Gilets Jaunes : quels enseignements pour la compréhension de la société ?
Ce qui était sans doute le plus étonnant en réalisant une enquête de sciences sociales sur les ronds-points des Gilets Jaunes, c’était la manière dont leur engagement et cette mobilisation semblaient aller de soi pour eux, comme si elle était évidente, comme s’il n’y avait pas trop de question à se poser. D’ailleurs, quand nous les interrogions, ils répondaient, mais posaient peu de questions en retour.
La parole publique semblait elle aussi complètement absente : ni banderole, ni tract, ni assemblée générale, ni représentant, ni liste de revendications. On comprend que cette révolte ait pu désarçonner gouvernants, spécialistes des mouvements sociaux, et journalistes. Parmi ceux couvrant les actualités locales, quelle ne fut pas leur surprise de constater qu’ils ne connaissaient aucun des protagonistes des ronds-points et qu’ils avaient affaire à des personnes qui se déclaraient sans appartenance partisane, syndicale, ou associative. Et de se voir répondre, quand ils demandaient « qui est responsable du rond-point ? », une pirouette humoristique : « C’est Emmanuel Macron ».

Cette mobilisation est donc surprenante et passionnante parce qu’elle questionne l’état de la société française et sa représentation dans le débat public, et invite à rouvrir des chantiers de recherche qu’on pensait clos, notamment sur la politisation des classes populaires dont toutes les enquêtes montrent qu’elles y étaient surreprésentées. Comment donc expliquer une telle mobilisation de la part de milieux sociaux dont toute une tradition de science politique a souligné la distance au politique, leur sentiment d’incompétence en la matière, et la faiblesse de leurs engagements citoyens ?
Des modes de vie en commun
Dans une récente publication[1], nous proposons modestement quelques jalons pour tenter de répondre à cette interrogation, en nous appuyant sur une ethnographie menée in situ sur les ronds-points depuis le 17 novembre 2018 jusqu’à l’expulsion de la plupart d’entre eux mi-jan