Société

Abandon des territoires et politisation du ressentiment

Géographe et politiste, Politiste et sociologue, Démographe

Le tournant néolibéral et austéritaire de l’État ne fait qu’aggraver le sentiment d’abandon dans les territoires enclavés, à la faveur de l’extrême droite qui se nourrit toujours plus du ressentiment pour avancer en campagne. Résoudre la question des inégalités territoriales nécessite de dépasser la vision simpliste de ces espaces : seul un travail d’objectivation au long cours permettra une réponse politique adaptée.

La spectaculaire mobilisation des Gilets Jaunes a replacé les inégalités territoriales au centre des débats. Aujourd’hui, cet enjeu est abordé au prisme d’une opposition entre « les métropoles » et un ensemble de territoires, plus petits, aux dynamiques différenciées. Par exemple, alors que les accusations de déconnexion des élites françaises atteignent des sommets, les responsables politiques de premier plan n’ont de cesse de rappeler leur ancrage dans des « régions » qu’ils entendent bien défendre face au nouveau « monstre métropolitain ».

Bien sûr, la politisation des inégalités territoriales n’est pas nouvelle. Cependant, jusqu’à la dernière décennie, elle s’incarnait dans un tout autre paysage : celui des quartiers d’habitat social. Malgré leurs difficultés, ces derniers sont désormais largement invisibilisés[1]. La droitisation de l’offre électorale et médiatique s’accompagne en effet de la diffusion d’un discours qui les rattache symboliquement à des métropoles d’autant plus honnies qu’elles seraient le lieu d’une alliance, pourtant introuvable, entre les populations issues de l’immigration récente et les fameux « bobos ».

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Posons d’emblée la question cruciale : pourquoi s’inquiéter des inégalités territoriales ? Après tout, pour une partie du monde militant, cet enjeu ne vient que masquer les inégalités sociales, qui restent le cœur du problème. C’est oublier que les premières viennent redoubler les secondes : il est de plus en plus difficile pour des populations modestes d’accéder aux besoins de base (santé, transport, formation, logement) dans des territoires enclavés aux prises avec le retrait de l’État.

La vision libérale pose quant à elle une autre question. Pourquoi consacrer des ressources publiques à aider des territoires condamnés (par l’obsolescence de leur ancienne spécialisation industrielle, agricole voire administrative) ? Pourquoi ne pas tout simplement laisser aux individus le choix de les quitter, ou non – ceux qui restent devant al


[1] Renaud Epstein, Thomas Kirszbaum, « Ces quartiers dont on préfère ne plus parler : les métamorphoses de la politique de la ville (1977-2018) », Parlement [s], Revue d’histoire politique, 2019 (3), p. 23-46.

[2] Voir Éric Charmes, « Une France contre l’autre ? », La Vie des Idées, 5 novembre 2014 et Cécile Gintrac, Sarah Mekdjian, « Le peuple et la “France périphérique” : la géographie au service d’une version culturaliste et essentialisée des classes populaires », Espaces et sociétés, 2014/1-2 (n° 156-157), p. 233-239.

[3] Comme par exemple l’Accessibilité Potentielle Localisée (APL), indicateur crée par la DRESS et l’IRDES en 2012, qui met en lien l’offre et la demande de soins. Cf. Noémie Vergier, Hélène Chaput, et Ingrid Lefebvre-Hoang. « Déserts médicaux : comment les définir ? Comment les mesurer ? », DRESS, 2017 (n°17).

[4] Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La Découverte, 2019 ; Élie Guéraut. « “Envahis par les cas soc” : Une petite bourgeoisie culturelle dans une ville moyenne en déclin », in Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval et Max Rousseau (dir.), Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Éditions du Croquant, 2021.

[5] Jean-François Gravier, Paris et le désert français, Flammarion, 1947

[6] Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval, Georges Gay, Christelle Morel Journel, Valérie Sala Pala, Sociologie de Saint-Etienne, La Découverte, 2020.

[7] Katherine J. Cramer, The Politics of Resentment: Rural Consciousness in Wisconsin and the Rise of Scott Walker, University of Chicago Press, 2016.

[8] Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois, Raisons d’agir, 2017.

[9] Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval et Max Rousseau (dir.), Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Éditions du Croquant, 2021

[10] https://cuej.info/mini-sites/coeurdeville/

[11] Max Rousseau, « Anticiper la fin des supermarchés », Libération, 31 juillet 2021

[12] Sylvain Marcelli, « Auchan : cette

Max Rousseau

Géographe et politiste, Chercheur à l'UMR ART-Dev

Vincent Béal

Politiste et sociologue, Maître de conférences à l'Université de Strasbourg

Nicolas Cauchi-Duval

Démographe, Maître de conférences et directeur de l'Institut de démographie de l'Université de Strasbourg

Notes

[1] Renaud Epstein, Thomas Kirszbaum, « Ces quartiers dont on préfère ne plus parler : les métamorphoses de la politique de la ville (1977-2018) », Parlement [s], Revue d’histoire politique, 2019 (3), p. 23-46.

[2] Voir Éric Charmes, « Une France contre l’autre ? », La Vie des Idées, 5 novembre 2014 et Cécile Gintrac, Sarah Mekdjian, « Le peuple et la “France périphérique” : la géographie au service d’une version culturaliste et essentialisée des classes populaires », Espaces et sociétés, 2014/1-2 (n° 156-157), p. 233-239.

[3] Comme par exemple l’Accessibilité Potentielle Localisée (APL), indicateur crée par la DRESS et l’IRDES en 2012, qui met en lien l’offre et la demande de soins. Cf. Noémie Vergier, Hélène Chaput, et Ingrid Lefebvre-Hoang. « Déserts médicaux : comment les définir ? Comment les mesurer ? », DRESS, 2017 (n°17).

[4] Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La Découverte, 2019 ; Élie Guéraut. « “Envahis par les cas soc” : Une petite bourgeoisie culturelle dans une ville moyenne en déclin », in Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval et Max Rousseau (dir.), Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Éditions du Croquant, 2021.

[5] Jean-François Gravier, Paris et le désert français, Flammarion, 1947

[6] Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval, Georges Gay, Christelle Morel Journel, Valérie Sala Pala, Sociologie de Saint-Etienne, La Découverte, 2020.

[7] Katherine J. Cramer, The Politics of Resentment: Rural Consciousness in Wisconsin and the Rise of Scott Walker, University of Chicago Press, 2016.

[8] Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois, Raisons d’agir, 2017.

[9] Vincent Béal, Nicolas Cauchi-Duval et Max Rousseau (dir.), Déclin urbain. La France dans une perspective internationale, Éditions du Croquant, 2021

[10] https://cuej.info/mini-sites/coeurdeville/

[11] Max Rousseau, « Anticiper la fin des supermarchés », Libération, 31 juillet 2021

[12] Sylvain Marcelli, « Auchan : cette