Sciences sociales

Pour une éthique de la discussion – réponse à Didier Fassin

Sociologue, Historien

L’écho médiatique rencontré par le livre Race et sciences sociales se fonde, selon leurs auteurs, sur une mésinterprétation. Le détour par la polémique triviale (pour ou contre la race) empêcherait de discuter dans l’arène scientifique un sujet désormais brandi en haut de l’agenda politico-médiatique. Stéphane Beaud et Gérard Noiriel répondent ici à la critique qui leur avait été adressée dans les colonnes d’AOC par Didier Fassin.

Comme le disait récemment Jean-Louis Fabiani, à propos de la « mauvaise querelle » que la ministre Frédérique Vidal a lancée en accusant les universitaires d’islamo-gauchisme, nous sommes nous aussi convaincus que « l’Université ne peut sortir du mauvais rêve actuel que si elle se remet au travail, ce qui suppose premièrement qu’une éthique minimale de la discussion soit reconstituée ».

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Malheureusement, l’article que Didier Fassin a consacré dans ces colonnes à notre livre Race et sciences sociales ne va pas dans ce sens, c’est le moins qu’on puisse dire. Il estime que les extraits, publiés en « bonnes feuilles » dans le Monde Diplomatique (janvier 2021), ont permis « une spectaculaire réception, plus médiatique que scientifique » de notre ouvrage. Et il ajoute : « La chose n’est pas sans ironie tant ils ne cessent de répéter, invoquant Durkheim, Weber et Bourdieu, dont on peut pourtant dire qu’ils ont été meilleurs à énoncer la séparation du savant et du politique qu’à la respecter eux-mêmes, qu’ils veulent défendre l’idée d’une “science de la société se tenant à distance des enjeux politiques et des polémiques médiatiques“. Loin de cet idéal, mais sans surprise, c’est dans les cercles déjà très investis dans le dénigrement de ce qu’on y nomme “politiques identitaires” que les approbations de leur prise de position se font les plus chaleureuses et unanimes. »

Dans ce passage, Didier Fassin se démarque explicitement de la tradition de pensée dans laquelle nous nous situons et qui défend l’idéal d’une science sociale autonome. C’est pour signaler notre volonté de prolonger une démarche dont les grandes lignes ont été fixées dans le Métier de sociologue, co-écrit par Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, que nous avons intitulé notre livre « Race et sciences sociales » ; et non pas, évidemment, pour passer en revue tous les travaux ayant traité de la question raciale à travers le monde.

En ironisant sur cet idéal, Didier Fassin o


[1] Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p. 134.

Stéphane Beaud

Sociologue, Professeur de science politique à Sciences Po Lille

Gérard Noiriel

Historien, Directeur d'études à l'EHESS

Notes

[1] Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p. 134.