Vivre ensemble dans un monde déboussolé
Tout se passe comme si, en se mondialisant, les sociétés avaient perdu le Nord. Les inégalités ont augmenté en même temps que la croissance et les tensions se sont renforcées avec la lutte contre le terrorisme et le changement climatique. Il y a plusieurs années que nous observons le désordre d’un monde pris dans les tourbillons de vents contraires : sécurité/liberté, compétition/coopération, innovation/conservation, exclusion/intégration[1].
Mais la pandémie du Covid-19 a créé un effet sans équivalent, à la fois de révélateur et d’accélérateur. Un pays comme la France, qui porte encore au fronton des mairies la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », adoptera-t-il, si la sécurité devient le premier des droits, la nouvelle devise planétaire « Sécurité, Efficacité, Prédictibilité » ?
Dans un tel contexte, où trouver une boussole ? Pendant longtemps, chaque communauté avait son Nord symbolique, imposé par les dispositifs juridiques, droit écrit ou coutumier, les rites, voire les commandements religieux. Selon la manière dont la mémoire et l’oubli avaient structuré son histoire, chacune s’était organisée autour de ce pôle d’attraction. Mais la mondialisation se déploie en toutes directions. Littéralement « déboussolés », nous errons dans la nostalgie d’une mémoire qui n’existe guère à l’échelle planétaire, ni même à l’échelle de l’Europe.
À la différence des communautés nationales, unies par leur histoire et la mémoire d’un passé commun, la communauté mondiale ne pourra s’unir qu’en prenant conscience de son destin commun. À la mémoire, s’ajoute ainsi l’anticipation. À défaut d’une histoire commune, ce sont les récits d’anticipation qui esquissent les destins possibles.
Des récits d’anticipation
Le récit le plus répandu, notamment dans les nouvelles générations, est le récit-catastrophe devenu un courant de pensée, la collapsologie, qui annonce le Grand effondrement. Il se développe « non pas comme un moment apocalyptique ponctuel, mais comme