Des générations solidaires dans la crise sanitaire ?
Les conséquences majeures de la crise de la Covid, sur les équilibres mondiaux par exemple, n’apparaîtront clairement qu’à terme, une fois que la pandémie sera derrière nous. Pour le moment, la crise a souvent révélé ou accéléré une série de mouvements ou de tendances à l’œuvre dans nos sociétés, telle la surabondance de l’épargne peu risquée des ménages qui n’a fait que s’amplifier, la montée du télétravail, et le creusement des inégalités inter- et surtout intragénérationnelles.
Néolibéralisme et individualisme en berne
Mais la pandémie a aussi mis à mal certaines thèses des néolibéraux, qui dénoncent à l’envi « l’obésité » d’un modèle social français qui pèserait sur le coût du travail et l’attractivité économique de notre pays. Elle a tout d’abord mis en lumière le rôle clé de l’hôpital et des personnels soignants, souvent mal rémunérés, ainsi que la contribution sous-estimée des services collectifs. Elle a ensuite mis l’accent sur la place majeure de l’école en général, qu’il s’agisse de la formation ou, plus trivialement, de la garde des enfants : les parents qui ont dû assurer cette garde n’ont pu se déplacer comme auparavant ou ont pu être gênés dans leur télétravail, tout en devant s’occuper davantage de l’éducation de leur progéniture. Or, les enseignants apparaissent moins bien payés en France qu’ailleurs. Plus récemment, le malaise de nombre d’étudiants, isolés et en manque de perspectives, et le retard pris par les vaccins français ont souligné le sous-financement de notre enseignement supérieur et de la recherche, justifiant le départ de nombre de chercheurs pour un étranger plus attractif.
Mis bout à bout, ces secteurs, victimes d’une relative disette et où les femmes sont globalement majoritaires, concernent une part importante de la fonction publique ou assimilée, dont on dénonçait il y a peu les conditions de retraite trop avantageuses… Ce qui laisse peu de marges de manœuvre à la volonté néolibérale de diminuer le poids de notre modèle social (hors une réforme « structurelle » visant à moins de fonctionnaires mais mieux rémunérés et plus motivés).
Le seul poste envisageable est la retraite publique dont le poids, en pourcentage du PIB, est supérieur de 4 % à ce qu’il est en Allemagne. La réduction de ce poids risque de devenir un objectif prioritaire, caché ou non, des projets de réforme des retraites, appelant les Français actifs à travailler plus et surtout plus longtemps si l’on veut éviter une baisse des pensions…
Les réponses à la crise sanitaire apportées par un individualisme exacerbé se sont par ailleurs révélées peu adéquates. Il en est ainsi d’un contrôle tatillon du couvre-feu, qui oublie la dimension collective, pourtant primordiale : si je me promène seul à une heure du matin, je serai verbalisé alors que le risque de Covid est nul ; mais si je suis « en règle », je peux rester dans une rue ou un magasin bondé. Dans la mesure où le virus atteint beaucoup plus les vieux que les jeunes, la bonne gestion des risques consisterait par ailleurs à confiner les premiers et à libérer les seconds, avec l’espoir supplémentaire d’aboutir ainsi à l’immunité collective.
Cette solution a été critiquée lorsque l’on a découvert que laisser circuler le virus pouvait favoriser ses mutations dangereuses (les pays asiatiques, autoritaires ou démocratiques, qui ont cherché à éradiquer le virus ont été à cet égard plus avisés). Mais elle est apparue surtout aléatoire en ce qu’elle fait fi du rôle de la famille et des liens intergénérationnels. Grands-parents et petits-enfants veulent conserver des liens proches. Et la remontée du virus durant l’été dernier chez les jeunes s’est transférée, après un certain délai, aux personnes plus âgées.
Tensions intergénérationnelles
La Covid a généré sans surprise des éruptions successives de tensions entre générations. Certains ont dénoncé « l’âgisme » des propositions visant à confiner les plus de 70 ans. Intitulé « La révolte des papy-boomers », un article de L’Obs (du 30 avril au 6 mai 2020), que je commente dans mon livre, montre comment les élites diplômées de la tête du papy-boom n’ont pas supporté d’être considérées comme vieilles et fragiles. Et de dénoncer « l’ehpadisation générale des plus de 65 ans » (Pascal Bruckner) ou de lancer une pétition intitulée, en réminiscence d’un slogan de Mai 68 : « Il est interdit d’interdire aux vieux de sortir sous prétexte qu’ils sont vieux ».
Le plus impressionnant est de mesurer le gouffre qui sépare ces réactions des discours (des mêmes générations et milieux aisés) proférés il y a moins de sept ans, lorsque le même magazine (L’Obs, 6 novembre 2013) s’extasiait de l’activité trépidante et novatrice des « sexygénaires » en prenant pour modèles Fanny Ardant ou Sylvie Vartan.
Les défenseurs des aînés pointent les dangers de leur stigmatisation, ce « racisme anti-vieux », et sentent poindre « une tentation pernicieuse d’imputer aux dites personnes âgées, sinon la facture du coût du confinement, à tout le moins celui de la responsabilité de sa mise en œuvre et de ses conséquences ravageuses sur le plan économique et social » (Philippe Plassart dans le Nouvel Economiste du 24 juin 2020). Une tentation assumée par André Comte Sponville : « Sacrifier les jeunes à la santé des vieux est une aberration. Traditionnellement, les parents se sacrifiaient pour leurs enfants. Nous sommes en train de faire l’inverse. »
Dans une veine similaire, Emmanuel Todd (Marianne, 5-11 février 2021) propose un « deal générationnel » : aujourd’hui « les jeunes prennent à leur charge la sauvegarde des vieux, ils font un sacrifice » ; mais ce faisant, les vieux accumulent une dette appréciable à leur égard, qu’ils devront rembourser demain « en s’engageant enfin à leur préparer un monde vivable ». Todd cite des précédents de tels deals après la seconde guerre mondiale : les Britanniques ont bénéficié de la révolution sociale beveridgienne et les soldats américains du « G.I. Bill » d’études universitaires ou de formations professionnelles (le rapprochement du Covid et de la guerre n’est pas anodin). De même, Pierre-Yves Geoffard, qui s’inquiète dans Libération (2 février 2021) du coût économique et social de la pandémie que risquent de payer étudiants et jeunes précaires, milite pour un impôt sur le capital qui frappera d’abord les aînés.
Il y a bien sûr des éléments de vérité de part et d’autre. Mais je répondrai aux premiers, dénonciateurs d’un âgisme ambiant, que, en tant que retraité du CNRS et papy-boomer, j’aurais pu passer les confinements à lire des romans policiers et à boire du champagne, tout en voyant croître mon épargne du fait d’une pension assurée (et de possibilités de consommation réduites). Ma situation n’a rien à voir avec l’angoisse de certains jeunes, de travailleurs précaires peu soutenus, ou d’indépendants mis en difficulté par l’interdiction d’exercice de leur activité. Aux seconds, qui dénoncent le sacrifice des jeunes pour les plus âgés, je répondrai qu’ils ont in fine tendance à assimiler tous les retraités à des rentiers ou des nantis de l’État-providence, au risque de fragmenter davantage encore notre société. Leurs discours seront souvent incompris par les retraités, même bienveillants.
Je cite sans filtre un de mes lecteurs : « Je fais partie des “Papy-boomers”. En 1970 la durée hebdomadaire de travail était de 45 heures, je travaillais 5,5 jours par semaine. J’ai connu et subi la période des années 2000 où il était difficile de retrouver un emploi à plus de 50 ans, je suis devenu alors travailleur indépendant avec une baisse de revenu les premières années. J’ai pris ma retraite à 65 ans. Mon épouse a consacré une partie de sa vie à élever et éduquer nos quatre enfants qui ont suivi des études a minima jusqu’à l’obtention de la licence. […] Nous n’avons pas l’impression d’être des “gâtés” et demain nous aurons peu d’opportunités pour compenser financièrement une baisse de nos pensions ou une augmentation des impôts. »
Pour échapper à ces deux écueils, il faut éviter de monter les générations les unes contre les autres et d’hypostasier les oppositions entre elles.
Une voie possible est de relativiser le prisme générationnel et de se concentrer sur les inégalités, notamment en matière de patrimoine. Elle est développée par Thomas Piketty dans son livre Capitalisme et idéologie (éditions du Seuil) en 2019, soit avant la crise sanitaire. L’auteur propose de supprimer taxes foncières et IFI (impôt sur la fortune immobilière) dans notre pays pour les remplacer par un impôt annuel sur le patrimoine individuel global, net, évalué à la valeur de marché.
Cet impôt concernerait tous les patrimoines mais serait très progressif : de 0,1 % pour les patrimoines en dessous de la moyenne, le taux d’imposition (marginal) passerait à 5 % à partir de 2 millions d’euros, à 60 % au-dessus de 200 millions (et même 90 % au-delà de deux milliards). Il rapporterait quelque 100 milliards d’euros l’an en France (20 fois le revenu de l’ex-impôt sur la fortune) et ses recettes seraient redistribuées à tout jeune de 25 ans sous forme d’une dotation de capital substantielle, de l’ordre de 120 000 € (soit 60 % du patrimoine individuel moyen).
Ce programme redistributif traduit l’ambition affichée par l’auteur de rendre la propriété plus sociale et plus temporaire, et par ce biais de « dépasser le capitalisme ». Cette proposition a le mérite de la cohérence et réduirait fortement à terme les inégalités entre générations. Mais elle ne vaut que pour le long terme et son caractère radical, sinon révolutionnaire, en rebutera plus d’un…
Miser sur la solidarité (entre générations)
Dans nos sociétés fragilisées par le choc majeur que constitue la crise sanitaire, la troisième valeur républicaine, la fraternité, revêt une importance primordiale. Mais elle ne jouera pleinement son rôle qu’à la condition de lui substituer un concept plus large, celui de solidarité, qui met davantage l’accent sur les interdépendances entre individus et sur leurs liens, tant sociaux qu’intergénérationnels.
C’est ce que propose notamment Léon Bourgeois, père du solidarisme : individu ou génération, « la quête de mon propre bien m’oblige à vouloir le bien des autres ». Une société solidaire est une société suffisamment soudée pour résister aux chocs : Alain Supiot rappelle d’ailleurs qu’à l’origine (dans le vocabulaire juridique de la fin du XVIIe siècle), le concept de solidarité était précisément confondu avec celui de solidité.
Dans cette perspective, différentes pistes de réforme peuvent être suivies. L’une est celle des politiques du lien, notamment intergénérationnel, qui créent les conditions pour que la maxime solidaire de Léon Bourgeois soit effective. Ces politiques, largement inédites, permettraient de partager (entre générations) les efforts de redressement nécessaires de manière beaucoup plus naturelle que ne le feraient des redistributions intempestives ou mal comprises.
Face à une crise d’ampleur exceptionnelle, une autre piste solidaire est celle d’une contribution ou d’un impôt exceptionnel dont le montant dépendrait de la capacité à payer de chacun. Une troisième aurait pour objectif de relancer ou promouvoir une croissance inclusive par le financement adéquat des investissements d’avenir, véritables biens communs de nos sociétés, particulièrement requis aujourd’hui.
Politiques du lien (entre générations)
Ces politiques créeraient les incitations nécessaires pour diminuer le déséquilibre des rapports intergénérationnels ou, aussi bien, lieraient le sort des générations entre elles par l’instauration de contraintes fiscales ou institutionnelles.
Elles pourraient avoir un effet dès demain sur les inégalités entre générations et prendraient souvent la forme de règles contingentes à l’état futur de la société, n’ayant ainsi pas d’impact si jamais la situation s’améliorait fortement et rapidement. Ces règles seraient ainsi à l’absence de visibilité et à l’incertitude actuelles : nous sommes en effet en plein brouillard au moins jusqu’à la fin de la crise sanitaire en cours.
Des politiques d’indexation originales permettraient ainsi de lier le sort des retraités aisés à celui des jeunes déshérités. Au-delà d’un certain seuil, les retraites élevées seraient indexées sur un indicateur ‒ à définir ‒ de la réussite de ces jeunes, qui s’appuierait sur le salaire d’embauche et le taux de chômage des jeunes non qualifiés, sur la part de ceux qui ne sont ni en éducation, emploi ou formation (NEET), ou tout autre critère qui affecte en priorité les plus démunis parmi les nouvelles générations.
Il ne s’agirait pas d’un mécanisme de redistribution, mais d’un partage des risques entre les aînés favorisés et les jeunes en difficulté : si ces derniers vont bien, les retraites élevées ne seraient pas amputées. Les retraités aisés seraient ainsi directement intéressés à la réussite des jeunes les moins favorisés. La mesure d’indexation leur ferait peut-être accepter plus facilement des programmes publics renforcés d’éducation, de formation et d’apprentissage pour ces derniers.
On pourrait plus généralement envisager des politiques qui lient globalement les dépenses publiques pour les jeunes (éducation-formation) et pour les plus âgés (retraite et autres). Envisagées au sein d’un même package, les deux types de programme seraient débattus ensemble en contrôlant le rapport à terme entre les dépenses publiques d’éducation et de retraite, par tête mais aussi en masse. Plutôt que de se focaliser sur le rendement de ses cotisations retraite, chaque génération devrait alors prendre conscience qu’elle ne peut se sauver seule, mais que le versement d’une pension suffisante à la génération précédente et l’investissement approprié dans le capital humain de la suivante (fécondité et éducation) sont les conditions requises pour recevoir à son tour une retraite adéquate.
Dans le cadre de cette économie politique des générations, Antonio Rangel, professeur en sciences économiques et neurosciences états-unien, analyse les conditions qui feraient que la retraite soit bonne pour l’environnement : à savoir, lorsque les votants d’aujourd’hui sont persuadés que l’adhésion des votants de demain au système de retraite est subordonnée au fait qu’eux-mêmes investissent suffisamment pour les générations futures.
La solution passerait par l’instauration publique d’un lien solidaire entre la retraite et ces investissements d’avenir, qui prendrait la forme d’une contrainte institutionnelle : à chaque somme dépensée pour les aînés devrait correspondre un montant minimal d’investissement écologique. La retraite, pierre d’angle de la protection sociale, ouvrirait enfin sur le futur.
À circonstances exceptionnelles, impôt exceptionnel ?
L’idée se fait jour que le choc exceptionnel, « exogène » et inégal de la Covid exigerait une redistribution ou un impôt exceptionnel.
Dans Le Monde du 25 janvier dernier, Romain Rancière et Cyril Benoit appellent ainsi à « un sursaut de solidarité » interentreprises : les plus grosses d’entre elles et toutes celles dont le chiffre d’affaires a progressé de plus de 5 % en 2020 par rapport à la moyenne des trois années précédentes s’acquitteraient d’une contribution exceptionnelle en faveur des TPE-PME, indépendants, artisans… qui ont subi une perte de profits entre 2019 et 2020. Selon les auteurs, la solution alternative, soit l’émission massive d’une nouvelle dette, qui semble aujourd’hui relativement indolore, entraînerait tôt ou tard des coupes dans les dépenses publiques, dont la Covid a pourtant montré « les effets délétères à l’hôpital et ailleurs ».
On pourrait de même concevoir un impôt exceptionnel sur les grosses fortunes, pris une seule fois (one-time capital levy) ou, aussi bien, un impôt exceptionnel sur les retraites élevées, instauré sur une courte période (trois ans par exemple), période dûment fixée à l’avance.
Le fait que de tels prélèvement soient uniques permettrait certaines audaces sans forcément générer une restructuration en profondeur de la société. Ces derniers devraient être bien introduits et structurés pour éviter une trop large évasion fiscale (notamment un exil fiscal préventif des plus riches en cas d’impôt sur la fortune). Leurs recettes devraient en outre être pré-affectées. Mais surtout, ces impôts devraient être crédibles et reposer à cet effet sur des contraintes juridiques ou institutionnelles fortes qui parent à toute reconduction intempestive. Ce qui suppose une société suffisamment soudée et basée sur la confiance.
Il y a des précédents historiques de tels prélèvements. La Grèce classique était renommée pour sa propension et sa capacité uniques à faire appel à l’argent des plus riches pour financer directement des opérations comme l’armement d’un navire ou une opération militaire ; une fois la paix revenue, l’impôt, baptisé eisphora, était supprimé.
Plus près de nous, Thomas Piketty, dans son livre Le Capital au XXIe siècle (éditions du Seuil, 2013), rappelle que la période 1914-1945 s’est achevée par des redistributions de ce type en Europe, notamment dans la France de 1945 qui a connu les nationalisations-sanctions de la Libération (telle celle de l’entreprise Renault) et surtout l’impôt de solidarité nationale, prélevé une seule fois sur le capital et sur les enrichissements survenus au cours de l’Occupation, mais à barème très progressif (jusqu’à 20 % pour les patrimoines les plus élevés).
Financer les investissements d’avenir
Relancer à terme notre économie en lui assurant une croissance soutenable nécessitera des investissements d’avenir massifs, investissements productifs (infrastructures, révolution numérique, énergies bas carbone, recherche et développement, innovations de structure), mais aussi sociaux : éducation et recherche, logement pour les jeunes et dépendance.
Comment financer ces investissements ? L’État, les entreprises, l’étranger ou même l’Europe (en dépit du plan Juncker) ne permettront pas d’investir à une hauteur suffisante. La seule source possible est l’épargne abondante des ménages qui n’a fait que s’accroître depuis la pandémie et que le ministre des Finances voudrait tant mobiliser ces investissements de long terme.
En fait, il s’agit surtout de l’épargne des ménages seniors, parce que le patrimoine est concentré dans leurs mains et que les ménages plus jeunes sont souvent accaparés par un processus long et coûteux d’accession à la propriété.
En France, selon la règle des trois fois 60, les seniors, 60 ans ou plus, détiennent ainsi quelque 60 % du patrimoine non financier (surtout immobilier) mais aussi 60 % du patrimoine financier. Mais leur épargne financière, placée en majorité dans des quasi-liquidités et dans les fonds en euros, reste trop peu risquée et trop liquide pour être transformée en de tels investissements par une intermédiation financière excessivement court-termiste.
Ajoutons que cette situation néfaste est potentiellement durable, du fait de l’importance prise par le motif d’épargne de précaution chez les seniors et du poids croissant de l’héritage, reçu en pleine propriété de plus en plus tardivement, à près de 60 ans en moyenne. Dans notre pays, on devient souvent riche en devenant vieux… Qui plus est, les inégalités de patrimoine se creusent au sein des ménages seniors.
Comment rendre moins « inerte » ou « stérile », pour le financement de l’économie, l’épargne abondante des seniors ? La solution couplerait un « bâton » et une « carotte ».
Le bâton serait constitué par une hausse sensible des droits de succession, ciblée sur les seuls héritages familiaux en ligne directe : dons ou legs caritatifs, donations familiales ou d’entreprises (si elles sont pleines et entières) ne seraient pas touchés. Les seuils d’exemption seraient inchangés, mais les taux pratiqués ensuite (30 % puis 60 % par exemple) seraient plus élevés qu’aujourd’hui. La surtaxe successorale diminuerait les héritages laissés par ceux qui ne réagissent pas à la mesure, tout en générant des recettes accrues qui pourraient être pré-affectées au financement de programmes à destination de jeunes en difficulté. Elle amènerait les autres parents à moins thésauriser, produisant une puissante incitation à la donation.
Mais pour que les seniors aisés soient encouragés à investir à long terme, il faut encore une carotte, qui serait fournie par l’offre innovante de placements financiers longs, éventuellement transgénérationnels : ces produits seraient largement exonérés de droits de succession pourvu qu’ils soient détenus sur une durée minimale de 25 ans par exemple, au besoin successivement par les parents puis les enfants. Ces placements devraient alimenter des fonds souverains dédiés aux investissements d’avenir générateurs de croissance mais dont la rentabilité s’inscrit dans le temps long.
Pour financer ces investissements d’avenir, une autre solution est souvent évoquée. Dans les circonstances actuelles particulièrement favorables, l’État pourrait recourir à un large emprunt public. Mais si l’on veut, pour de multiples raisons, que les acquéreurs soient d’abord Français, alors le dispositif proposé ci-dessus apparaît approprié. L’offre financière pourrait alors prendre la forme d’une nouvelle assurance-vie allongée à 25 ans, qui financerait cette dette spécifique. Les avantages fiscaux de l’assurance-vie actuelle en matière de transmission seraient alors transférés à ce nouveau placement de long terme.
Par l’éventail des solutions proposées au défi de la pandémie qui fragilise notre pays, j’ai voulu montrer que la France est loin de se trouver dans une impasse, même dans le brouillard actuel. Mais ces solutions, qui échappent à la dialectique un peu vaine entre générations favorisées et sacrifiées, exigent une volonté politique claire et une société soudée, qui puisse faire appel à l’ensemble de ses membres, y compris les plus aisés.
Y sommes-nous prêts ? Je souscrirai ici au vœu de Rancière et Benoit dans Le Monde : « Nous sommes une nation solidaire. Nous devons nous épauler, aujourd’hui plus que jamais ».
NDLR : André Masson a publié Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix. Plaidoyer pour une solidarité de combat, Éditions l’autreface, 2020, 208 pages.