Ce que l’Amérique latine fait aux sciences sociales
Il fut un temps où l’Amérique latine avait une rubrique dans les pages des quotidiens français ; où une revue aussi sérieuse et consacrée que les Annales pouvait dédier un numéro double à « l’anthropologie historique et sociale des Andes » (1978) ; où elle incarnait l’avant-garde des luttes sociales, et des révolutions. Las, il faut bien constater qu’elle est devenue le continent négligé par les médias, et que les expéditions aux confins de l’Amazonie ou de l’Altiplano ne font plus vraiment rêver les ethnologues du quotidien.
Il faut dire que, dans la recherche française, l’Amérique latine n’est plus tout à fait à la mode. Quelques revues occupent le terrain, de l’anthropologie à la sociologie ou la géographie, mais l’exigence de focalisation sur « l’actualité politique », qui a donné un semblant de renouveau avec les analyses du « retour des gauches » dans les années 2000 autour du Venezuela, du Brésil, de la Bolivie et de l’Équateur, a semble-t-il fait long feu, et le mouvement de balancier qui fait osciller le champ des spécialistes entre l’enchantement des débuts et la désillusion face aux difficultés rencontrées, suscite désormais plus de constats hâtifs sur la fin des gouvernements progressistes, voire leur condamnation sans appel, que d’analyses un tant soit peu objectives.

L’Amérique latine n’incarne-t-elle plus que les illusions perdues ? Ses promesses d’exemplarité des transformations globales et de nouvelles causes politiques ont-elles si rapidement disparu ?
On voudrait pourtant ici suggérer que les recherches sur la région ont encore des choses à dire sur les transformations globales des sociétés contemporaines, sur les cadres d’analyse au travers desquels elles sont saisies, et plus précisément sur les alternatives politiques qui s’y produisent. Ce que l’Amérique latine fait aux sciences sociales, c’est non seulement ce que les chercheurs du continent apportent au progrès des connaissances, mais aussi ce que les chercheurs en sciences sociale