encore non théorisés et fragiles.

6. La fonction thérapeutique : le rond-point comme lieu de solidarité

 Un jour froid du mois d’avril 2019 – soit près de cinq mois après le début du mouvement et trois mois après la destruction des cabanes – arrive sur l’un des trois rond-point un homme aux yeux embués de larmes. Il a l’air sonné, n’est jamais venu jusqu’à présent et se retrouve ici sur les conseils de l’un de ses voisins, Gilet jaune très actif. L’homme ne parle ni de politique, ni de cabane, ni de vie en commun. Il ne connaît ni Etienne Chouard, ni Priscilla Ludosky. Il n’arrive à exprimer qu’une seule chose : la tristesse qu’il ressent depuis la mort de son chien, qui s’est « étouffé lui-même de l’intérieur » il y a deux jours, après de longues douleurs intestinales qu’il décrit minutieusement, médicalement, comme s’il souhaitait, en répétant son récit, partager le poids du deuil. Si ce deuil est douloureux, c’est que cet homme vit seul et n’avait pour seul compagnon, pour seule société, depuis de nombreuses années, qu’un animal fidèle. Depuis deux jours, la solitude et les idées noires l’assaillent et le poussent à venir chercher, sur le rond-point, une denrée rare et précieuse : des oreilles attentives.

Ce cas de solidarité pratique n’est qu’un exemple, parmi des milliers d’autres, de soutien moral prodigué par les Gilets jaunes, qui ne demandent rien en retour, qui ne posent pas de question, qui accordent simplement leur aide de principe aux voyageurs de passage. Sur les ronds-points du Loiret, c’est le plus souvent une aide matérielle – le gîte et le couvert – qui est offerte à ceux qui en ont besoin. Un tout jeune homme en fuite et des personnes sans domicile ont, entre autres, habité quelques temps sur le rond-point, dans une tente, dans une pièce derrière le bar, sans être dénoncés aux forces de l’ordre qui sont pourtant venues les y chercher. Ils ont pu dormir, manger, parler gratuitement. Une femme handicapée physique et une autre instable psychologiquement venaient régulièrement chercher du réconfort dans un cadre non médical, peu normatif, tandis que les problèmes de drogue et d’alcool, nombreux, trouvaient une soupape de sécurité, quitte à fissurer la solidarité entre Gilets jaunes, qui n’est, hélas, pas à toute épreuve – et qui imposait des règlements collectifs stricts, comme l’interdiction de boire de l’alcool.

La solidarité s’est souvent organisée collectivement, essentiellement pour fournir de la nourriture à ceux qui en ont besoin, mais aussi pour de nombreuses autres choses : des emplois, des vêtements, des cadeaux. Compensation hirsute des institutions qui ne marchent pas, du Pôle emploi à l’hôpital en passant par l’école, le rond-point comble le vide de la vie. Le jour de l’anniversaire du 17 novembre, un maçon a trouvé du travail sur le rond-point : le client était venu chercher « exclusivement un Gilet jaune » pour construire un mur, un cas de discrimination positive à l’embauche moins rare qu’on pourrait le croire. Dans les jours précédents le 24 décembre, à côté d’un père Noël gonflable, dans un grand container, les cadeaux se sont accumulés et ont été distribués aux enfants dont les familles n’ont pas d’argent, souvent de la part de personnes dans une situation similaire, d’une façon directe, assez éloignée, donc, des formes habituelles de la charité.

La fonction thérapeutique du rond-point consiste à partager gratuitement et sans contrepartie un soutien matériel, moral et affectif avec ceux qui en ont besoin, sous une forme plus égalitaire et informelle que celle de la charité, dans le vide assourdissant des services publics qui désertent les campagnes.

7. La fonction militante : le rond-point comme lieu de formation politique

Si la notion d’« apprentissage sur le tas » a un sens, c’est bien sur le rond-point, un espace où il n’existe pas de canal de formation comparable aux stages, aux universités d’été, aux ateliers de lecture, et où l’école est souvent perçue comme un lieu d’échec et d’oppression. Pourtant, en côtoyant des personnes d’autres milieux sociaux, avec des métiers, des façons de penser et des parcours si variés, il est difficile de ne pas repartir, à chaque fois, avec des connaissances en plus.

Comme les méthodes classiques du syndicalisme et des partis n’y sont pas transmises directement, non seulement parce qu’elles ne sont pas les bienvenues mais aussi parce qu’elles sont rares – comme le dit un fin observateur d’un bourg rural de Lorraine, « localement, les chances de porter un Gilet jaune semblent augmenter en proportion inverse du degré d’implication partisane, ce qui donne [au mouvement] un air de révolte des profanes » – et parce qu’elles y sont déroutées – rares sont les militants qui savent bloquer  un péage, monter une cabane ou organiser une manifestation sans cortège – le type de politique qui s’apprend sur le rond-point est d’un nouveau genre.

Les tracts des Gilets jaunes sont donc, eux aussi, d’un nouveau genre. C’est le cas de celui qui est mis au point le vendredi 1er février 2019, au rond-point de Châlette, avant d’être distribué trois jours plus tard, au petit matin, aux chômeurs qui viennent pointer au Pôle Emploi. Le Gilet jaune qui s’en charge, stylo à bille à la main, sur un coin de table de jardin en plastique blanc, n’aime pas les tracts « bourrés de chiffres », « écrits en tout petit », que « personne ne lit ». Il rédige un tract mais n’aime pas les tracts. Ces bouts de papier servent à discuter, pas à lire. Il faut donc faire un tract qui n’est pas un tract : un « appel » ? Un « message » ? Une « petite affiche à distribuer » ? Une « lettre » versifiée.

La lettre des Gilets Jaunes

Travailleur tu l’as été,
Au chômage tu es tombé,
Du boulot tu vas rechercher,
Peu d’offres te sont proposées.

Le temps est vite passé,
Fin de droit ASS/RSA tu seras,
Cette vie t’étranglera, tu survivras,
Les dettes sont apparues, tu n’en peux plus,

Tu espères ne pas te retrouver à la rue.

Macron t’oublie, t’ignore, t’insulte,
Enfile ton gilet jaune, si t’es d’accord,
Agissons tous ensemble !
Viens rejoindre ton combat !

Après avoir recherché des titres littéraires – « Tomber au Fond de l’Enfer » ? « La Spirale du Chômage » ? « La Spirale de l’Enfer » ? « Au Fond du Trou » – un militant propose une formule plus classique – « Contre le chômage ? Le gilet jaune ! » – mais il ne convainc pas. La combinaison des registres – « Sortir de la spirale du chômage avec les Gilets jaunes ! » – est indigeste et c’est donc une lettre versifiée qui sera distribuée au Pôle Emploi. Il s’agit ici d’une formation politique inversée, car les non-militants, en cherchant de nouvelles méthodes, dévient de leurs trajectoires les militants plus expérimentés, ce qui permet d’ouvrir le champ d’expression habituel du militantisme, en le dépoussiérant.

Cependant, fréquentes sont les reconversions méthodologiques, ou, plus simplement, les inflexions d’anciennes habitudes, comme c’est le cas lors du blocage du minuscule rond-point – au terre-plein d’un diamètre inférieur à dix mètres – qui permet d’accéder à un centre de tri de la Poste. La logistique du blocage incombe à un Gilet jaune retraité de la CGT-Énergie, qui récupère une banderole – « Contre la fermeture du bureau de poste de Vésines ! » – et l’installe à cinq heures du matin avec l’aide des Gilets jaunes Templiers.

Parmi les visiteurs ponctuels, autour de l’étrange sculpture du terre-plein qui ressemble à un sapin en tubes métalliques, nous rencontrons une agente de la DGSI venue nous surveiller. Elle se dit proche des Gilets jaunes et semble autant sous l’influence du mouvement que l’inverse, comme l’agent infiltré parmi les Gilets jaunes bretons du roman Les Écœurés. Plus tard, un conseiller municipal local, par ailleurs champion de Taekwondo, vient nous serrer la main. De tout cet apprentissage politique à l’envers, de toute cette richesse relationnelle, dans l’entrefilet de la République du centre, à la rubrique « Faits divers », il ne restera rien.

La septième fonction du rond-point promeut une formation politique inversée, où les profanes enseignent aux plus chevronnés, en décapant les vieilles habitudes militantes pour mieux les incorporer à la démarche des Gilets jaunes par l’utilisation d’un langage plus simple et plus créatif que les tournures et les slogans militants habituels.

8. La fonction spectaculaire : le rond-point comme lieu de création

Les cabanes ne sont pas simplement des espaces fonctionnels. Ce sont aussi de belles choses : elles sont peintes, aménagées, décorées, précises ou grandioses, jusqu’à la tour Eiffel en palettes de onze mètres de haut au rond-point du Cannet-des-Maures. Elles incorporent des centaines d’heures de travail artistique non rémunéré, dont les sculptures d’art brut qui en résultent sont souvent bien plus enthousiasmantes que les commandes municipales qu’elles rejettent dans l’ombre. Mais l’architecture et la sculpture ne sont pas les seuls arts convoqués. Le théâtre et le cirque sont omniprésents, sous des formes tantôt codifiées, tantôt informelles.

A Nemours, l’organisation d’une Carnamanif – l’enfant illégitime du carnaval et de la manifestation – où les Gilets jaunes sont tous déguisés sur le thème de la « Justice Jaune » qui retourne, caricature les simulacres de la justice et de la répression, ponctuée par des crachements de feu comme à chaque manifestation à Montargis, n’est que l’une des expressions multiples d’un désir de se mettre en scène, de dramatiser les questions sociales pour se faire entendre. Depuis un an, certains Gilets jaunes se déguisent plusieurs fois par semaine, à la fois pour passer inaperçus et se rendre célèbres, la contradiction n’est qu’apparente, sur le principe même du Gilet jaune qui permet de se fondre dans une masse tout en se distinguant par des inscriptions personnelles.

Cette théâtralisation des relations sociales peut prendre des tournures directement politique – comme la représentation courante d’Emmanuel Macron en pendu, ou en Louis XVI avant ou après la guillotine – ou plus discrètes, débordant largement les temps de manifestations. Elle imbibe tout le quotidien des ronds-points, où il n’est pas rare de trouve onze croix jaunes en l’honneur des Gilets morts au combat, ou encore des yeux tenus par des mains ensanglantées, peintes sur des toiles, des bâches, des gilets.

Mais la fonction artistique est loin d’être une ode au martyr. Elle devient souvent une fonction ludique, voire euphorique, qui rend presque impossible de s’ennuyer sur un rond-point. Sur l’un des ronds-points du Loiret, il y a eu une mode consistant à accrocher des pinces à linge sur les vêtements des uns et des autres à leur insu, puis le procédé a déraillé, conduisant l’un des joueurs à se transformer douloureusement en homme-pince-à-linge – il avait des pinces à linge accrochées au nez, aux joues, aux oreilles – pour arrêter les voitures en chantant « Emmanuel Macron, grosse tête de… etc. » sous les yeux des automobilistes effarés, transformés en public captif. Théâtre dans le théâtre, le même Gilet jaune imitait, à lui seul, l’opération escargot, en rampant sur le rond-point pour bloquer la circulation. Il se déplace d’un rond-point à l’autre à l’arrière d’un scooter, conduit par un Gilet jaune portant cravate jaune, lunettes de soleil et perruque blonde, une tenue déconseillée pour les distributions de tract devant les usines au petit matin.

La huitième fonction du rond-point, en incorporant l’art à la vie quotidienne du rond-point, par la sculpture, le théâtre, les performances et le jeu, a pour effet de désennuyer la lutte sociale en démontrant que la colère et le rire ne s’opposent pas : quand la victoire se fait attendre, l’euphorie permet la persévérance. 

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Quand il distingue les six fonctions du langage en 1960, le linguiste russe Roman Jakobson ne le découpe pas en tranches isolées les unes des autres mais montre au contraire que toute prise de parole consiste à effectuer différentes tâches simultanément : lorsque nous parlons, nous exprimons et représentons le monde extérieur, nous maintenons des liens entre nous et suscitons des réactions chez notre interlocuteur, nous créons de belles phrases et nous mettons en scène notre propre parole.

Les Gilets jaunes ont, à leur façon, créé un nouveau langage politique, avec ses fonctions propres, qui se plient et se déplient suivant les microclimats sociaux. Un peu plus de solidarité par ici, un peu moins de spectacle par là-bas… Ce langage propre, avec ses plis et replis, on ne peut le comprendre en se contentant de comparaisons avec d’autres soulèvements ou d’autres langages déjà existant, comme ceux des partis, des syndicats ou des associations : il faut l’apprendre, et donc se mettre à le parler, porter son gilet jaune, passer des mois sur les ronds-points et les manifestations, au risque de trouver les vieux cortèges plus ternes, plus guindés et souvent moins démocratiques. Dans cette nouvelle façon de remettre en cause le pouvoir, le rond-point, et surtout les grappes de ronds-points ou grappes giratoires – qui tissent plusieurs ronds-points entre eux – sont un moment de recomposition politique qui laissera des traces bien après cette première année d’existence, dont la radicalité pousse les luttes sociales vers plus d’audace et d’invention.

 

Cet article a été publié pour la première fois le 3 février 2020 dans le journal AOC.

 


[1] Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-points, La Découverte, Paris, 2019 ; Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde – L’Aube, 2018.

[2] Julie Le Mazier, « Pas de mouvement sans AG » : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires, thèse de doctorat de Science politique, Université Paris 1, 2015.

[3] Marielle Macé (2019), Nos cabanes, Verdier, Paris, p. 27.

Quentin Ravelli

Sociologue, Chargé de recherche au CNRS

Notes

[1] Laurent Jeanpierre, In Girum. Les leçons politiques des ronds-points, La Découverte, Paris, 2019 ; Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde – L’Aube, 2018.

[2] Julie Le Mazier, « Pas de mouvement sans AG » : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires, thèse de doctorat de Science politique, Université Paris 1, 2015.

[3] Marielle Macé (2019), Nos cabanes, Verdier, Paris, p. 27.