Littérature

San-Antonio, vu de l’extérieur

Historien, Professeur en sciences de la culture

Frédéric Dard aurait eu 100 ans fin juin. Le père de San Antonio a construit dans la seconde moitié du XXe siècle une œuvre dans laquelle, sérieusement ou « pour rire », les personnages sont piégés dans un monde où la langue, le territoire et l’histoire font corps et structurent les identités. L’effet de décalage est immense aujourd’hui, à la lecture de ces livres truffés d’argot, de néologismes et d’écarts linguistiques. On ne peut alors que se demander ce qu’il advient quand il est traduit dans d’autres langues.

Les fictions populaires françaises ont une vie hors de l’Hexagone, comme l’a récemment rappelé le succès de la série Lupin sur Netflix, vue par 70 millions de personnes à travers le monde dès son premier mois de diffusion. Le San-Antonio de Frédéric Dard (1921-2000) ne fait pas exception.

Dès le milieu des années 1950, en commençant par l’Angleterre et l’Espagne, mais à une cadence vraiment industrielle à partir seulement de 1969-1970, les traducteurs ont domestiqué son inventivité verbale, son humour grossier aux références situées. Ils ont rendu disponible une œuvre réputée intraduisible, qui longtemps ne se souciait guère d’être lue à l’étranger. Son public, à la différence de celui de Leblanc, de Leroux ou de Simenon était principalement compris comme hexagonal (et en particulier provincial), puis francophone. En 1965, devant un parterre d’universitaires, l’auteur, apparemment ignorant des traductions déjà en circulation pouvait déclarer que « ça n’a été traduit dans aucune langue [1] ».

publicité

Comment cette série policière si singulière, concentré de frenchness, a-t-elle été lue, comprise – et oubliée – hors de nos frontières ? Comment ont été entendus hors de son premier contexte de lecture son usage et ses abus des clichés et stéréotypes nationaux ? Chez Dard, en effet, les références culturelles sont au service d’un perpétuel choc des civilisations stables et figées. Sérieusement ou « pour rire », ses personnages sont piégés dans un monde où la langue, le territoire et l’histoire font corps et structurent les identités.

Faire seuil

À trop briquer les monuments littéraires, fussent-ils populaires, on oublie qu’ils sont des objets mouvants. Apparue en 1949 chez un petit éditeur lyonnais, mais changeant de dimension dès 1950 avec la publication de sa seconde aventure, Laissez tomber la fille, dans la toute récente collection « Spécial Police », San-Antonio, la saga policière de Frédéric Dard, est traduite avec des fortunes diverses, mais toujours au prix de


[1] Robert Escarpit, Une forme de roman noir au XXe siècle. Le Phénomène San-Antonio, Centre de Sociologie des Faits Littéraires, Université de Bordeaux, 1965, p. 32.

[2] C’est mort et ça ne sait pas !, Fleuve Noir, 1955, p. 177.

[3] San-Antonio, Tarte à la crème story, Fleuve Noir, 1980, p. 46.

[4] Merci à Jean-Marie Le Ray de nous avoir communiqué ces informations, ainsi qu’à Gianni Rizzoni.

[5] San-Antonio, Bouge ton pied que je voie la mer, Fleuve Noir, 1982, p. 208.

[6] San-Antonio, Bas les pattes, Fleuve Noir, 1954, p. 44.

[7] Apostrophes, « Le sexe des mots », Antenne 2, 12 janvier 1979.

Loïc Artiaga

Historien, Maître de conférences à l’Université de Limoges

Dominique Jeannerod

Professeur en sciences de la culture, senior lecturer en Études Françaises à l'Université Queen's de Belfast, pilote du groupe de recherches International Crime Fiction

Rayonnages

LivresLittérature

Notes

[1] Robert Escarpit, Une forme de roman noir au XXe siècle. Le Phénomène San-Antonio, Centre de Sociologie des Faits Littéraires, Université de Bordeaux, 1965, p. 32.

[2] C’est mort et ça ne sait pas !, Fleuve Noir, 1955, p. 177.

[3] San-Antonio, Tarte à la crème story, Fleuve Noir, 1980, p. 46.

[4] Merci à Jean-Marie Le Ray de nous avoir communiqué ces informations, ainsi qu’à Gianni Rizzoni.

[5] San-Antonio, Bouge ton pied que je voie la mer, Fleuve Noir, 1982, p. 208.

[6] San-Antonio, Bas les pattes, Fleuve Noir, 1954, p. 44.

[7] Apostrophes, « Le sexe des mots », Antenne 2, 12 janvier 1979.