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L’élection de Gabriel Boric au Chili, porte de sortie du néolibéralisme ?

Politiste, Sociologue

À la tête d’une coalition de gauche, Gabriel Boric vient de remporter l’élection présidentielle chilienne face à José Antonio Kast, candidat d’une extrême droite réactionnaire et nostalgique de la dictature. La tâche s’annonce ardue pour cette nouvelle gauche, entre réformes à mener en faveur de la justice sociale et redressement d’une économie mise à mal par la pandémie, dans un pays qui, sous le régime de Pinochet, a été un véritable laboratoire d’expérimentation de mesures néolibérales.

Le Chili vient d’élire un jeune président de gauche, Gabriel Boric, encore activiste étudiant il y a dix ans, qui doit aujourd’hui passer de l’incarnation des demandes de la rue au rôle plus contenu de président de la République. Boric, d’ascendance croate et catalane, provient de Punta Arenas, district austral, dont il est député depuis 2014. Il aura tout juste 36 ans au moment de son investiture, le 11 mars prochain, un an à peine au-dessus de l’âge constitutionnel requis pour devenir président. Il devient ainsi le plus jeune chef d’État de l’histoire du Chili et du monde démocratique. Le président sortant, Sebastian Piñera, qui lui transmettra les symboles du pouvoir, a pour sa part 72 ans, le double de son âge.

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Le 19 décembre 2021, le candidat de la nouvelle gauche chilienne, le Frente Amplio (Front Large)[1], a largement devancé le candidat de la droite ultra conservatrice, identitaire et radicale, José Antonio Kast, avec respectivement 55,87 % et 44,13 % de voix, et une participation électorale de 55,58 %, un record historique pour le Chili où l’abstention est forte depuis le retour à la démocratie. Ce résultat met fin à une campagne de second tour polarisée, ainsi qu’à un cycle de sept élections en deux ans (législatives, régionales, municipales, plébiscite pour une nouvelle Constitution et délégués constituants). Pour bien comprendre ces chiffres, il faut prendre en compte l’histoire de ce pays sur deux temporalités différentes : une histoire longue et une autre plus courte.

En effet, aux particularités de l’élection présidentielle chilienne s’ajoute le processus de rédaction d’une nouvelle Constitution, arrachée par la rue à la classe politique lors de l’explosion sociale de 2019. Le Chili est donc pour la énième fois un laboratoire, un terrain d’essais et d’expérimentations politiques, comme il le fut au XXe siècle. Ce laboratoire peut s’ériger en source de réflexion pour la France et ses diverses gauches, compte tenu de l’énigmatique commerce po


[1] Du nom des coalitions composées par des partis politiques et des mouvements sociaux inspirées de l’Uruguay de Tabaré Vazquez et de Pepe Mujica, alliances dominées par la gauche en mouvement (izquierda en movimiento) entre 2005 et 2020.

[2] Ce n’est pas un hasard si des coalitions portant le nom de Front Populaire et revendiquant une composition interne et une rationalité (anti-fasciste) commune, eurent lieu simultanément dans trois pays. Ses effets politiques et sociaux furent durables et tragiques dans certains cas : la France (1936-1938), le Chili (1936-1941) et l’Espagne (1936-1939),

[3] Sur les luttes qui ont accompagné la mise en oeuvre de ce programme à la fin du gouvernement de Salvador Allende, on lira avec intérêt le très beau livre (bizarrement oublié), construit comme un journal de terrain, d’Alain Touraine, Vie et mort du Chili populaire, juillet-septembre 1973, Paris, Seuil, 1973. Concernant l’Unité Populaire et sa chute, Alfredo Joignant et Patricio Navia (comp), Ecos mundiales del golpe de Estado. Escritos sobre el 11 de septiembre de 1973, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2013.

[4] Carlos Huneeus, El régimen de Pinochet, Santiago, Editorial Sudamericana, 2000 ; Manuel Gárate, La revolución capitalista de Chile (1973-2003), Santiago, Ediciones Universidad Alberto Hurtado, 2012 ; Karin Fischer, « The Influence of Neoliberals in Chile Before, During, and After Pinochet », dans Philip Mirowski et Dieter Plehwe (eds.), The Road From Mont Pelerin. The Making of the Neoliberal Thought Collective, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2009, p.305-346 ; Tomás Undurraga, Divergencias. Trayectorias del neoliberalismo en Argentina y Chile, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2014.

[5] La socialiste Michelle Bachelet (2006-2010, puis 2014-2018) et le leader de la droite Sebastian Piñera (2010-2014, puis 2018-2022), chacun détenant deux mandats non consécutifs. Ce phénomène aussi curieux que rare est dû à l’impossibilit

Alfredo Joignant

Politiste, Chercheur principal au COES, professeur titulaire à l’Université Diego Portales

Emmanuelle Barozet

Sociologue, professeure au Département de Sociologie de l’Université du Chili

Mots-clés

Gauche

Notes

[1] Du nom des coalitions composées par des partis politiques et des mouvements sociaux inspirées de l’Uruguay de Tabaré Vazquez et de Pepe Mujica, alliances dominées par la gauche en mouvement (izquierda en movimiento) entre 2005 et 2020.

[2] Ce n’est pas un hasard si des coalitions portant le nom de Front Populaire et revendiquant une composition interne et une rationalité (anti-fasciste) commune, eurent lieu simultanément dans trois pays. Ses effets politiques et sociaux furent durables et tragiques dans certains cas : la France (1936-1938), le Chili (1936-1941) et l’Espagne (1936-1939),

[3] Sur les luttes qui ont accompagné la mise en oeuvre de ce programme à la fin du gouvernement de Salvador Allende, on lira avec intérêt le très beau livre (bizarrement oublié), construit comme un journal de terrain, d’Alain Touraine, Vie et mort du Chili populaire, juillet-septembre 1973, Paris, Seuil, 1973. Concernant l’Unité Populaire et sa chute, Alfredo Joignant et Patricio Navia (comp), Ecos mundiales del golpe de Estado. Escritos sobre el 11 de septiembre de 1973, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2013.

[4] Carlos Huneeus, El régimen de Pinochet, Santiago, Editorial Sudamericana, 2000 ; Manuel Gárate, La revolución capitalista de Chile (1973-2003), Santiago, Ediciones Universidad Alberto Hurtado, 2012 ; Karin Fischer, « The Influence of Neoliberals in Chile Before, During, and After Pinochet », dans Philip Mirowski et Dieter Plehwe (eds.), The Road From Mont Pelerin. The Making of the Neoliberal Thought Collective, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2009, p.305-346 ; Tomás Undurraga, Divergencias. Trayectorias del neoliberalismo en Argentina y Chile, Santiago, Ediciones Universidad Diego Portales, 2014.

[5] La socialiste Michelle Bachelet (2006-2010, puis 2014-2018) et le leader de la droite Sebastian Piñera (2010-2014, puis 2018-2022), chacun détenant deux mandats non consécutifs. Ce phénomène aussi curieux que rare est dû à l’impossibilit