La grande confusion ou les gauches dans le brouillard
Le constat du brouillard idéologique et des brouillages politiques est devenu banal, mais il est peu souvent conceptualisé et analysé de manière détaillée. Une théorie politique critique à indices empiriques peut constituer un instrument intellectuel utile pour entamer cette démarche et nous aider à retrouver une boussole – si l’on conçoit la théorie politique comme un espace de dialogue entre la philosophie politique (qui assume pleinement ses composantes normatives quant à ce qui devrait être ou pourrait être) et les sciences sociales (aux logiques principalement analytiques). Et si, s’inspirant des enquêtes des sciences sociales, on étudie précisément une variété de discours remis en contextes.
Que se passe-t-il alors idéologiquement en France à partir du milieu des années 2000, avec des résonances analogiques dans d’autres pays du monde, alors que l’extrême droite politicienne progresse et que le clivage gauche/droite régresse ?
En France comme dans le monde, on a assisté à la montée en puissance de configurations idéologiques ultraconservatrices associant critique et discriminations (xénophobes, sexistes, homophobes, etc.) dans des cadres nationalistes. Ces nouvelles articulations bénéficient de la dissociation de ce qui a été un pilier intellectuel de la gauche depuis sa naissance à la fin du XVIIIe siècle : le couple critique sociale/émancipation.
Quand on critiquait des injustices, des inégalités, des dominations, c’était en lien avec un horizon d’émancipation individuelle et collective. Pour l’hypercriticisme « antisystème » et conspirationniste, qui sert souvent de tuyau rhétorique aux formes actuelles d’ultraconservatisme et qui tend de plus en plus à occuper les estrades de la critique sur Internet et sur les réseaux sociaux, il n’en est plus de même. Cet hypercriticisme a bien les apparences de la radicalité, mais dans une ressemblance seulement superficielle avec la critique sociale structurelle active dans l’anarchisme, le marxisme ou les s