Relations entre armées et universités, les déliaisons dangereuses
La crise sanitaire a suscité de nombreux commentaires sur l’alliance du savoir scientifique et de la pratique de gouvernement, en particulier suite à la mise en place d’un Conseil scientifique le 12 mars 2020 : « Un principe nous guide pour définir nos actions (…), avait alors affirmé Emmanuel Macron : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent ». Ce soir-là, le chef de l’Etat s’était présenté avec une humilité qu’on lui connaissait peu, laissant entrevoir une fébrilité que le ton martial de son intervention déguisait mal.
La question du rapport entre savoir et pouvoir, et de l’inclination de ce dernier à justifier ses choix sur la rationalité supposément objective des scientifiques, n’a évidemment pas attendu la crise sanitaire pour se poser. En écho aux récentes tentatives d’institutionnalisation d’un champ des « études stratégiques » en France, nous l’abordons ici du point de vue plus particulier des rapports entre armées et universités, dont l’évolution récente nous semble symptomatique des difficultés des universitaires à préserver leur autonomie.
Des dispositifs inédits de rapprochement dans la foulée des attentats
Pour se faire une idée plus précise des tentatives de rapprochement des mondes de la défense et universitaire, il convient de rappeler quelques initiatives qui, sans être nécessairement liées entre elles, travaillent dans le même sens. Le 18 novembre 2015, dans la foulée des attentats de Saint-Denis et du Bataclan, le président du CNRS lançait un appel à propositions à destination de la communauté scientifique sur « les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats » donnant lieu à des réactions déjà contrastées.
Un peu plus d’un an plus tard, le 25 janvier 2017, la conférence sur le renouveau de la recherche stratégique déboucha sur l’annonce de la signature du Pacte Défense Enseignement Supérieur entre le CNRS, le ministère des Armées et la Conférence des Présidents d’Université. Avec pour objectif de favoriser la structuration d’une filière d’études stratégiques, ce Pacte prévoit depuis la création par concours d’un label d’excellence et la mise en œuvre d’un Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) dédiés à ces thèmes. Enfin, le 30 mai 2018, la convention signée entre le CNRS et la Direction du Renseignement Militaire (DRM) posait le cadre de la mise en œuvre d’ateliers entre chercheur·e·s et analystes du renseignement.
Inédits par leur visibilité, ces dispositifs ont été accueillis avec circonspection par la communauté académique. Alors qu’elle dénonce depuis de nombreuses années sa précarisation croissante et qu’elle se mobilise fortement contre la LPPR qui démantèle le statut d’enseignant·e·s-chercheur·e·s, la voilà soudainement appelée à se mobiliser au chevet des gestionnaires de crises.
Comment, dans ces conditions, pourrait-elle ne pas se faire complice d’options prises par le pouvoir politique et ne pas devoir se contenter d’assurer le service après-vente de politiques publiques de sécurité particulièrement ineptes (la radicalisation, la résilience, etc.) ? Comment préserver l’autonomie requise pour produire des savoirs scientifiques ? Comment assurer la sécurité des chercheur·e·s sur leurs terrains dès lors qu’ils peuvent être identifiés comme travaillant en lien avec les organismes de sécurité de leur pays ?
Ces questions émergent à la rencontre de deux rationalités appuyées sur des visées divergentes animées de temporalités incompatibles : celle de l’action publique qui se veut tendue vers des objectifs « concrets » aux effets aussi immédiats que possible, et celle du travail intellectuel et scientifique qui exige des universitaires qu’ils se détachent des contingences, ce qui requiert du temps. Elles reflètent aussi une incompréhension croissante et réciproque entre des administrateurs qui méconnaissent trop souvent l’exigence du travail intellectuel et scientifique et des chercheur·e·s rendus à la fois obséquieux par la compétition dans laquelle ils sont jetés par les réformes de l’ESR, et pusillanimes du fait de leur déclassement économique, social et symbolique.
Un « retard » français ? Retour sur un diagnostic fallacieux
L’institutionnalisation des relations entre les armées et les universités a une histoire aussi longue qu’infructueuse, interprétée par les plus enthousiastes comme un « retard français ». Si les « études stratégiques » n’ont jamais connu le degré d’institutionnalisation qui est le leur dans le monde anglo-américain et si la « stratégie militaire » n’a été constituée en objet d’étude qu’aux marges de l’histoire militaire, ce diagnostic du « retard » mérite néanmoins un examen plus nuancé.
D’abord en distinguant mieux l’étude de la « stratégie » tel que la propose les strategic studies – c’est-à-dire le plus souvent réduite à sa dimension militaro-stratégique –, de celle de la « guerre ». L’histoire, la géographie, le droit, la philosophie, la sociologie et la science politique ont abondement travaillé l’objet « guerre » sans qu’il soit ici besoin d’en dresser la liste des travaux pour le démontrer.
Ensuite en admettant que si l’enseignement de la guerre a en partie pu disparaître des amphithéâtres – au moins jusqu’au milieu des années 2000 – au profit de ceux dispensés sur les « conflits », la « sécurité » ou le « développement », cela tient moins à un « antimilitarisme » supposé du milieu académique qu’à un faisceau de causes complexes mêlant les effets des « dividendes de la paix » sur les représentations des élites libérales après la Guerre froide et aux transformations qui affectent l’épistémè moderne jusqu’à la compréhension même de l’État, de la souveraineté et donc aussi de la « guerre ». La difficulté à appréhender ces métamorphoses se reflète dans la multiplication des « studies » (war, strategic, defense, security, intelligence etc.) et le brouillage des repères traditionnels (guerre/paix, sécurité/défense, interne/externe, menace/risque, victoire/défaite, public/privé).
Hérités de relations politico-militaires particulièrement houleuses en France, les symptômes de ce soi-disant « retard » sont en fait moins « gaulois » que « gaulliens ». Induite par la comparaison systématique avec le War studies department du King’s College à Londres, cette conclusion révèle surtout, en négatif, les sources d’inspiration des tenants de la thèse du retard français. En revanche, elle ne s’applique pas tant à l’étude de la « guerre » qu’à celle de la « stratégie militaire » et révèle une approche culturaliste et téléologique de la connaissance appréhendée au seul prisme du « progrès scientifique ».
Enfin et surtout, l’insularité académique des stratégistes s’explique par leur légèreté épistémologique. Les explications convenues que l’on retrouve dans les revues institutionnelles feignent d’occulter les dérives soulignées à propos de la scientificité des études sur la guerre : fonctionnalisme en porte-à-faux des transformations épistémiques du champ des sciences sociales depuis un demi-siècle, pente occidentalo-centrée sur les modes de régulation de la violence, manque de réflexivité dans le travail des savoirs. Frappés d’illégitimité car suspectés par principe de faire du conseil au Prince, si les stratégistes reconnaissent certains biais induits par la proximité avec les décideurs et l’insuffisance de l’exigence des revues spécialisées dans lesquelles ils publient quasi exclusivement, ils seraient bien inspirés de réfléchir aux raisons de leur ostracisation au-delà de quelques timides concessions sur le rationalisme ou l’utilitarisme.
Les universitaires, entre postures et dispersion
Face aux tenants de la thèse du « retard français », les « sceptiques » expriment leur méfiance méthodologique et éthique à l’égard du financement de la recherche par le ministère des armées, et se posent en défenseurs de l’autonomie des savoir-faire universitaires en les distinguant notamment de l’expertise. Trop peu d’entre eux vont pourtant au bout de la réflexivité qu’ils préconisent. Souvent militants, jouissant de fortes rétributions symboliques, leurs formations, leurs méthodes et leurs réseaux professionnels les maintiennent à distance des stratégistes dans les processus de sélection universitaire ce qui leur permet de cultiver ce recul critique à moindre frais.
À l’inverse, les enthousiastes attelés à combler le « retard français », plus spécialisés et moins centraux dans leur discipline mais collectivement plus internationalisés monopolisent les positions de passeurs entre la formation universitaire et les administrations de la défense. Ils appellent à l’autonomisation des études stratégiques. Certains ont trouvé une première expression publique dans une tribune pour le moins maladroite, dans laquelle ils estimaient, à peine deux semaines après les attentats du Bataclan, que ces violences devaient être « l’occasion de réinvestir dans les études sur la guerre. »
Ces postures, sceptique d’un côté (« l’immixtion dans la recherche pervertit la finalité critique des travaux ») et enthousiaste de l’autre (« l’intérêt des pouvoirs publics est un signe de notre reconnaissance »), sont tout autant scientifiques qu’idéologiques : elles visent à consolider des représentations du monde conformes aux positions institutionnelles et sociales occupées. Particulièrement saillantes parmi la nouvelle génération des politistes et des sociologues, elles ont été récemment entretenues par tribunes interposées : aux sceptiques qui cherchent à établir un lien de causalité entre les usages de l’arme aérienne et les attentats terroristes, les enthousiastes rétorquent que la France « est attaquée pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle fait ».
Certes, la controverse est partie intégrante de la vie académique et du débat public mais le spectacle offert dans les médias et sur les réseaux sociaux nous ramène cinquante ans en arrière : au questionnement suranné des premiers sur la causalité plutôt que la corrélation, répond l’essentialisme poussiéreux des seconds. Ces sorties desservent collectivement la cause universitaire, d’une part en rendant caduque la formation d’une position partagée quant aux formes possibles de collaborations entre armées et universités, d’autre part en favorisant, au sein même de la communauté scientifique, une division allégrement exploitée par les administrations qui les financent. Elles parachèvent une inquiétante polarisation du champ académique, reflétant des enjeux politiques et sociaux plus larges.
Les prospecteurs, entre impréparation et autosatisfaction
Pour combler ce supposé « retard », le ministère des Armées décida de la mise en œuvre de « labels d’excellence » censés faciliter l’émergence de pôles universitaires capables d’atteindre les « standards internationaux ». Sur 14 candidats, 5 centres universitaires étaient « finalistes ». Seulement deux (sur trois possibles) se sont vu attribuer un budget de 300 000 € par an à partir de novembre 2020, pour une période de cinq ans renouvelable. Ce financement reproduit les conditions précises de la marginalité des études stratégiques. Parmi les nombreux dysfonctionnements signalés par voie parlementaire et les maladresses contenues dans l’instruction de 2019 (défaut d’informations, règles rétroactives, contrat d’objectifs inadaptés, gestion à géométrie variable des conflits d’intérêts), le Pacte impose aux lauréats une ventilation budgétaire contre-productive qui signale bien la volonté des pouvoirs publics de faire émerger une nouvelle génération de chercheur·e·s mais sans leur donner les moyens de travailler dans la durée[1] .
Les administrateurs semblent privilégier une logique d’étalage et de visibilité à court terme au détriment d’une approche intégrée et pérenne. Avec un budget de fonctionnement (soutien, mobilité, traduction, formation) aussi réduit, les objectifs du Pacte en termes de structuration d’une filière stratégique sont hors d’atteinte et transforment les universités en sous-traitants à doctorats pour les armées avec pour effet d’augmenter la suspicion généralisée vis-à-vis des efforts de rapprochement entre armées et universités.
D’un côté, la défiance des universitaires vis-à-vis de leurs représentants a rarement été aussi intense que ce soit à propos des déclassement en séries au CNRS ou du soutien de son Président Directeur Général à la LPPR qu’il jugea « inégalitaire » et « vertueuse ». De l’autre, les (més)usages politiques de l’institution militaire s’accumulent : martialisation du discours politique (qui se poursuit avec la pandémie du Coronavirus), dévoiement du Conseil de défense et de sécurité en Conseil de défense sanitaire, « sécuritisation » des enjeux politiques et sociaux, usages croissants des technologies de surveillance, constitutionnalisation de l’état d’urgence, recours aux effectifs de Sentinelle dans le cadre du maintien de l’ordre, bricolages permanents sur la finalité et les modalités du Service National Universel (SNU), etc.
Dans ce contexte de défiance, de pertes de sens et de brouillage des repères, l’exercice d’autosatisfaction auquel se livrent les prospecteurs de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM) et de la Direction Générale des Relations Internationales et Stratégiques (DGRIS) n’apparaitrait pas seulement incongru, s’il n’était pas, aussi, dangereux tant il dénote un profond manque de sens politique et tactique.
Marges de manœuvre et lignes de crêtes
Plus encore que le signe d’une volonté de prendre le contrôle de la production universitaire, comme on semble l’observer dans des domaines connexes comme le nucléaire, ces efforts de rapprochement montrent surtout la profonde déstabilisation des professionnels de la guerre. En dépit de sorties médiatiques peu inspirées des autorités gouvernementales sur la « culture de l’excuse » ou « l’islamo-gauchisme », les universitaires, soumis au dilemme du prisonnier, demeurent trop dispersés pour préserver leur autonomie et incapables de s’accorder sur un diagnostic de la situation alors même que la demande à l’égard des sciences sociales est extrêmement forte.
N’en déplaise aux plus sceptiques, il n’y a pas de militarisation « des interventions dans le champ de la recherche » mais bien, au contraire, une très nette civilianisation de la (politique de) défense, d’ailleurs désormais dite aussi de « sécurité nationale ». Cette erreur d’interprétation a des conséquences majeures sur l’analyse de la situation. Non seulement les officiers, en particulier de l’armée de terre sont largement récalcitrants à l’idée d’être employés sur le sol national, mais ils mènent souvent, individuellement et collectivement, une réflexion sur la violence et ses usages politiques donnant à voir un recul réflexif qui étonnerait jusqu’aux sceptiques.
Pour s’en rendre compte encore faut-il savoir s’inscrire dans un dialogue avec eux. La création de la DGRIS, principal organe de mise en œuvre du Pacte, résulte d’une civilianisation visant à replacer le ministre entre le président de la République et le Chef d’État-major des armées. Créée en 2015 comme antichambre du cabinet civil du ministre, la DGRIS a été composée à partir du transfert d’effectifs de la Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS), à laquelle elle succède, mais également de la Direction Générale de l’Armement (DGA), de la sous-chefferie Relations Internationales de l’État-major des armées (EMA) et de think tanks.
Ses périmètres d’action concernent la prospective stratégique et la diplomatie de défense à travers la coordination des attachés de défense en ambassade. Conformément à « l’esprit » de la Constitution, le fait que des civils encadrent et mettent en œuvre la politique de défense, n’étonnera guère. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quel type de hauts fonctionnaires civils. La DGRIS a été successivement dirigée par des diplomates ayant fait l’essentiel de leur carrière dans le domaine de la lutte contre la prolifération et le désarmement.
Passés par Science Po, l’ENA, les grands corps et quelques think tanks, leur trajectoire personnelle les a tenus loin des universités. Conservant le pôle Relations Internationales Militaires à l’EMA, les officiers se sentent d’un côté dépossédés de leurs prérogatives par les diplomates en matière d’analyse stratégique, de l’autre phagocytés par les demandes du ministère de l’Intérieur en matière de maintien de l’ordre. Ils tentent de contrecarrer cette civilianisation en faisant valoir le besoin d’académisation de leur formation : s’ils le font à l’IRSEM plutôt qu’à l’Université, ils se lieront encore davantage les mains.
Ainsi, les relations armées-universités reposent sur une triade : les chercheur·e·s en sciences sociales en viennent à travailler « au profit » de militaires, généralement des officiers, par l’intermédiaire « d’administrateurs civils » avec pour enjeu la captation du capital académique. L’occasion peut-être, pour les chercheur·e·s de reconstruire une unité en faisant valoir leur savoir-faire.
Défis et responsabilité collective
Le défi consiste dès lors, et d’abord à contourner l’extra-territorialité des études sur la guerre et la stratégie. D’un point de vue épistémologique, il faut « banaliser » le phénomène guerrier en le traitant de façon interdisciplinaire au moyen des outils « ordinaires » des sciences sociales et en le soumettant à l’exigence du travail réflexif sur les concepts. Au plan théorique ensuite, nous devons nous départir du cadrage anti-terroriste pour orienter les questionnements autour des transformations contemporaines de l’État et du système international, aux formes renouvelées de légitimation de la puissance publique et de l’exercice de la souveraineté à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières. Nous devons rester fermes sur notre refus des approches des « relations internationales » par grands paradigmes, et les soumettre à une exigence théorique qui récuse la division théorie/pratique pour mieux questionner le renouvellement des formes de l’hostilité et de la violence dans un dialogue entre la théorie politique, la sociologie politique et l’histoire conceptuelle.
Nous pouvons nourrir une géographie politique attentive aux représentations et aux systèmes symboliques qui ne se contente pas de rappeler que les guerres se font pour du pétrole ou de l’uranium. Nous pouvons contribuer à développer une sociologie des groupes professionnels et de l’action publique dépoussiérant une sociologie militaire confite dans la description des spécificités d’une institution folklorique. Nous gagnerions à promouvoir une histoire conceptuelle et comparée qui permet d’échapper aux interprétations orientalistes et de faire vivre le geste réflexif. Résistons, enfin, à la tendance qui consiste à traduire mécaniquement les urgences de l’institution militaire en programmes de recherches : les « jeunes », le lien « armées-nation », la « radicalisation », l’« Europe de la Défense », la « cybersécurité », « le retour de la guerre inter-étatique » etc. pour lui substituer un travail de traduction tout en fermeté.
Il devient urgent de nous retrouver sur un geste partagé capable de reconstruire la spécificité (du rôle et du travail) de l’universitaire et de l’intellectuel dans la cité : celui d’une pratique théorique qui s’attache à construire ses problèmes plutôt qu’à en subir ses manifestations. Nous suggérons donc aux sceptiques de ne pas jeter le soupçon sur les travaux financés par le ministère des Armées pour deux raisons : certains de ses travaux n’ont rien à envier aux leurs, et il est plus aisé de choisir ses financements lorsqu’on est titulaire dans une institution universitaire centrale. Face à la généralisation du financement de la recherche par projet, le regain d’intérêt des armées pour les sciences sociales, constitue, faute de mieux, une ressource pour les collègues les plus précaires.
Plutôt que de jeter le doute sur la probité de leurs auteurs, nous les invitons à publiciser les lignes rouges pour toute contractualisation de la recherche à la fois en termes d’autonomie fonctionnelle (conditionnalités de financement, participation aux processus de sélection, droit de regard sur les partenariats, exploitation des données, conflits d’intérêt, propriété intellectuelle), de flexibilité administrative (équilibre budgétaire en termes de recherche et de soutien, financement récurrent et pérenne, adaptation aux réalités locales, objectifs fixés sur le temps long) et à réinvestir les institutions censées nous représenter.
Aux enthousiastes, nous prévenons que certaines solutions avancées ne sont qu’une fuite en avant. Nous n’avons rien à gagner à ériger la guerre en « fait social total ». La création d’une section spécifique au Conseil National des Universités (CNU) – tentative heureusement avortée pour la criminologie il y a quelques années – ou d’un doctorat labélisé War Studies reproduira les conditions précises de la marginalisation des études sur et de la guerre comme pour la stratégie (militaire).
L’enjeu est en effet moins de créer une « bulle académique », que de contribuer à replacer le géographe, l’anthropologue, le sociologue, l’historien (des idées et des concepts), ou le politiste spécialiste de la guerre et/ou de la stratégie plus au centre de sa discipline. Bien plus que la demande d’expertise de la part des pouvoirs publics, notre problème réside dans l’incapacité des prospecteurs à s’extraire des pratiques d’évaluation managériale de court terme en écho aux difficultés des enseignant·e·s-chercheur·e·s à (re)formuler collectivement les fondamentaux de leur métier et de leur rôle social et politique.