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Rwanda-France : au plus près de la matérialité du génocide des Tutsi

Historienne

La démarche indiciaire s’attachant à décrire le génocide des Tutsi par sa matérialité peut être reconduite pour observer la politique française menée au Rwanda entre 1990 et 1994. En s’affranchissant des abstractions sur les grands équilibres géopolitiques brandis en guise d’explication, il s’agit d’observer les conséquences concrètes des décisions prises par l’Élysée au plus près des existences individuelles et d’en restituer toute la dimension tragique.

Sur les collines du Rwanda, entre avril et juillet 1994, un million d’hommes, de femmes et d’enfants périrent au nom d’une utopie politique visant à refonder la pureté d’une nation enfin débarrassée d’une minorité Tutsi considérée comme traitresse et assoiffée de pouvoir. S’imaginant menacés dans leur existence même, les extrémistes hutu enclenchèrent à partir du 7 avril 1994 une campagne de massacres d’une efficacité extrême. Or, c’est précisément cette efficacité qui forme le cœur du questionnement historique. Comment rendre compte des dynamiques criminelles ayant conduit à la mort d’un million de victimes en un temps aussi bref ?

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Loin des caricatures dépeignant le dernier génocide du XXe siècle comme l’ultime manifestation d’un antagonisme ethnique immémorial ou d’un accès de folie collective, les logiques implacables à l’œuvre sur les collines du Rwanda au printemps 1994 témoignent au contraire de la sophistication de son organisation. Les contours précis de cette préparation, inutile d’en chercher trace dans un document unique, daté, paraphé et consignant l’ordre d’extermination, selon un fantasme de l’archive irrévocable dont les négationnistes brandissent l’absence pour alimenter le soupçon. Les mécanismes impitoyables de la politique d’extermination mise en place au Rwanda se donnent à voir au cœur même de son exécution, pour peu que l’on consente à examiner au plus près la diversité des acteurs engagés dans la violence, les modalités de mise à mort, les gestes et les mots de la cruauté infligés au corps des victimes. Observer le génocide des Tutsi depuis la matérialité de son accomplissement sur les collines permet non seulement de mettre au jour la puissance performative des imaginaires racistes, mais également de repérer les réseaux locaux de mobilisation des tueurs aux échelons les plus modestes du pouvoir.

Objet central des projections racistes coloniales et missionnaires, le corps Tutsi censé refléter par sa beauté la supériorité d’une race


[1] République rwandaise, Tribunal de première instance de Kibungo, Jugement du 31 juillet 2001, p.201.

[2] Estimation reprise dans une dépêche Reuters du 11 avril 1994, citée dans Human Rights Watch/Fédération internationale des droits de l’homme, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p.719.

[3] Ordre de conduite de l’opération Amaryllis du 8 avril 1994, cité in Mission d’information parlementaire, Rapport d’information sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, Paris, 1998, p.266.

[4] Richard Kalka, Dieu désarmé. Journal d’un curé des campagnes, Paris, Éditions LBM, 2012, p.71-72.

[5] Voir le témoignage de Michaël Delhayes, ancien parachutiste du 3ème RPIMa dans le film documentaire de Jean-Paul Mari, Sans blessures apparentes. Enquête sur les damnés de la guerre, 2010.

[6] Témoignage publié in Anne-Marie de Brouwer et Sandra Ka Hon Chu (Eds), The Men Who Killed Me. Rwandan Survivors of Sexual Violence, Vancouver/Toronto/Berkeley, Douglas&McIntyre, 2009, p.46. Traduit de l’anglais par nos soins. On lira également avec profit l’enquête de Leila Minano et Julia Pascual, « Viols au Rwanda. De nouvelles victimes accusent les soldats français », Causette, n°18, novembre 2011, p.64-73.

Hélène Dumas

Historienne

Notes

[1] République rwandaise, Tribunal de première instance de Kibungo, Jugement du 31 juillet 2001, p.201.

[2] Estimation reprise dans une dépêche Reuters du 11 avril 1994, citée dans Human Rights Watch/Fédération internationale des droits de l’homme, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p.719.

[3] Ordre de conduite de l’opération Amaryllis du 8 avril 1994, cité in Mission d’information parlementaire, Rapport d’information sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, Paris, 1998, p.266.

[4] Richard Kalka, Dieu désarmé. Journal d’un curé des campagnes, Paris, Éditions LBM, 2012, p.71-72.

[5] Voir le témoignage de Michaël Delhayes, ancien parachutiste du 3ème RPIMa dans le film documentaire de Jean-Paul Mari, Sans blessures apparentes. Enquête sur les damnés de la guerre, 2010.

[6] Témoignage publié in Anne-Marie de Brouwer et Sandra Ka Hon Chu (Eds), The Men Who Killed Me. Rwandan Survivors of Sexual Violence, Vancouver/Toronto/Berkeley, Douglas&McIntyre, 2009, p.46. Traduit de l’anglais par nos soins. On lira également avec profit l’enquête de Leila Minano et Julia Pascual, « Viols au Rwanda. De nouvelles victimes accusent les soldats français », Causette, n°18, novembre 2011, p.64-73.