Rediffusion

Combattre le néolibéralisme autoritaire sans nourrir l’antilibéralisme politique

Philosophe

Alors que, partout dans le monde, le néolibéralisme autoritaire et décomplexé tend à s’imposer comme norme gouvernementale, les libertés individuelles sont de plus en plus menacées. Il importe alors de ré-invoquer l’héritage du libéralisme politique tel que formulé par le philosophe John Dewey, selon lequel les libertés politiques fondamentales doivent absolument être défendues contre les intérêts économiques de l’État. Rediffusion du 10 février 2020

Dans un ouvrage de 1935 intitulé, Liberalism and Social Action, significativement et malencontreusement traduit en français sous le titre Après le libéralisme, le philosophe américain John Dewey proposait une lecture des combats politiques des derniers siècles : pour lui, les grands penseurs et acteurs politiques du libéralisme politique avaient vu la nécessité de poser des limites au pouvoir politique et de garantir des droits des individus, de mettre en cause les racines de l’arbitraire de l’État en imaginant des instances de contrôle et de division des pouvoirs, de prévenir la tendance vers la toute-puissance, l’absolutisme ou ce qu’on commence alors à nommer totalitarisme en construisant des mécanismes de révocation des dirigeants, par voie électorale bien sûr, mais éventuellement en suivant d’autres procédures en cas de violation caractérisée de la loi (l’impeachment américain, dont on connaît l’actualité…).

Néanmoins, aux yeux de Dewey, ces penseurs et acteurs politiques s’étaient arrêtés en chemin : d’abord parce qu’ils avaient eu tendance à limiter la prérogative des libertés à défendre le suffrage aux hommes blancs, parfois pourvus d’un niveau de revenus déterminé ; ensuite parce qu’à côté du pouvoir politique, il restait une grande source de domination et d’oppression à réguler et à contrôler : le pouvoir économique. L’exigence d’un « contrôle social » de l’économie n’inscrivait pas Dewey, dans sa propre vision, hors de l’héritage du libéralisme politique, mais plutôt dans l’extension de celui-ci à la sphère sociale.

Un libéralisme réorienté vers l’action sociale

Cette extension se heurtait à une compréhension purement « non-interventionniste » du libéralisme en matière économique (le « laisser-faire »), que Dewey mettait donc en question ou dont il montrait qu’elle avait été le propre des premières générations de libéraux mais qu’elle avait ensuite dépassée au profit de « l’idée que l’action gouvernementale devait servir à aider ceux qui sont économiquem


[1] John Dewey, Après le libéralisme : Ses impasses, son avenir, Climats, 2014, p. 86

[2] Jean-Claude Monod, L’Art de ne pas être trop gouverné. Sur les crises de gouvernementalité, Seuil, 2010 ; Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, La Fabrique, 2018.

[3] Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, trad. fr., éd. Ars Magna, 2013 ; « Carl Schmitt, 5 leçons pour la Russie », 1991, disponible en français sur les sites geopolitica.ru ou Breizh-info.com.

Jean-Claude Monod

Philosophe, Directeur de recherche en philosophie au CNRS

Notes

[1] John Dewey, Après le libéralisme : Ses impasses, son avenir, Climats, 2014, p. 86

[2] Jean-Claude Monod, L’Art de ne pas être trop gouverné. Sur les crises de gouvernementalité, Seuil, 2010 ; Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, La Fabrique, 2018.

[3] Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, trad. fr., éd. Ars Magna, 2013 ; « Carl Schmitt, 5 leçons pour la Russie », 1991, disponible en français sur les sites geopolitica.ru ou Breizh-info.com.