Mérites et limites des logiques guerrières
La majorité des lecteur·es de cet article auront sans doute, comme son auteur, eu la chance énorme d’avoir échappé jusqu’à ce jour aux horreurs de la guerre. Nous l’avons vue par films interposés (1914-18, 1939-45, Vietnam) ou dans les journaux télévisés (Yougoslavie, Irak, Syrie, Libye, Yémen). Nous ne l’avons pas vécue dans notre chair et nos familles proches. Elle relève pour nous, Européen·nes de l’Ouest, du passé, du lointain et de l’exceptionnel. Est-ce cette bonne fortune existentielle qui nous empêche de faire face aux défis du présent ?

Un livre de Jairus Victor Grove intitulé Savage Ecology nous invite à retourner la perspective. Le monde où nous vivons et l’âge crépusculaire qui est le nôtre y sont décrits comme ceux de l’Eurocène. Ce dernier y est caractérisé comme un régime de domination mondiale, que les Européens et leurs diasporas (américaines, australiennes) ont imposé aux autres populations de la planète par l’instauration d’un état de guerre généralisé.
Le renversement est radical en ce que Grove propose de concevoir la guerre non comme un emballement localisé et exceptionnel de relations sociales normalement pacifiques, mais comme une véritable « écologie » conditionnant le quotidien des relations que les humains (au visage pâle) entretiennent avec leur milieu ainsi qu’entre eux :
« Les pratiques et les organisations en vigueur parmi nous – depuis l’extraction de ressources, les enclosures, les émissions de carbone, la racialisation, l’incarcération de masse, le contrôle des frontières, l’accumulation primitive par spoliation et les frappes chirurgicales jusqu’aux guerres officiellement déclarées – tout cela relève effectivement de relations de guerre bien davantage que de corrélations ou d’analogies de type métaphorique. Plus radicalement, la politique, le colonialisme, la destruction écologique, le racisme et les misogynies ne sont pas la poursuite de la guerre par d’autres moyens – ce sont bel et bien des guerres. La guerre n’est pas