Nouvelle-Calédonie : une victoire à la Pyrrhus
« Les Calédoniens se sont déclarés massivement contre l’accès à la pleine souveraineté et à l’indépendance dans un contexte de forte abstention. La Nouvelle-Calédonie restera donc française. »
Le ton est martial et l’avis tranché. Ainsi a parlé le Président de la République, le 12 décembre 2021, à 23 h, heure de Nouméa, et 13 h, heure de Paris, dans le discours qu’il adresse aux Françaises et Français pour conclure la troisième et ultime consultation référendaire portant sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie prévue par l’Accord de Nouméa.
Si l’allusion au « contexte de forte abstention » ne fait l’objet d’aucun autre commentaire dans la suite de son discours, le Président insiste en revanche à plusieurs reprises sur le résultat du référendum, la victoire du « Non » à l’indépendance obtenue avec le score de 96 % des votants qui, selon lui, « confirme la volonté exprimée par la majorité des Calédoniens de rester dans la République et dans la Nation française ». Et de préciser : « les Calédoniennes, les Calédoniens ont choisi de rester français. Ils l’ont décidé librement. »
Techniquement, le résultat de la consultation référendaire n’est pas contestable. Mais le score obtenu de 96 % crée évidemment la suspicion. De fait, 41 % seulement du corps électoral s’est prononcé en faveur du « Non », tandis que 56 % des électeurs ont choisi de s’abstenir[1].
Le taux d’abstention en 2021 est impressionnant, bien plus élevé encore qu’en 1987, lors du fameux référendum Pons boycotté par les indépendantistes (41 % du corps électoral). Loin d’être un signe de démobilisation, ce score est tout au contraire le signe d’un camp indépendantiste solidaire et regroupé derrière l’appel lancé par le FLNKS en faveur de la non-participation à cette 3e consultation, tandis que les partisans du « Non » déplorent, en revanche, un recul en nombre de voix par rapport aux résultats de la 2e consultation en 2020. Si on ajoute les voix du « Oui », ce sont quelques 60 % des électeurs inscrits sur la liste spéciale qui ne se sont pas prononcés en faveur du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.
Le retour de « la plus grande France »
Au nom de cette victoire en trompe-l’œil, le président de la République, en ce soir du 12 décembre 2021, affiche sa satisfaction en proclamant « ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester », pour finir par un : « chers compatriotes de Nouvelle-Calédonie, la France est fière d’être votre patrie ».
Le malaise est certain pour quiconque connaît la longue histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie, laquelle révèle toute la brutalité que comporte un propos présidentiel inscrit dans la longue tradition de « la plus grande France » qui, hier comme aujourd’hui, faisait et fait encore appel à la « patrie » pour défendre la présence française dans les « territoires périphériques » anciennement colonies, au nom de leur contribution à la « beauté » de la France, et plus prosaïquement à ses intérêts.
Le malaise s’accentue quand il est fait, ensuite, (une seule fois) référence au « peuple premier reconnu par l’Accord de Nouméa », pour souligner à quel point la présence des Kanak « au sein de la communauté nationale est une chance inestimable ». À croire qu’Emmanuel Macron, si sensible, par ailleurs, et en particulier pour l’Algérie, au passé colonial de la France et à la mémoire de la colonisation, ignore et veut ignorer radicalement l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, la violence de la colonisation française, les persistances des héritages coloniaux, les « évènements » des années 1980 et l’aspiration profonde à l’indépendance qui en a résulté. Sans scrupule aucun, il préfère pratiquer le déni tout en émaillant son discours de références à « l’humilité et le respect », valeurs essentielles pour les Kanak, mais qui ne sont ici qu’instrumentalisées et vidées de leur sens.
Le passage en force du gouvernement français
Comment expliquer la stratégie du gouvernement Castex depuis la rencontre organisée en juin 2021 entre les forces politiques calédoniennes convoquées à Paris autour d’un document élaboré par les services de l’État présentant les effets du « Oui » et du « Non » à l’indépendance[2] ; document qui s’est avéré à charge contre le scénario de l’indépendance présentée sous sa forme la plus radicale : une indépendance de rupture avec la France.
C’est à la suite de cette rencontre, à laquelle ne participait pas l’une des composantes historiques du FLNKS, l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), que la date du référendum a été fixée au 12 décembre 2021 et qu’un accord a été trouvé pour une transition de 18 mois à la suite du vote référendaire. Alors que l’UNI défendait l’option d’un référendum repoussé à l’automne 2022 comme l’autorisait le droit, elle décidait néanmoins de se lancer dans la campagne avec les autres forces indépendantistes au cours de l’été. Mais le Covid, qui avait épargné jusque-là le territoire, a été repéré dès le 6 septembre et a commencé à frapper le 9 septembre avec un premier décès.
Le taux d’incidence et la courbe des décès se sont alors envolés dans les deux mois qui ont suivi. On comptait, au 1er novembre, 265 décès dont une majorité d’Océaniens, de Kanak et de Wallisiens, du fait de la prévalence des maladies chroniques et de l’obésité parmi ces populations. Si l’épidémie a reflué en décembre 2021, on compte aujourd’hui 281 décès avec un taux d’incidence en progression et de sérieuses incertitudes liées à l’entrée probable du variant Omicron.
On ne reviendra pas sur l’importance des coutumes de deuil en milieu océanien, que d’autres commentateurs ont largement exposée, ni sur l’impossibilité d’organiser une campagne politique dans des tribus endeuillées toutes entières préoccupées par l’organisation du « travail » pour accueillir les lignées maternelles et paternelles et accompagner correctement les défunts vers leur dernière demeure. Le gouvernement Castex et le ministre des Outre-mer n’ont pas voulu entendre la demande de report faite par l’ensemble du camp indépendantiste ainsi que par le parti wallisien et futunien, l’Éveil Océanien[3], et le Sénat coutumier qui, pourtant, décrétait une année de deuil kanak.
Officiellement comme l’a rappelé Sébastien Lecornu, lors de son passage éclair à Nouméa lors du vote référendaire, « il n’y avait pas de raisons légitimes de reporter ce scrutin, seules des raisons sanitaires pouvaient créer un décalage de calendrier ». Mais l’enfermement dans un stricte logique sanitaire n’était pas la seule explication de cet arc-boutage sur la date du 12 décembre. Il s’agissait aussi de s’assurer que la campagne référendaire en Nouvelle-Calédonie ne se conjugue pas avec les échéances électorales françaises, et en particulier les présidentielles.
C’était effectivement le souci d’Édouard Philippe, en 2019, alors Premier ministre, qui promettait que le référendum aurait lieu après les élections présidentielles et législatives. Le gouvernement Castex et son ministre des Outre-mer ont préféré précipiter les échéances pour se débarrasser au plus vite du dossier avant les élections présidentielles, non sans arrière-pensée.
Ils répondaient ainsi aux vœux de la droite calédonienne qui espérait, elle aussi, se débarrasser au plus vite de ce 3e vote, craignant peut-être que le résultat ne lui soit défavorable ou trop serré. Ils répondaient, par ailleurs, à la volonté clairement affichée du Président de la République de prendre parti contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie au nom des intérêts géostratégiques de la France dans la zone « Indo Pacifique ». Ils répondaient enfin à des manœuvres clientélistes bien moins avouables, qui consistaient à aller chercher des voix en faveur d’Emmanuel Macron précisément pour la campagne présidentielle à venir. En témoigne la création du Comité de soutien à Nouméa « pour saluer l’engagement sans faille du président en Nouvelle-Calédonie » formé par des loyalistes reconnaissants et coordonné par Christopher Gygès, le directeur de campagne des « Voix du Non », immédiatement après la visite de Sébastien Lecornu à Nouméa entre le 11 et le 15 décembre. Le passage en force du gouvernement pour l’organisation d’un 3e référendum, le 12 décembre 2021, valait bien, en remerciement, un soutien électoral.
L’organisation d’un marché de dupes ?
Ce que n’avait pas prévu le gouvernement, semble-t-il, c’est la réaction du camp indépendantiste : l’appel à la non-participation, la solidarité et la discipline dont ont fait preuve les électeurs indépendantistes qui se sont massivement abstenus et enfin, l’activation des instances internationales et l’ONU en tout premier lieu.
Comment alors légitimer un référendum d’autodétermination sans la participation du peuple kanak, peuple autochtone et peuple colonisé, au niveau local, national et international ? Comment sortir d’une évidente impasse politique et tenter de renouer le dialogue ? Sur la demande du Président de la République, Sébastien Lecornu, dépêché à Nouméa, prononçait un discours, le 14 décembre, du Haut-commissariat où il était confiné, Covid oblige. « L’État ne confond pas vitesse et précipitation », déclare-t-il à plusieurs reprises. Lui qui était si pressé d’organiser le référendum, prône désormais le respect des « contraintes de temps » et accepte de reporter les discussions sur le futur statut du territoire au-delà de l’élection présidentielle « dans un cadre plus stabilisé ».
Pourtant, personne ne semble convaincu de la stabilisation ainsi opérée. Pour les indépendantistes, suivis sur ce point par l’Éveil océanien, prévaut le sentiment d’un immense gâchis avec la clôture précipitée et non consensuelle de l’Accord de Nouméa, privant ainsi les acteurs politiques locaux d’une confrontation équitable qui aurait pu être reportée pour être jouée dans les meilleures conditions et dont le résultat aurait été ainsi rendu incontestable.
Sébastien Lecornu peut-il sérieusement affirmer que la période de transition de 18 mois prévue jusqu’en juin 2023 permettra de « prendre du temps pour réfléchir à l’avenir […] avec l’ensemble des formations politiques quelles qu’elles soient, sans oublier les coutumiers, la société civile et l’ensemble des Calédoniennes et Calédoniens[4] », lui qui a refusé le report de 12 mois pour l’achèvement d’un processus historique long de 30 ans ? Peut-il sérieusement déclarer que « le début d’une autre histoire va s’écrire, dans lequel il va falloir que chacun prenne sa part, que chacun fasse un bout du chemin », alors même que le chemin est entamé depuis si longtemps et que les partenaires politiques auxquels il s’adresse, signataires de l’Accord de Nouméa en 1998, ont largement pris leur part, les indépendantistes en tout premier lieu.
Et que dire des promesses faites aux partisans du « Non » ? Croyaient-ils que l’Accord de Nouméa s’éteindrait dès le 12 décembre au soir ? Pensaient-ils que l’organisation politique qui l’étayait, dont le fameux gel du corps électoral, pourrait être modifiée en toute tranquillité et sans aucune difficulté ? Ils doivent maintenant accepter le report des discussions institutionnelles et devront accepter les réformes urgentes que préconise le ministre des Outre-mer en matières financière, fiscale et minière, en accord avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, actuellement entre les mains des indépendantistes. Peut-être partagent-ils, avec ces derniers, le sentiment d’avoir été dupés ?
Contrairement à leurs arguments électoraux, l’Accord de Nouméa demeure. Pour éviter tout risque de vide juridique, il prévoit, en effet, le « maintien de l’organisation politique mise en place » dans l’attente d’un nouveau statut[5]. Le référendum n’a donc eu aucune conséquence sur l’organisation actuelle des pouvoirs publics, la répartition des compétences entre l’État, la Nouvelle-Calédonie et ses provinces ou le corps électoral spécifique. La loi organique du 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie et le Titre XIII de la Constitution qui sont la traduction normative de l’Accord, continuent à régir le processus calédonien. La caducité de l’Accord de Nouméa, souvent évoquée par le ministre des Outre-mer et les partis non-indépendantistes, n’a aucun caractère automatique, puisque non seulement la loi organique de 1999 n’est pas limitée dans le temps mais aussi et surtout, parce que le titre XIII de la Constitution demeurera inchangé tant que le Parlement, réuni en congrès, ne se sera pas prononcé à la majorité des 3/5 en faveur de sa modification[6].
Journée des dupes ou bal des hypocrites, le 12 décembre a certainement manqué de transparence sur ce point et plus particulièrement sur la question du corps électoral restreint. Conçu par l’Accord de Nouméa pour être le creuset de la « citoyenneté calédonienne », il était appelé à devenir le ferment du peuple calédonien. Ce même peuple auquel le droit international reconnaît le droit à l’autodétermination, et qui est constitué bien évidemment des Kanak, mais aussi, depuis la table-ronde de Nainville-les-Roches[7], des « victimes de l’histoire », invitées par le peuple premier à le rejoindre dans un destin commun.
Les Kanak ont tenu parole, devront-ils un jour prochain le regretter ? Ils peuvent pour le moins se sentir abusés après l’échéance du 12 décembre et la reprise en main de leur pays par la République. Un sentiment de trahison peut les gagner quand, au nom de l’égalité républicaine, est envisagée la disparition de la citoyenneté calédonienne. Le document sur les conséquences du « Oui » et du « Non » publié par l’État en juillet 2021 est en effet dénué d’ambiguïté à ce sujet lorsqu’il affirme : « Si le “Non” l’emporte à la troisième consultation d’autodétermination, la question de la citoyenneté calédonienne et des droits qui en découlent devra être reposée au regard de sa compatibilité avec les principes de la Constitution française[8]. »
Se trouvent ainsi remis en cause le principe d’un corps électoral restreint mais aussi la priorité à l’emploi local, qui permet aux citoyens calédoniens en compétition avec des métropolitains sur un même emploi d’avoir la préférence[9]. Vouloir ainsi dissoudre la citoyenneté calédonienne dans l’égalité républicaine ne peut que raviver les rancœurs et exacerber les luttes, en particulier dans le domaine social.
L’initiative change de main
L’actuel gouvernement, dirigé par l’indépendantiste Louis Mapou, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, lui qui a inscrit la lutte contre les inégalités et la refonte de la fiscalité sur sa feuille de route. Vecteurs de justice sociale et garants d’une meilleure répartition des richesses, ces deux objectifs supposent d’une part le soutien d’une majorité solide, et d’autre part la maîtrise du calendrier. Si la majorité au congrès, en particulier avec l’engagement de l’Éveil océanien, semble pour l’instant assurée, le calendrier institutionnel mis en place par l’État jusqu’en juin 2023, en revanche, risque d’entraver la volonté de réforme, laissant ainsi peu de temps au premier gouvernement à majorité indépendantiste pour justifier de sa capacité à gérer le pays.
Désireux de s’affranchir de cette contrainte temporelle, le président Mapou s’est délibérément projeté sur la période de trois années qui s’achèvera avec les élections provinciales de 2024. Il confirme ainsi que les indépendantistes ne sont pas pressés de répondre au souhait de « passer à autre chose ». Ils savent que s’offre à eux une chance unique d’insuffler une dynamique de « décolonisation interne » du pays. Cette réforme du pays en profondeur pourrait alléger d’autant « la charge de la revendication indépendantiste », a commenté Daniel Goa[10], et permettre à tous d’envisager plus sereinement ensuite le passage à un autre statut.
Paradoxalement, le référendum, les conditions dans lesquelles il a été organisé et la situation critique des comptes publics peuvent obliger le gouvernement français et l’Agence française de développement (AFD) à devenir des alliés objectifs de cette politique de réforme. Celle-ci apparaît comme une solution pour sortir de l’impasse politique dans laquelle s’est enfermé le gouvernement Castex et pour répondre au constat dressé par Sébastien Lecornu sur l’incapacité de la Nouvelle-Calédonie à soutenir financièrement son autonomie.
À cela s’ajoute le rôle que pourrait jouer l’AFD. Rappelons qu’avant même la crise sanitaire, un manque de recette fiscale de 9 milliards de FCFP était apparu dans les comptes publics à la suite de la réforme de la Taxe Générale sur la Consommation (TGC), l’équivalent local de la TVA, et des mauvaises prévisions de rendement de ce nouvel impôt[11]. D’où l’intervention de l’État sous forme d’un prêt de 240 millions d’euros versé par l’AFD en 2021, auquel s’ajoute en 2022 un nouveau prêt à hauteur de 210 millions d’euros aux conditions très rigoureuses.
Avant tout déblocage des fonds, une convention tripartite (État, AFD et Nouvelle-Calédonie) devra être signée comprenant des stipulations précises sur les réformes à mettre en place (limitation des dépenses, réduction des inégalités, réforme fiscale). L’AFD, quoique tutelle financière, pourrait ainsi soutenir les réformes structurantes proposées par le gouvernement Mapou que les loyalistes, au pouvoir depuis plus de 30 ans, n’ont jamais voulu entreprendre.
Or on sait que les transferts de compétences, tout en favorisant l’autonomisation décisionnelle et opérationnelle du pays, ont renforcé sa dépendance financière. Chaque transfert de l’État à la collectivité s’est accompagné d’une contrepartie financière, une enveloppe versée par l’État selon le principe de compensation des charges[12].
Indispensable dans un premier temps pour lui permettre d’assurer le service public transféré sans en dégrader la qualité, cette manne s’est avérée constituer un étau dont la pression éclate aujourd’hui au grand jour. Le ministre des Outre-mer ne manque pas de souligner que la Nouvelle-Calédonie ne finance pas ses compétences. En dépit de la richesse du sous-sol calédonien, les gouvernements successifs n’ont pas su ou voulu mettre un terme à l’économie de comptoir et créer un tissu économique susceptible de produire les fruits nécessaires à l’indépendance économique du pays.
Prenons l’exemple de la société PROMOSUD[13], bras financier de la province sud en matière de développement économique, au sujet de laquelle la Chambre territoriale des comptes a déploré l’absence de stratégie minière et « le manque de transparence sur les questions relatives au nickel ». Elle ajoute qu’il « est pour le moins surprenant que PROMOSUD », qui indirectement détient près de 16 % du capital de la Société Le Nickel (SLN), « soit dans l’incapacité de délivrer quelques chiffres sur les impacts économiques de son usine (l’usine de Doniambo) pourtant placée sur son territoire ». Elle pointe, enfin, « l’utilisation imprécise et peu transparente des dividendes perçus, investis dans le tourisme et non dans une stratégie Nickel d’avenir »[14].
Ce constat sévère de la Chambre territoriale des comptes illustre le déficit d’intérêt que portent certains élus aux questions économiques. Il explique pourquoi la filière nickel n’a pas été le levier de développement attendu. L’État lui-même a pu manquer de vigilance dans la gestion de ses participations en laissant s’enkyster des difficultés qu’il a ensuite été amené à gérer dans l’urgence. C’est le cas pour la SLN, que l’État, actionnaire historique, soutient financièrement depuis plusieurs années sans imposer les investissements nécessaires au renouvellement de l’outil de production.
Alors que plusieurs acteurs politiques locaux ont vainement tenté de mettre en place un véritable fonds souverain au profit des générations futures, la filière nickel demeure sous perfusion, tributaire d’intérêts à court terme et victime du manque de stratégie d’avenir.
En reprenant la main sur le dossier économique et social, en particulier avec la réforme de la fiscalité des personnes physiques et du secteur minier, le gouvernement Mapou impose son programme et son rythme.
L’avenir institutionnel en question
Le scrutin du 12 décembre peut-il prétendre répondre aux critères fixés par le droit international ? Aux termes de la résolution 2625 (XXV) de l’assemblée générale de l’ONU, « la création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même[15]. »
Constatons que la question posée aux Calédoniens le 12 décembre de l’accès ou non à la pleine souveraineté ne permettait pas de clarifier, en cas de réponse négative, le lien à la France, conformément à la résolution de l’ONU. Non seulement 56 % du corps électoral ne s’est pas déplacé mais 96 % des votants ont exprimé un vote de rejet qui laisse dans l’indétermination l’avenir institutionnel du pays. Au fond, que veulent-ils ? Souhaitent-ils devenir un département de la République à l’instar de Mayotte ? Souhaitent-ils une libre association à la France ou préfèrent-ils conserver un statut spécifique au sein de la République ? Le doute est permis.
Apeurés par le document publié par l’État en cas d’indépendance, soucieux de conserver leur nationalité et de ne pas tomber dans les abysses du vide juridique annoncé, les 75 720 électeurs loyalistes en faveur du « non » ont d’abord affirmé leur volonté de préserver leur passeport, leurs avantages et leur sécurité, c’est la seule certitude.
Hélas, l’exécutif national n’a pas souhaité explorer les possibilités de partenariat demandées par les indépendantistes et a laissé de côté les propositions innovantes faites en 2014 par Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien[16], missionnés par le premier ministre de l’époque, François Fillon, puis confirmés par Jean-Marc Ayrault.
C’est d’autant plus regrettable qu’il y avait, dans le projet d’une indépendance en partenariat, un moyen de répondre aux aspirations d’une majorité de Calédoniens. Il aurait pu clore honorablement une longue histoire coloniale et un processus de décolonisation engagé il y a plus de 30 ans, remarquable par l’intelligence politique qu’il a permis de mettre en œuvre et l’innovation juridique qu’il a engendrée.
Notre droit constitutionnel, dès 1946, avait su imaginer des solutions adaptées aux anciennes colonies devenues États souverains en leur proposant de demeurer liés à la France par un contrat d’association. L’actuelle Constitution conserve, avec l’article 88, la trace de ces modalités. Cet article, inappliqué jusqu’à présent, ne pourrait-il pas, après un toilettage de sa rédaction, servir de cadre général de réflexion ? D’autres précédents constituent aussi d’utiles références : les liens institutionnels que la France a su mettre en place avec Monaco, les liens qui rattachent les Îles Cook et Niue à la Nouvelle-Zélande ou encore ceux qui unissent les États fédérés de Micronésie ou les Îles Marshall avec les États-Unis.
Il appartient au législateur qui sortira des urnes en 2022 de s’en inspirer s’il veut éviter le blocage qui se profile. Les indépendantistes, contestant la légitimité de la dernière consultation référendaire, ont saisi, par la voix de l’Union Calédonienne, le Comité spécial de la décolonisation à l’ONU et, par la voix de l’UNI, ont introduit un recours devant le Conseil d’État. Ils annoncent que des recours au niveau international pourraient être engagés par la suite.
Enfin, le PALIKA[17] a précisé dans un communiqué : « Nous n’accepterons pas de discuter d’un énième accord sur un statut au sein de la République Française qui est synonyme d’avilissement pour nous[18] ». Ce parti, prônant depuis de nombreuses années une indépendance-partenariat avec la France, semble rompre avec son ancienne stratégie et choisir une posture plus radicale. La tâche de l’État sera délicate s’il veut éviter d’exacerber les tensions contenues depuis plusieurs mois, du fait de son obstination et ravivées au soir du 12 décembre 2021.