Trump vs Biden ou les deux temps inconciliables du récit d’actualité
Comment le présent est-il produit ? C’est la question qu’ont pu se poser les Démocrates et les Républicains qui ont suivi du 3 au 10 novembre le déroulement chaotique du processus qui a fait de Joseph Biden Jr. le 46e président élu des États-Unis.
Unique à bien des égards dans l’histoire des élections américaines, cette folle semaine a mis en évidence l’importance vitale pour l’existence d’une nation d’un partage minimal : celui des conditions mêmes d’une expérience commune du politique. Vivre dans le même temps est l’une de ces conditions. Ce que montre d’emblée cette aventure, après laquelle bien des journalistes américains écrivent que la couverture médiatique des élections ne sera jamais plus ce qu’elle était, c’est qu’un présent dont l’actualité même – l’installation dans un réel simultanément partagé – est mise en doute devient très littéralement inracontable.
On connaît le paradoxe du récit d’actualité immédiate, tel que le vit la presse quotidienne. Construit dans l’ignorance de la suite des événements qu’il relate, il saisit les événements au fur et à mesure qu’ils se dévoilent, là où le récit fictionnel comme le récit historique reproduisent de façon artificielle cette indétermination – qu’ils la situent dans le passé ou dans le présent. Du coup, le récit d’actualité crée des effets de tension narrative qui sont de fait équivalents à ceux produits par le récit artificiel ou rétrospectif[1]. Le feuilleton médiatique doit s’accommoder de l’incomplétude de son information, mais il compense largement par son intérêt émotionnel. Moins bien renseignée qu’une série documentaire, moins riche en effets qu’une série fictionnelle, la couverture médiatique en temps réel de la progression de la pandémie de Covid-19, course au vaccin comprise, l’emporte sans difficulté sur ces deux modèles : elle plonge le lecteur dans un suspense auquel il peut d’autant moins se dérober que l’attente de l’épisode suivant conditionne directement sa vie, son avenir et celui de