Politique

Dans l’angle mort des sondages ou ce que voter veut (encore) dire

Politiste, Politiste, Politiste

Quel sens les citoyens donnent-ils aujourd’hui à leur condition d’électeurs ? L’abstention massive aux derniers rendez-vous électoraux invite à se demander ce que voter veut encore dire. Derrière cette question, apparaît l’urgence d’arrêter de commencer par se demander « qui passera au second tour ? » et de rompre avec le journalisme de commentaire hippique, saturé par des sondages en profond décalage avec la réalité sociale.

Quel est le sens aujourd’hui d’une séquence électorale comme celle dans laquelle la France est plongée depuis la fin de l’été ? La question n’est pas inopportune quand « l’opinion » paraît ne plus être qu’une substance sondagière mesurée au jour le jour et commentée ad libitum par les médias, et quand l’abstention domine la plupart des rendez-vous électoraux.

L’excitation médiatique autour du scrutin du printemps prochain ne devrait pas nous faire oublier que la présidentielle est la dernière élection à encore mobiliser les électeurs. Lors des derniers scrutins, entre un tiers seulement (régionales de 2021) et la moitié (législatives de 2017 et européennes de 2019) des inscrits se sont déplacés aux urnes. Ce rappel devrait nous inviter à réfléchir au profond décalage qui existe entre l’emballement médiatique et la réalité du rapport au vote des Français.

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Au fond, il semble urgent de s’extirper de la question obsédante « Qui va gagner ? » pour s’interroger sur ce que voter veut (encore) dire en se donnant les moyens de comprendre le sens que les citoyens donnent aujourd’hui à leur propre vote et à leur condition d’électeurs.

Sortir du prêt-à-penser sondagier

Pour regarder le moment électoral à hauteur de(s) citoyen(s), il faut d’abord s’extraire d’un prêt-à-penser imposé par l’omniprésence des sondages qui saturent tout à la fois l’espace médiatique et les analyses électorales. Ensuite, il faut rompre avec ce journalisme de « course de chevaux » dont toute l’attention est monopolisée par le jeu politique, au détriment des enjeux de l’élection. Il y a trente ans déjà, l’étude des informations diffusées par les chaînes de télévision lors des primaires américaines de 1988 révélait qu’un tiers du temps d’antenne consacré à l’élection commentait des résultats de sondages[1]. Quel chiffre édifiant mettrait au jour une telle étude en 2021 ?

Par la commande massive d’enquêtes d’opinion et le recours systématique aux spécialistes du commentaire politique – sondeurs,


[1] Stephen Ansolabehere, Shanto Iyengar, « Of horseshoes and horse races: Experimental studies of the impact of poll results on electoral behavior », Political Communication, 11, 1994, p. 413-430.

[2] Patrick Lehingue (Sudunba. Coup de sonde dans l’océan des sondages, Éditions du Croquant, 2007, p. 60 pour la citation) a ainsi montré que (de 1965 à 2002) le résultat annoncé par la dernière enquête par sondage avant l’élection pour les trois premiers candidats « la prévision n’est correcte (différence avec le score final inférieure à 10 % du score du candidat) que dans 12 cas sur 28 », soit 43% des cas…

[3] Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin, Sandrine Lévêque (dir.), Voter par temps de crise. Portraits d’électrices et d’électeurs ordinaires, Paris, PUF, 2021.

[4] En 2017, 85 % des électeurs inscrits ont voté à au moins un tour de la présidentielle et des législatives ; seuls 15 % n’ont jamais voté. Cf. Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen, « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale », Revue française de science politique, 67, 2017.

Éric Agrikoliansky

Politiste, Professeur des universités à Paris Dauphine-PSL et membre de l'IRISSO

Philippe Aldrin

Politiste, Professeur à Sciences Po Aix et membre de MESOPOLHIS (CNRS)

Sandrine Lévêque

Politiste, Professeure à Sciences Po Lille et chercheuse au CERAPS

Mots-clés

DroiteGauche

Notes

[1] Stephen Ansolabehere, Shanto Iyengar, « Of horseshoes and horse races: Experimental studies of the impact of poll results on electoral behavior », Political Communication, 11, 1994, p. 413-430.

[2] Patrick Lehingue (Sudunba. Coup de sonde dans l’océan des sondages, Éditions du Croquant, 2007, p. 60 pour la citation) a ainsi montré que (de 1965 à 2002) le résultat annoncé par la dernière enquête par sondage avant l’élection pour les trois premiers candidats « la prévision n’est correcte (différence avec le score final inférieure à 10 % du score du candidat) que dans 12 cas sur 28 », soit 43% des cas…

[3] Éric Agrikoliansky, Philippe Aldrin, Sandrine Lévêque (dir.), Voter par temps de crise. Portraits d’électrices et d’électeurs ordinaires, Paris, PUF, 2021.

[4] En 2017, 85 % des électeurs inscrits ont voté à au moins un tour de la présidentielle et des législatives ; seuls 15 % n’ont jamais voté. Cf. Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen, « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale », Revue française de science politique, 67, 2017.