Écologie

COP26 : pourquoi une nouvelle déception ?

Économiste

Une nouvelle COP, la vingt-sixième, s’achève sur un résultat décevant, qui ne semble pas à la hauteur de la prise de conscience climatique mondiale. Elle s’annonçait pourtant comme la première mise à jour majeure des engagements des États (Nationally Determined Contribution) depuis l’Accord de Paris en 2015. Le Pacte de Glasgow reste pourtant très en-deçà de l’enjeu. Pourquoi ce sentiment si fréquent de déception lorsqu’un sommet climatique arrive à son terme ?

Il ne faut pas exiger des COP ce qu’elles ne peuvent produire. La presse internationale, jamais avare de superlatif, a eu tôt fait de proclamer qu’il s’agissait du « sommet de la dernière chance ». Une grandiloquence contreproductive quand la principale conclusion du Pacte de Glasgow est d’avoir choisi – encore une fois, hélas – de reporter à l’an prochain l’obtention d’engagements plus importants.

Les COP sont des instances de négociations internationales destinées à produire un consensus le plus large possible. À ce titre, elles sont assujetties au double règne de la langue diplomatique et la complexité technocratique. Un tel cocktail ne peut laisser qu’un goût bien fade devant l’importance historique de l’enjeu et l’énergie des mobilisations pour le climat.

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Ceci explique en particulier pourquoi l’inclusion des termes « énergies fossiles » dans le Pacte de Glasgow, une première, est considérée comme une avancée majeure par les négociateurs. Cet ajout implique que les principaux producteurs pétroliers, OPEP et Russie en tête, ont enfin accepté de désigner l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz naturel fossiles comme principaux responsables du dérèglement climatique. Mais il faut admettre qu’en dehors de ce contexte, il paraît surréaliste d’avoir dû attendre vingt-sept ans de négociations pour reconnaître l’évidence.

Plus prosaïquement, les COP sont également le barnum médiatique que beaucoup décrient. En des temps pas si reculés où la crise climatique était loin encore d’occuper le devant de la scène, elles permettaient de jeter un coup de projecteur précieux sur des enjeux trop ignorés. Ce rôle est moins essentiel aujourd’hui, mais les COP restent un forum important de rencontre et de coordination des acteurs étatiques et non-étatiques, et de mobilisation remarquable pour les mouvements de la société civile engagés dans la lutte pour le climat.

Les défenseurs du processus ont raison de souligner que le processus des COP est l’un des mécanismes de coordination internationale les plus ambitieux et, avec 195 pays signataires de l’Accord de Paris, l’un des plus inclusifs au monde. Que l’existence même d’un accord à l’issue d’une COP, quel qu’il soit, reste une réussite. Que des avancées notables ont été obtenues à Glasgow, en particulier par des coalitions spécifiques de pays.

Cette approche permet à un groupe de pays de se fixer collectivement des objectifs plus ambitieux que s’ils avaient dû être votés à l’unanimité – fonctionnement habituel des COP. On pourra citer notamment l’engagement de 90 pays à réduire de 30 % leurs émissions de méthane d’ici 2030 – qui à lui seul, s’il est suivi d’effets, pourrait permettre d’éviter 0,2°C de réchauffement d’ici à 2050, tant le méthane est un gaz à effet de serre plus puissant que le CO2.

On pense encore à l’engagement Global Forest Finance, où 12 pays ont promis plus de 12 milliards de financements d’ici 2025 pour lutter contre la déforestation. Ces coalitions ne sont toutefois pas toute d’égale valeur : la Beyond Oil and Gas Alliance, lancée par le Danemark et le Costa Rica, vise ainsi à mettre fin à l’exploitation des gisements fossiles de gaz et de pétrole – sans inclure aucun des principaux producteurs mondiaux, ni interdire à ses pays participants de financer l’extraction en dehors de leurs frontières. Une belle occasion de green-washing pour les pays adhérents sans production fossile domestique, en somme, dont la France.

Les pays les plus vulnérables, emmenés notamment par les délégations insulaires du Pacifique, se sont vus opposer un refus catégorique des États-Unis et de l’Union Européenne.

Indépendamment de ces avancées parallèles, il n’en reste pas moins que l’accord principal est loin d’être à la hauteur du défi. La plupart des objectifs de la conférence n’ont pas été atteints, à commencer par un nouvel ensemble de NDC (Nationally Determined Contribution, engagements des États) qui permettraient collectivement de rester en-deçà d’une trajectoire conduisant à 2°C de réchauffement (pour ne rien dire de l’objectif 1,5°C, pour lequel 89 % du budget total d’émissions a déjà été consommé, et qui était déjà quasiment inatteignable lors de sa formulation en 2015).

L’un des principaux échecs de Glasgow cristallise l’essentiel des blocages qui freinent la collaboration internationale contre la crise climatique : l’absence de financement affecté aux « Loss and Damages » (« pertes et dommages »). Les pays en développement les plus exposés aux impacts du changement climatique exigeaient des pays industrialisés un engagement à fournir une aide financière en cas de catastrophe climatique – sécheresses, cyclones, inondations notamment.

La nécessité même de ce mécanisme résume le retard pris dans la lutte contre le changement climatique au cours des 25 dernières années. La question des transferts financiers depuis les pays riches vers les pays en développement est au cœur des négociations depuis 1995 et la première COP.

En 1997, le protocole de Kyoto introduisait le premier de ces instruments de transfert, les Clean Development Mechanisms (CDM). Ces derniers permettaient aux pays industrialisés de compenser une partie de leurs émissions en finançant la décarbonisation du développement des pays pauvres. Leur raison d’être pouvait encore se cantonner à la seule réduction des émissions de GES.

En 2009 à Copenhague, 21 % d’émissions annuelles supplémentaires et 400 GtCO2 plus tard, la promesse de transfert annuel vers les pays en développement atteignait pour la première fois 100 milliards de dollars par an – montant qui, 12 années plus tard, n’est par ailleurs toujours pas atteint. Mais le retard pris était déjà trop grand pour éviter toute conséquence du réchauffement : 20 % des transferts se trouvaient désormais affectés aux projets d’adaptation permettant de limiter les impacts futurs du changement climatique.

En 2021, après 450 GtCO2 de plus et alors que le réchauffement dépasse déjà les 1,2°C, les impacts climatiques inévitables sont plus nombreux encore. L’un des enjeux majeurs à Glasgow était d’augmenter à 50 % la part du Green Climate Fund de 100 milliards de dollars dédiée à l’adaptation (une des principales avancées obtenues sur le fil de l’accord), mais aussi de créer ce nouveau mécanisme de transfert dédié spécifiquement aux « pertes et dommages ». Au fil de notre incapacité à infléchir suffisamment nos émissions, la nécessité de réduction a dû s’accompagner d’un besoin d’adaptation, avant de conduire aujourd’hui à une demande de réparation.

Les pays les plus vulnérables, emmenés notamment par les délégations insulaires du Pacifique, se sont vus opposer un refus catégorique des États-Unis et de l’Union Européenne. La responsabilité historique de ces deux ensembles est pourtant écrasante. Les États-Unis représentent plus de 20 % du total des émissions cumulées depuis le XIXe siècle, quand l’Europe en totalise entre 20 % et 25 % suivant les estimations. Le constat est plus sévère encore si l’on considère les émissions historiques par habitant, plus adaptées aux questions de justice climatique. Le Royaume-Uni, berceau de la révolution industrielle, cumule plus de 5 % des émissions fossiles anthropogéniques totales pour ses seuls 67 millions de ressortissants – une part comparable à celle de l’Inde et ses 1,4 milliards d’habitants.

Le refus de couvrir une partie des risques dits de « pertes et dommages » qui menacent les pays vulnérables est d’autant plus injustifiable que ce sont bien ces émissions historiques, cause principale du dérèglement climatique, qui ont permis aux États-Unis et à l’Europe d’atteindre leur statut actuel de pays riches. Mais les montants engagés par la mise en place d’un tel mécanisme ne seraient pas limités – quel responsable politique assumerait de signer ainsi un tel chèque en blanc ?

L’absence de progrès au niveau international ne doit pas masquer que c’est à l’échelon infranational que se fait l’essentiel de la décarbonisation de nos économies.

Bien des blocages et déceptions issus des COP successives trouvent leurs racines dans des réalités politiques domestiques complexes. Elles ne sont pas le seul fait de la pusillanimité des dirigeants face à l’enjeu. Les États-Unis se sont ainsi contentés de « soutenir sans toutefois rejoindre » l’une des meilleures initiatives issues de cette COP26, l’engagement de plus de 40 pays de renoncer totalement au charbon entre 2030 et 2040. Le président Biden ne pouvait en effet pas se permettre de perdre la voix de Joe Manchin, sénateur de Virginie Occidentale pourtant démocrate mais ardent défenseur des communautés dépendant de l’industrie du charbon dans son État. Sans lui, pas de majorité au Sénat pour le grand plan d’infrastructure voté au Sénat américain vendredi dernier, qui comporte 150 milliards de dollars d’investissements spécifiquement dédiés à la réduction des émissions américaines. Sans doute était-ce le bon arbitrage, mais quel signal envoyé à l’Inde et la Chine, qui finalement décideront d’affaiblir la déclaration du Pacte sur la sortie du charbon ?

Un autre frein dans la lutte contre le dérèglement climatique tient à son contexte géopolitique. La convention de l’ONU fixant le cadre des négociations climatiques (UNFCCC) décrivait, en 1992, une ère bien différente. Les pays développés représentaient encore 80 % des émissions mondiales – il y avait alors correspondance entre responsabilité historique et instantanée face aux émissions.

L’ascension économique fulgurante de la Chine, qui émet aujourd’hui plus que l’ensemble des pays industrialisés, est venue remettre en cause cette cohérence dès les années 2000. Cette prépondérance nouvelle a conduit à la place essentielle du couple Chine-États-Unis dans les négociations climatiques. L’insuffisance de leur coordination a beaucoup joué dans l’échec de Copenhague en 2009, et ce sont pour une bonne part leurs efforts diplomatiques en amont de la COP21 qui ont rendu possible l’Accord de Paris.

Le regain de tension récent entre les deux géants et la guerre froide qui semble devoir s’ouvrir entre eux pouvaient faire craindre le pire. À ce titre, la déclaration conjointe des deux pays réaffirmant leur engagement commun dans la lutte contre le changement climatique, le 10 novembre, a sans doute constitué l’une des meilleures nouvelles de cette COP. Au-delà de sa part dans les émissions mondiales, la Chine occupe une place centrale dans la production et la recherche et développement en matière d’énergie renouvelable et de batteries. L’objectif du net zéro ne pourrait se payer le luxe d’une guerre froide affectant les technologies de décarbonisation.

Plus généralement, l’essor des pays émergents conduit simultanément à diversifier les pays sources d’émissions et à affaiblir l’importance relative des pays occidentaux. Glasgow marque la montée en puissance de pays qui étaient encore marginaux en termes d’émissions il y a dix ans, comme l’Inde, l’Indonésie ou encore le Nigeria. Cette diversification complexifie la dynamique des négociations, tout en réduisant le poids relatif de chacun des acteurs.

Cette double dynamique joue un rôle clé dans l’économie politique des négociations climatiques. Au sein des pays développés, les appels à la réduction des émissions et aux transferts vers les émergents se heurtent au rejet des forces politiques qui s’inquiètent du déclin relatif de leurs économies. De façon symétrique, les pays émergents, dont beaucoup ont eu à souffrir de la domination coloniale des précédents, ne veulent pas voir leur essor économique potentiellement entravé sans compensation financière. Ce rejet est particulièrement aigu chez les dirigeants nationalistes qui, de Jaïr Bolsonaro à Narendra Modi, peuvent s’offrir à bon compte une posture de défiance sur le dos des négociations climatiques.

Cette croisée des chemins économique se produit au pire moment historique pour résoudre la crise climatique. Les blocages qu’elle génère sont à l’origine de l’abandon du cadre de Kyoto en faveur de celui, beaucoup plus souple et bien moins contraignant, de Paris, des échecs répétés sur l’apport des financements nécessaires aux pays en développement, et demain peut-être de guerres commerciales autour des taxes carbones aux frontières.

La faiblesse du Pacte de Glasgow souligne combien ces difficultés structurelles, qui procèdent d’évolutions économiques et géopolitiques sans rapport avec la crise climatique, n’ont été que renforcées depuis la COP21. ll restera à démontrer, pour la COP27, où doivent être annoncés de nouveaux NDC plus ambitieux en 2022, que les négociations climatiques restent un cadre pertinent dans la lutte pour les 2°C. Dans le cas contraire, l’action pour le climat se poursuivra malgré tout aux niveaux locaux et régionaux. L’absence de progrès au niveau international ne doit pas masquer que c’est à l’échelon infranational que se fait l’essentiel de la décarbonisation de nos économies.


Aurélien Saussay

Économiste, Chercheur à la London School of Economics

Mots-clés

Climat