Afghanistan : la guerre par le droit des Taliban
lors que la victoire des Taliban en Afghanistan amène de nombreuses conjectures sur le régime qu’ils mettront en place, le peu de connaissances dont nous disposons sur les dirigeants incite à la prudence. La focalisation sur la potentielle scission du soi-disant réseau Haqqani a démontré notre degré d’ignorance sur les échelons supérieurs du mouvement armé dans les deux décennies de la guerre.
Plutôt que de discuter des positions des responsables Taliban et de leurs relations, le plus raisonnable pour penser le régime qu’ils s’apprêtent à établir est de se pencher sur leur administration des régions rurales alors qu’ils étaient une insurrection. Or, si les Taliban ont gagné la guerre par les armes, ils se sont également imposés par l’établissement d’un système judiciaire qui leur a permis d’incarner l’État aux yeux de nombreux Afghans.

Le succès des tribunaux Taliban renvoie d’abord aux conséquences sur le droit et la justice de l’intervention occidentale dans un contexte d’incertitude juridique radicale pour les Afghans. Lorsque les États-Unis interviennent en Afghanistan en 2001, la société afghane a déjà traversé vingt-trois ans de guerres civiles qui se sont traduits par une multiplication des litiges. Le soulèvement suscité par le coup d’État communiste de 1978 a entraîné, en parallèle des affrontements armés, une révolution dans le champ juridique. De manière sous-jacente à la lutte armée, le droit et la justice sont devenus un enjeu de la confrontation entre le gouvernement communiste et l’insurrection, mais également de la compétition entre élites (notables, diplômés de l’Université et personnel religieux) pour réguler les rapports sociaux.
Alors que, durant le XXe siècle, l’État afghan avait progressivement sécularisé le système judiciaire, la victoire des moudjahidin contre l’Union soviétique à la fin des années 1980 avait donné aux oulémas un monopole sur la légitimité à dire le droit. Après la chute du régime communiste en 1992, les factions ar