International

L’Allemagne en morceaux : unification et fractures territoriales

Historien

Ce samedi 3 octobre marque le 30ème anniversaire de la réunification allemande. A contre-courant de la manière ritualisée dont les médias ont l’habitude d’en faire le bilan, prendre l’exemple de Zeitz, une ville anciennement industrielle de l’ex-RDA, pour en analyser l’évolution socio-économique, démographique et politique depuis 1990 permet de sortir d’un discours opposant Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est. Et de mesurer combien, sous l’effet des politiques néolibérales mises en œuvre depuis trente ans, l’Allemagne, loin de s’être réunifiée, s’est fragmentée en mille morceaux.

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À l’occasion de chaque grand anniversaire commémoratif dont le prochain se profile à l’horizon dans quelques semaines, l’automne constitue tant en France qu’en Allemagne une fenêtre d’opportunité médiatique pour dresser de manière ritualisée le bilan de l’unification allemande. Ce moment commémoratif vise surtout à mettre en scène un acteur qui n’a jamais réellement existé en tant qu’entité collective : ce peuple de l’ex-RDA uni dans un triple sentiment de déclassement, de frustration et de colère[1] par rapport aux promesses faites en 1990 par le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl : « Grâce à nos efforts communs, grâce à la politique d’une économie sociale de marché, le Brandebourg, le Mecklembourg, la Saxe-Anhalt, la Saxe et la Thuringe deviendront en l’espace de quelques années seulement des paysages florissants[2]. »

Le rituel commémoratif du bilan

Des reportages articulant images d’archives et témoignages d’Allemands de l’Est « ordinaires » construisent par couches successives un certain type de récit historico-mémoriel en deux actes : aux images iconiques de joie et de liesse collective exprimées lors de la chute du Mur et de l’unité allemande (comme si les deux événements étaient mécaniquement liés alors que le 3 octobre 1990 n’est absolument pas le résultat du 9 novembre 1989) se succèdent généralement celles des ruines post-industrielles, des violences xénophobes et antisémites, des manifestations de la droite extrême dans l’espace public comme à Dresde ou à Chemnitz. Des références chiffrées au coût de la rénovation des infrastructures de transport et des centres urbains ou au développement économique de certaines zones dynamiques autour des grandes métropoles comme Berlin, Leipzig ou Iéna viennent objectiver et corriger un discours médiatique largement dominé par l’image de victime associée à la figure du Ossi, ce perdant de la réunification qui a fait le choix de la liberté et du matérialisme au détriment d’une troisième voie entre capitali


[1] Voir le tout récent ouvrage du sociologue allemand Detlef Pollack, Das unzufriedene Volk. Protest und Ressentiment in Ostdeutschland von der friedlichen Revolution bis heute

[2] À ce propos, se référer au discours télévisé d’Helmut Kohl prononcé le 1er juillet 1990 à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité d’union monétaire, économique et sociale, Bulletin des Presse und Informationsamts der Bundesregierung, n° 86, 3 juillet 1990.

[3] Sur ce point, voir le dossier « La France des « gilets jaunes » », Le Débat, mars-avril 2019, n° 204.

[4] Dès 1868, Zeitz comptait une section de « l’Association générale des travailleurs allemands » fondée cinq ans plus tôt par Ferdinand Lassalle.

[5] Diana Scott, « Nos ruines », Vacarme, n° 60, 2012, p. 183.

[6] Nicolas Offenstadt, Urbex RDA. L’Allemagne de l’Est racontée par ses lieux abandonnés.

[7] Cette usine spécialisée dans la liquéfaction du charbon et destinée à produire des hydrocarbures synthétiques appartenait avant 1945 au conglomérat BRABAG (Braunkohle Benzin AG). Dans le cadre du plan de quatre de Göring en 1936, cette entreprise avait développé un site à Zeitz qui abrita pendant la guerre un camp de travail. C’est là qu’Imre Kertész fut envoyé comme travailleur déporté après un premier passage par Auschwitz et Buchenwald. L’écrivain hongrois prix Nobel de littérature en 2002 évoque ce séjour dans son roman Être sans destin.

[8] La ville comprenait 46 500 habitants au milieu des années 1960.

[9] Bertelsmann-Stiftung, Demographiebericht Zeitz, 2017, p. 6 et suivantes.

[10] Depuis son élection, A. Poggenburg a été exclu de l’AfD en raison de son implication dans un scandale financier et de ses propos xénophobes envers la communauté turque d’Allemagne. Il a fondé en janvier 2019 un mouvement appelé Sursaut des patriotes allemands qu’il a finalement quitté quelques mois plus tard.

[11] Stadtarchiv Zeit, Rat des Kreises Zeitz, Abt. Volksbildung Kreisplankommission, 382, Analyse zur ökonomischen Entwicklung der Stadt

Emmanuel Droit

Historien, Professeur d’histoire contemporaine à Sciences Po Strasbourg

Notes

[1] Voir le tout récent ouvrage du sociologue allemand Detlef Pollack, Das unzufriedene Volk. Protest und Ressentiment in Ostdeutschland von der friedlichen Revolution bis heute

[2] À ce propos, se référer au discours télévisé d’Helmut Kohl prononcé le 1er juillet 1990 à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité d’union monétaire, économique et sociale, Bulletin des Presse und Informationsamts der Bundesregierung, n° 86, 3 juillet 1990.

[3] Sur ce point, voir le dossier « La France des « gilets jaunes » », Le Débat, mars-avril 2019, n° 204.

[4] Dès 1868, Zeitz comptait une section de « l’Association générale des travailleurs allemands » fondée cinq ans plus tôt par Ferdinand Lassalle.

[5] Diana Scott, « Nos ruines », Vacarme, n° 60, 2012, p. 183.

[6] Nicolas Offenstadt, Urbex RDA. L’Allemagne de l’Est racontée par ses lieux abandonnés.

[7] Cette usine spécialisée dans la liquéfaction du charbon et destinée à produire des hydrocarbures synthétiques appartenait avant 1945 au conglomérat BRABAG (Braunkohle Benzin AG). Dans le cadre du plan de quatre de Göring en 1936, cette entreprise avait développé un site à Zeitz qui abrita pendant la guerre un camp de travail. C’est là qu’Imre Kertész fut envoyé comme travailleur déporté après un premier passage par Auschwitz et Buchenwald. L’écrivain hongrois prix Nobel de littérature en 2002 évoque ce séjour dans son roman Être sans destin.

[8] La ville comprenait 46 500 habitants au milieu des années 1960.

[9] Bertelsmann-Stiftung, Demographiebericht Zeitz, 2017, p. 6 et suivantes.

[10] Depuis son élection, A. Poggenburg a été exclu de l’AfD en raison de son implication dans un scandale financier et de ses propos xénophobes envers la communauté turque d’Allemagne. Il a fondé en janvier 2019 un mouvement appelé Sursaut des patriotes allemands qu’il a finalement quitté quelques mois plus tard.

[11] Stadtarchiv Zeit, Rat des Kreises Zeitz, Abt. Volksbildung Kreisplankommission, 382, Analyse zur ökonomischen Entwicklung der Stadt