Santé publique et capitalisme pharmaceutique
Depuis plus d’un siècle, une technologie – le médicament – a pris une place croissante dans les soins de santé et dans les espoirs que les sociétés placent dans la médecine. Si les traitements médicamenteux des malades du Covid-19 ont été porteurs de désillusions, la mise au point, en quelques mois seulement, de plusieurs vaccins préventifs contre cette maladie, basés sur des mécanismes d’action différents et remarquablement efficaces, est une démonstration de force de la recherche pharmaceutique et ne peut que participer à conforter cette centralité du médicament dans la médecine.

Ce domaine pharmaceutique est cependant marqué depuis plusieurs décennies par des tensions fortes et persistantes entre, d’un côté, les objectifs de santé publique et, de l’autre, les stratégies des grands groupes industriels. En tant que crise majeure, la pandémie de Covid-19 est une occasion unique de se saisir enfin de ces enjeux.
Les laboratoires pharmaceutiques ont joué, en lien direct avec des scientifiques académiques et des médecins, un rôle important dans l’invention, le développement et la fourniture de nouveaux médicaments. La diffusion au milieu du XXe siècle de médicaments comme les antibiotiques, les premiers psychotropes ou les premiers anti-cancéreux, comme l’implantation progressive de méthodes censées produire des savoirs objectifs sur les traitements (notamment les essais cliniques contrôlés randomisés), ont conduit à majoritairement considérer cette coopération entre industriels et acteurs du champ de la santé comme efficace et bénéfique.
À partir des années 1980, et dans un contexte de ralentissement des découvertes majeures, les tensions entre le capitalisme pharmaceutique et la santé publique ont été cependant de plus en plus dénoncées. Plusieurs dynamiques ont participé à cette problématisation croissante : la montée de « l’entreprenariat scientifique » (tout particulièrement dans les biotechnologies) et donc d’une fusion chez un certain nombre d’acteurs