Union européenne

Une Europe sans peuple ? Les conditions d’une démocratie européenne

Philosophe

La tenue jeudi et vendredi d’un nouveau Conseil, réunissant les chefs d’Etat ou de gouvernement des pays de l’UE, offre l’occasion de reposer la question de la possibilité d’une démocratie européenne. Y répondre c’est d’abord se demander ce que pourrait être un demos européen, car un peuple n’est en effet jamais donné d’avance, il se construit à travers des institutions et des pratiques démocratiques.

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Pour les souverainistes de tous bords, l’Union européenne est un bouc-émissaire de choix. Plusieurs menaces liées aux institutions de l’Union mettent en danger, à leurs yeux, l’autodétermination du peuple. Le peuple européen ne dispose d’aucune identité politique, sur le mode de l’identité nationale ; il est dépourvu d’instances représentatives dignes de ce nom. La volonté générale des peuples n’est plus prise en compte et, en l’absence de « peuple européen », la démocratie européenne est impossible : telle est, brièvement résumée, la célèbre thèse du « no demos[1] ».

Puisqu’il n’existe pas de pouvoir constituant en Europe, ni de prise en compte de la volonté populaire, la souveraineté revient de facto à de puissants acteurs qui ne sont ni légitimes ni responsables devant les peuples : banques, agences de notations, marchés financiers, agences non élues (BCE, voire Commission européenne). L’Europe est donc le meilleur ennemi des « populistes » : reléguées au statut de vassal du grand capital, les institutions de l’Union apparaissent comme l’usurpation du pouvoir du peuple[2].

Cet argumentaire doit être pris au sérieux. Dans un contexte où le ressentiment s’accroît sous l’effet d’autres causes liées aux effets pervers du marché unique, l’Union européenne semble imposer une « cage de fer » aux souverainetés nationales. Mais l’argument du déficit démocratique européen est-il fondé ? Le peuple titulaire de la souveraineté européenne est-il voué à demeurer une simple fiction juridique ou un flatus vocis ?

Le déficit démocratique européen

Le régime politique de l’Union européenne est trop complexe pour pouvoir être analysé aisément. Le « triangle institutionnel » comprend à la fois un Conseil des chefs d’État et de gouvernement, une Commission européenne non élue et un Parlement européen. Or, selon les critiques de l’Union, cette polyarchie dysfonctionne et désarme la démocratie.

En premier lieu, la vie politique européenne souffre de dépolitisation. En l’absenc


[1] Voir Richard Bellamy, « « An Ever Closer Union Among the Peoples of Europe »: Republican Intergovernmentalism and Demoicratic Representation within the EU », Journal of European Integration, Vol. 35 n° 5, 2013, pp. 499-516.

[2] Nous ne reviendrons pas ici sur les controverses liées à l’usage de ce concept. Voir notamment Peuples et populisme, F. Guénard éd., Paris, PUF, 2014 ; Pierre Rosanvallon, Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020, pp. 27-35.

[3] Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, Paris, Seuil, 2014, p. 61.

[4] Pierre Dardot et Christian Laval, Ce cauchemar qui n’en finit pas, Paris, La Découverte, 2016, p. 134.

[5] Voir Catherine Colliot-Thélène, « L’Europe est-elle démocratisable ? », in Dialogues avec Jürgen Habermas, J.-F. Kervégan et I. Aubert éds., Paris, CNRS Éditions, 2018, pp. 45-56.

[6] Dieter Grimm, « Does Europe need a Constitution? », European Law Journal, 1/3, 1995, pp. 282-302.

[7] Kalypso Nicolaïdis, « Notre démocratie Européenne. La constellation transnationale à l’horizon du patriotisme constitutionnel », Politique européenne, vol. 19, n° 2, 2006, p. 45-71.

[8] Kalypso Nicolaïdis, « Demos et Demoï : fonder la Constitution », Lignes, Vol. 13, n° 1, 2004, pp. 88-109.

[9] Voir supra, chapitre 1.

[10] Étienne Balibar, Europe, crise et fin ?, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2016, p. 218 ; « Quelle Europe démocratique ? Réponse à Jürgen Habermas », Le Monde, 3 septembre 2012.

[11] Hobbes, Le Citoyen, trad. S. Sorbière, Paris, GF-Flammarion, 1982, VI, 1, p. 150.

[12] Rousseau, Du Contrat social (désormais CS), B. Bernardi éd., Paris, GF-Flammarion, 2001, I, 5. Voir Jean-François Kervégan, « Peuple », Dictionnaire de Philosophie politique, Ph. Raynaud et S. Rials éds., Paris, PUF, 1996, pp. 461-463.

[13] Nous nous permettons de renvoyer à Céline Spector, Rousseau. Les paradoxes de l’autonomie démocratique, Paris, Michalon, 2015.

[14] Nous nous permettons de renvoyer à notre Rousseau et la critique de l’économie poli

Céline Spector

Philosophe, Professeure à l’UFR de Philosophie de Sorbonne Université

Notes

[1] Voir Richard Bellamy, « « An Ever Closer Union Among the Peoples of Europe »: Republican Intergovernmentalism and Demoicratic Representation within the EU », Journal of European Integration, Vol. 35 n° 5, 2013, pp. 499-516.

[2] Nous ne reviendrons pas ici sur les controverses liées à l’usage de ce concept. Voir notamment Peuples et populisme, F. Guénard éd., Paris, PUF, 2014 ; Pierre Rosanvallon, Le Siècle du populisme. Histoire, théorie, critique, Paris, Seuil, 2020, pp. 27-35.

[3] Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, Paris, Seuil, 2014, p. 61.

[4] Pierre Dardot et Christian Laval, Ce cauchemar qui n’en finit pas, Paris, La Découverte, 2016, p. 134.

[5] Voir Catherine Colliot-Thélène, « L’Europe est-elle démocratisable ? », in Dialogues avec Jürgen Habermas, J.-F. Kervégan et I. Aubert éds., Paris, CNRS Éditions, 2018, pp. 45-56.

[6] Dieter Grimm, « Does Europe need a Constitution? », European Law Journal, 1/3, 1995, pp. 282-302.

[7] Kalypso Nicolaïdis, « Notre démocratie Européenne. La constellation transnationale à l’horizon du patriotisme constitutionnel », Politique européenne, vol. 19, n° 2, 2006, p. 45-71.

[8] Kalypso Nicolaïdis, « Demos et Demoï : fonder la Constitution », Lignes, Vol. 13, n° 1, 2004, pp. 88-109.

[9] Voir supra, chapitre 1.

[10] Étienne Balibar, Europe, crise et fin ?, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2016, p. 218 ; « Quelle Europe démocratique ? Réponse à Jürgen Habermas », Le Monde, 3 septembre 2012.

[11] Hobbes, Le Citoyen, trad. S. Sorbière, Paris, GF-Flammarion, 1982, VI, 1, p. 150.

[12] Rousseau, Du Contrat social (désormais CS), B. Bernardi éd., Paris, GF-Flammarion, 2001, I, 5. Voir Jean-François Kervégan, « Peuple », Dictionnaire de Philosophie politique, Ph. Raynaud et S. Rials éds., Paris, PUF, 1996, pp. 461-463.

[13] Nous nous permettons de renvoyer à Céline Spector, Rousseau. Les paradoxes de l’autonomie démocratique, Paris, Michalon, 2015.

[14] Nous nous permettons de renvoyer à notre Rousseau et la critique de l’économie poli