Santé

Santé publique et capitalisme pharmaceutique

Sociologue

La pandémie de Covid-19 constitue un moment historique non seulement parce que le virus touche de manière presque synchrone le monde entier, mais aussi parce ses conséquences, tout en étant fortement marquées par les inégalités sociales, n’épargnent personne. Cet universalisme a remis au cœur du débat public l’idée selon laquelle la santé est un bien premier et, qu’en tant que tel, elle ne devrait être ni assujettie aux intérêts économiques ni colonisée par les ambitions financières.

Depuis plus d’un siècle, une technologie – le médicament – a pris une place croissante dans les soins de santé et dans les espoirs que les sociétés placent dans la médecine. Si les traitements médicamenteux des malades du Covid-19 ont été porteurs de désillusions, la mise au point, en quelques mois seulement, de plusieurs vaccins préventifs contre cette maladie, basés sur des mécanismes d’action différents et remarquablement efficaces, est une démonstration de force de la recherche pharmaceutique et ne peut que participer à conforter cette centralité du médicament dans la médecine.

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Ce domaine pharmaceutique est cependant marqué depuis plusieurs décennies par des tensions fortes et persistantes entre, d’un côté, les objectifs de santé publique et, de l’autre, les stratégies des grands groupes industriels. En tant que crise majeure, la pandémie de Covid-19 est une occasion unique de se saisir enfin de ces enjeux.

Les laboratoires pharmaceutiques ont joué, en lien direct avec des scientifiques académiques et des médecins, un rôle important dans l’invention, le développement et la fourniture de nouveaux médicaments. La diffusion au milieu du XXe siècle de médicaments comme les antibiotiques, les premiers psychotropes ou les premiers anti-cancéreux, comme l’implantation progressive de méthodes censées produire des savoirs objectifs sur les traitements (notamment les essais cliniques contrôlés randomisés), ont conduit à majoritairement considérer cette coopération entre industriels et acteurs du champ de la santé comme efficace et bénéfique.

À partir des années 1980, et dans un contexte de ralentissement des découvertes majeures, les tensions entre le capitalisme pharmaceutique et la santé publique ont été cependant de plus en plus dénoncées. Plusieurs dynamiques ont participé à cette problématisation croissante : la montée de « l’entreprenariat scientifique » (tout particulièrement dans les biotechnologies) et donc d’une fusion chez un certain nombre d’acteurs


[1] Boris Hauray, Henri Boullier, Jean-Paul Gaudillière et Hélène Michel (dir.) Conflict of Interest and Medicine: Knowledge, Practices, and Mobilizations, Routlegde, 2021 (à paraître).

[2] Aaron Mitchell et al., « Are Financial Payments From the Pharmaceutical Industry Associated With Physician Prescribing? A Systematic Review », Annals of Internal Medicine, 2021.

[3] Par exemple, la participation de médecins ou de scientifiques académiques à des recherches financées par des industriels découle implacablement de la place dominante de ces derniers dans la recherche clinique. Cependant, on pourrait envisager d’interdire tout bénéfice financier individuel lié à cette participation et, plus largement, la réalisation par ces professionnels de travaux de consultance ou de discours rémunérés pour les industriels. De même, alors qu’il est possible en quelques clics d’avoir accès aux dernières publications scientifiques et aux expertises/guidelines produites dans le monde entier, interdire les activités promotionnelles des industriels au sein des cabinets médicaux ou des services hospitaliers et les dépenses (par exemple de repas) qui les accompagnent représente un risque faible de nuire à la diffusion de savoirs indispensables à la santé publique.

[4] William Lazonick, Öner Tulum, Matt Hopkins, Mustafa Erdem Sakinç et Ken Jacobson, Financialization of the US Pharmaceutical Industry, Institute for New Economic Thinking, 2019.

[5] Par opposition au modèle du blockbuster qui dominait auparavant et qui consistait à vendre des médicaments ayant des prix modérés à de très larges populations.

[6] Voir sur ces questions : Vinay Prasad Malignant. How Bad Policy and Bad Evidence Harm People with Cancer, Johns Hopkins Universityohns HopkinsPress, 2020.

Boris Hauray

Sociologue, Chargé de recherche à l'Inserm

Mots-clés

Covid-19Vaccins

Notes

[1] Boris Hauray, Henri Boullier, Jean-Paul Gaudillière et Hélène Michel (dir.) Conflict of Interest and Medicine: Knowledge, Practices, and Mobilizations, Routlegde, 2021 (à paraître).

[2] Aaron Mitchell et al., « Are Financial Payments From the Pharmaceutical Industry Associated With Physician Prescribing? A Systematic Review », Annals of Internal Medicine, 2021.

[3] Par exemple, la participation de médecins ou de scientifiques académiques à des recherches financées par des industriels découle implacablement de la place dominante de ces derniers dans la recherche clinique. Cependant, on pourrait envisager d’interdire tout bénéfice financier individuel lié à cette participation et, plus largement, la réalisation par ces professionnels de travaux de consultance ou de discours rémunérés pour les industriels. De même, alors qu’il est possible en quelques clics d’avoir accès aux dernières publications scientifiques et aux expertises/guidelines produites dans le monde entier, interdire les activités promotionnelles des industriels au sein des cabinets médicaux ou des services hospitaliers et les dépenses (par exemple de repas) qui les accompagnent représente un risque faible de nuire à la diffusion de savoirs indispensables à la santé publique.

[4] William Lazonick, Öner Tulum, Matt Hopkins, Mustafa Erdem Sakinç et Ken Jacobson, Financialization of the US Pharmaceutical Industry, Institute for New Economic Thinking, 2019.

[5] Par opposition au modèle du blockbuster qui dominait auparavant et qui consistait à vendre des médicaments ayant des prix modérés à de très larges populations.

[6] Voir sur ces questions : Vinay Prasad Malignant. How Bad Policy and Bad Evidence Harm People with Cancer, Johns Hopkins Universityohns HopkinsPress, 2020.