Ecologie

Forages en eaux profondes : cartographie d’une controverse

Éditrice et programmatrice artistique

Accueilli par la ville de Brest jusqu’à vendredi, le One Ocean Summit invite à prendre au sérieux la quête d’un nouvel eldorado au fond des océans qui s’intensifie depuis vingt ans. Une controverse à la fois scientifique, écologique, géopolitique et ontologique se déploie à propos de ces milieux peu explorés, dont les écosystèmes sont encore mal connus et qui sont devenus les territoires convoités du deep sea mining, après deux siècles passés à creuser la terre ferme pour en extraire des énergies fossiles et des minerais précieux.

En octobre 2021, Emmanuel Macron a présenté le plan d’investissement « France 2030 ». Doté de 30 milliards d’euros, ce dernier vise à « mieux comprendre, mieux vivre et mieux produire » dans les huit années à venir. Parmi les dix objectifs poursuivis figure la volonté d’« investir dans le champ des fonds marins pour une meilleure compréhension du vivant ». Cet intérêt pour les océans s’inscrit dans la décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable[1]. Les océans jouent en effet un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique : ces puits de carbone naturels absorbent, conjointement avec les forêts, 50 % du CO émis sur Terre. Or, on sait maintenant qu’ils subissent des transformations profondes et irréversibles : réchauffement de leur température, acidification, pollutions multiples, modifications des courants marins.

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Si le président de la République affirme ne « pas parler d’exploitation » mais d’« exploration » des grands fonds marins à mener, il n’omet pas de mentionner « l’accès à certains métaux rares » que ces territoires permettraient. Ces matériaux sont en effet devenus essentiels aux technologies et au fonctionnement des sociétés contemporaines : si la seule production des ordinateurs et des téléphones portables absorbe un cinquième des terres rares de la planète, elles sont également utilisées pour les panneaux solaires, les éoliennes et les voitures électriques, que l’on s’apprête à construire par millions[2]. Le développement de ces technologies dites vertes, liées à la transition énergétique, nécessite de nouveaux territoires d’extraction.

C’est ainsi que depuis le début des années 2000, la combinaison d’une demande en matériaux croissante, des progrès technologiques et de la raréfaction des ressources premières terrestres entraîne une quête vers un nouvel eldorado industriel situé au fond des océans. Sources de nourriture, de matériaux et d’espace, ces territoires suscitent un intérêt


[1] www.oceandecade.org

[2] La construction d’un véhicule électrique nécessite plusieurs kilos de métaux.

[3] Cette zone contiendrait 34 milliards de tonnes de nodules, soient 340 millions de tonnes de nickel, et 275 millions de tonnes de cuivre. Source : Ifremer.

[4] ISF SystExt (Ingénieurs sans frontières – Systèmes extractifs et Environnements) : www.systext.org/

[5] En en particulier la pénurie de semi-conducteurs indispensables aux véhicules électriques. Voir Evgeny Morozov, « Les semi-conducteurs au centre d’une bataille planétaire. Doit-on craindre une panne électronique ? », Le Monde diplomatique, août 2021.

[6] « DeepGreen, Developer of the World’s Largest Estimated Resource of Battery Metals for EVs, to Combine with Sustainable », Bloomberg, 4 mars 2021

[7] Voir tweet de The Metals Company du 23 septembre 2021.

[8] John Childs, « Greening the Blue ? Corporate Strategies for Legitimsing Deep Sea Mining », Political Geography, 74, 2019.

[9] Sven Teske, Nick Florin, Elsa Dominish et al., « Renewable Energy and Deep-Sea Mining: Supply, Demand and Scenarios », Rapport préparé par ISF pour le J.M. Kaplan Fund, juillet 2016.

[10] L’entreprise a fait faillite en 2019.

[11] « Dans les plaines abyssales. Une vie liée à la surface et à la lumière », Ifremer.

[12] « Les symbioses chimiosynthétiques dans l’océan profond », Museum d’histoire naturelle.

[13] Processus chimique résultant de la rencontre de l’eau de mer avec le manteau terrestre, situé sous le plancher océanique, et conduisant à la création de la serpentine.

[14] Bénédicte Ménez et al., « Abiotic synthesis of amino acids in the recesses of the oceanic lithosphere », Nature, 2018, 564, 59-63.

[15] Jonathan Lambert, « Ocean snail is first animal to be officially endangered by deep-sea mining », Nature, 22 juillet 2019.

[16] Premier site à avoir fait l’objet d’une licence d’exploration minière accordée à Nautilus Minerals, dans la mer de Bismarck. Le projet a été un « échec total », selon le Premier ministre

Clémence Seurat

Éditrice et programmatrice artistique, Chercheuse au Médialab de Sciences Po

Mots-clés

AnthropocèneEau

Notes

[1] www.oceandecade.org

[2] La construction d’un véhicule électrique nécessite plusieurs kilos de métaux.

[3] Cette zone contiendrait 34 milliards de tonnes de nodules, soient 340 millions de tonnes de nickel, et 275 millions de tonnes de cuivre. Source : Ifremer.

[4] ISF SystExt (Ingénieurs sans frontières – Systèmes extractifs et Environnements) : www.systext.org/

[5] En en particulier la pénurie de semi-conducteurs indispensables aux véhicules électriques. Voir Evgeny Morozov, « Les semi-conducteurs au centre d’une bataille planétaire. Doit-on craindre une panne électronique ? », Le Monde diplomatique, août 2021.

[6] « DeepGreen, Developer of the World’s Largest Estimated Resource of Battery Metals for EVs, to Combine with Sustainable », Bloomberg, 4 mars 2021

[7] Voir tweet de The Metals Company du 23 septembre 2021.

[8] John Childs, « Greening the Blue ? Corporate Strategies for Legitimsing Deep Sea Mining », Political Geography, 74, 2019.

[9] Sven Teske, Nick Florin, Elsa Dominish et al., « Renewable Energy and Deep-Sea Mining: Supply, Demand and Scenarios », Rapport préparé par ISF pour le J.M. Kaplan Fund, juillet 2016.

[10] L’entreprise a fait faillite en 2019.

[11] « Dans les plaines abyssales. Une vie liée à la surface et à la lumière », Ifremer.

[12] « Les symbioses chimiosynthétiques dans l’océan profond », Museum d’histoire naturelle.

[13] Processus chimique résultant de la rencontre de l’eau de mer avec le manteau terrestre, situé sous le plancher océanique, et conduisant à la création de la serpentine.

[14] Bénédicte Ménez et al., « Abiotic synthesis of amino acids in the recesses of the oceanic lithosphere », Nature, 2018, 564, 59-63.

[15] Jonathan Lambert, « Ocean snail is first animal to be officially endangered by deep-sea mining », Nature, 22 juillet 2019.

[16] Premier site à avoir fait l’objet d’une licence d’exploration minière accordée à Nautilus Minerals, dans la mer de Bismarck. Le projet a été un « échec total », selon le Premier ministre