Politique

Emmanuel Macron : de la subversion à la normalisation

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S’il fut d’abord érigé en candidat “disruptif” en 2017, Emmanuel Macron s’est finalement mué en un continuateur exacerbé d’une orientation présidentialiste et néolibérale du pouvoir. Dans un contexte de crise internationale aiguë et de faiblesse chronique de ses adversaires, le président de la République, désormais officiellement candidat, semble promis à sa réélection.

Emmanuel Macron publie en novembre 2016 Révolution, un ouvrage-programme où il déplore l’épuisement des alternances politiques et plaide pour une rupture politique. Il est élu président, comme par effraction, sur la base d’une promesse de renouvellement radical du système politique. Cette posture n’est en rien nouvelle. L’affirmation du volontarisme est une figure imposée des campagnes électorales qui sont toujours propices à l’ouverture des possibles politiques comme les slogans en témoignent (« Ensemble tout est possible » pour Nicolas Sarkozy en 2007, « Le changement c’est maintenant » pour François Hollande en 2012…). Le geste du candidat à l’élection présidentielle est incompatible avec la modestie et la continuité.

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La nouveauté est en 2017 pour Emmanuel Macron une (relative) extériorité au jeu politique qui donne une portée particulière à cette rhétorique du changement. Emmanuel Macron incarne par son profil de non-professionnel de la politique, jamais passé sur les fourches caudines du suffrage universel, une volonté de faire « turbuler » le jeu politique. Dégagisme, critique du métier politique (la politique ne doit plus être « une profession réglementée »), nouveau style valorisant l’entreprenariat, horizontalité, subversion et dépassement du clivage gauche-droite… dessinent les contours d’une offre politique présentée comme radicalement « disruptive »[1].

Qu’en est-il cinq ans plus tard ? Analyser le changement est une tâche difficile en science politique : la mesure des transformations dépend du point de référence, de l’accord sur le degré d’évolution qui autorise à parler de changement, de la hiérarchisation de ce qui apparaît central ou secondaire dans le fonctionnement d’un système politique ou dans le contenu d’une politique publique et, enfin de l’identification toujours compliquée des causes des transformations. À l’échelle d’un mandat présidentiel, soit cinq ans en France, le changement se fait toujours de manière incrémentale du fait de l’inertie de nombre de fonctionnements sociaux mais aussi, tout simplement, du fait du cadrage institutionnel de l’action gouvernementale.

Cette question a été un des axes de recherches d’un ouvrage collectif réunissant une trentaine de chercheurs (Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel Julien, Rémi Lefebvre, dir, L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, « Libres cours Politique », 2022). Il démontre que la rupture n’est pas au rendez-vous et que la continuité l’a très largement emporté tant sur le plan de l’exercice du pouvoir que des orientations dominantes des politiques publiques. Le système politique n’a pas été bousculé et le « nouveau monde » est, à bien des égards, proche de l’ancien.

Continuité et approfondissement du présidentialisme

La verticalité jupitérienne était déjà très présente dans la campagne électorale de 2017 (Emmanuel Macron rejette la figure du président « normal » en octobre 2016) mais le candidat portait aussi la promesse de « faire la politique autrement ». En dépit d’une prise de distance avec la classe politique, la pratique du pouvoir n’a pas été transformée. Emmanuel Macron s’inscrit pleinement dans le présidentialisme de la Cinquième République, qu’il a poussé encore d’un cran. Sa verticalité, son omniprésence sur la scène politique, son activisme symbolique sont assez proches du style d’autorité de Nicolas Sarkozy.

Dès le début de son mandat, le président donne le ton et affirme sa volonté d’établir un lien et un contrôle plus étroit entre l’Élysée et le gouvernement. Il décide ainsi de partager une partie de son cabinet avec Matignon (une dizaine de conseillers communs) afin d’éviter toute dyarchie au sommet de l’État. En réunissant le Congrès du Parlement à Versailles, la veille de la déclaration de politique générale d’Édouard Philippe, en juillet 2017, le président affirme de façon spectaculaire un leadership qu’il ne cessera de consolider. Avec la crise sanitaire, la présidentialisation et la concentration des pouvoirs se sont accentuées comme le choix de traiter la question en Conseil de défense le donne à voir.

L’originalité du quinquennat d’Emmanuel Macron est sans doute la faiblesse de ses soutiens extérieurs et la concentration des ressources institutionnelles dans la présidence. Le « macronisme », c’est d’abord le président Macron. Aucune personnalité nouvelle ou d’ampleur ne s’est affirmée aux côtés du président de la République. Piliers du premier gouvernement, Nicolas Hulot et Gérard Collomb ont rapidement quitté leurs fonctions ministérielles. Édouard Philippe, dont la popularité était plus forte que celle du président, a été écarté en juillet 2020 pour un technocrate‑élu local inconnu au profil d’un collaborateur discret, Jean Castex. Le Président en profite pour lui imposer son directeur de cabinet, un proche – Nicolas Revel –, et renforce la présence d’anciens collaborateurs dans les cabinets ministériels.

La majorité parlementaire, pléthorique et inféodée à l’exécutif, s’est révélée particulièrement docile et a accompagné passivement le rythme soutenu d’activité législative. Les députés sont tenus laisse courte. Un renouvellement politique a bien eu lieu en 2017 à l’Assemblée nationale mais il n’a pas produit le changement annoncé dans la façon de faire de la politique. Il a même contribué au renforcement du contrôle de l’exécutif sur le Parlement. Les novices promus à la faveur de l’élection d’Emmanuel Macron n’ont pas réussi à tirer leur épingle du jeu, ont été dominés par les parlementaires ayant plus d’expérience politique et sont utilisés principalement pour « faire du nombre » lors des votes et garnir les bancs de l’hémicycle.

Les élections intermédiaires – municipales de 2020 et régionales et départementales de 2021 – n’ont guère produit d’élites locales. Aucune grande ville n’a été gagnée et Lyon a échappé au parti du président. Le mouvement présidentiel (La République en Marche) n’est pas parvenu à se structurer, localement notamment, et n’a pas rempli la fonction programmatique qu’il aurait pu occuper. Il n’a en rien été un contre-pouvoir.

Quid du style de gouvernement ? La question de la participation des citoyens à l’élaboration des décisions publiques nationales a occupé une place nouvelle sur l’agenda médiatique et politique avec le Grand débat national et la Convention citoyenne pour le climat. Une démocratie participative à grande échelle est expérimentée. Mais ces deux dispositifs ont été largement instrumentalisés et n’ont joué qu’un rôle consultatif. L’usage stratégique de la participation est manifeste. Elle s’apparente à un contrepoint de la pratique autoritaire des institutions et vise avant tout à renforcer la gouvernabilité de l’action publique et à neutraliser la conflictualité sociale.

Au fil du quinquennat, le président en exercice a compensé sa verticalité et ce surplomb « jupitérien » par une symbolique et une mise en scène de la proximité et du « terrain » qui renvoie, là encore, à un répertoire de légitimation politique traditionnelle. Une forme de conversion aux territoires s’est opérée. Sans expérience locale, à la différence des présidents de la République qui l’ont précédé, Emmanuel Macron a d’abord cultivé une certaine distance voire condescendance à l’égard des élus locaux. A partir de la crise des Gilets jaunes, qui révèle le caractère hors sol de La République en Marche, il multiplie les signes d’attention à la France des territoires. En juin 2021, le président entame dans le Lot un tour de France pour reprendre « son bâton de pèlerin » et « prendre le pouls du pays ». Ce retour au peuple s’inscrit dans une pratique très ancienne et enracinée dans la République.

Un néolibéralisme continué et accéléré

La continuité prévaut de la même manière dans les politiques publiques menées par l’exécutif. La question du changement sur le plan social et économique n’est pas simple à appréhender. Le quinquennat 2017-2022 a été en effet été marqué par des crises qui ont perturbé les intentions initiales. Les Gilets Jaunes et la pandémie en ont fortement infléchi le cours. Le « macronisme » est un pragmatisme qui a démontré une certaine capacité d’adaptation et une capacité de rupture avec la doxa budgétariste. Le président a cédé à une partie des revendications des Gilets jaunes et a concédé des dépenses à hauteur de onze milliards d’euros.

En 2020, il a imposé un « quoi qu’il en coûte » en rupture avec l’orthodoxie budgétaire qui a donné une nouvelle aura à la puissance publique. La gestion de la crise sanitaire a certes quelque peu brouillé son image de « réformateur » mais le cap libéral est tenu : le gouvernement a maintenu la réforme du régime de l’assurance chômage en mars 2021 tandis que la crise sanitaire n’a pas provoqué de remise en cause des politiques hospitalières, malgré les revendications en termes de budget, d’effectifs, de lits et de rémunérations, et malgré l’organisation d’un « Ségur de la santé ».

Le « en même temps » et de gauche et de droite de la campagne électorale de 2017 a été de courte durée. Le macronisme de 2017 pouvait encore être lu comme une entreprise de modernisation « sociale-libérale » de la gauche. Si aucun travail doctrinal d’ampleur ne l’a formalisé et s’il s’est paré des habits du « pragmatisme », il n’échappe pas à toute caractérisation idéologique : il s’est rapidement révélé comme un néo-libéralisme continué et accentué. Le dessein du président ne souffre pas d’ambiguïté : l’approfondissement de l’agenda néo-libéral et l’adaptation du modèle social français à une compétition économique organisée sur le marché mondial et perçue comme un horizon indépassable.

La puissance publique est pensée avant tout comme facilitatrice des initiatives privées et individuelles. Les grands marqueurs socio-économiques du quinquennat ne trompent pas : rhétorique du « ruissellement », ordonnances « travail » (la « plus importante des réformes » selon Emmanuel Macron), remplacement de l’Impôt de solidarité sur la fortune par l’impôt sur la fortune immobilière, instauration « d’un prélèvement forfaitaire unique » sur les dividendes, baisse de l’allocation logement, réforme des retraites (quoique suspendue).

Les emblèmes de gauche sont quant à eux peu nombreux : doublement des classes en CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire, « zéro reste à charge » pour le remboursement des lunettes et des prothèses auditives ou dentaires… Emmanuel Macron n’est jamais revenu sur la suppression de l’ISF alors que Nicolas Sarkozy a tenté de se défaire à la fin de son quinquennat de l’image des « président des riches ». Notons aussi que la réforme des retraites est mentionnée au titre des objectifs essentiels présentés dans le plan de relance et de résilience soumis en avril 2021 à la Commission européenne.

Dans bien des domaines de l’action publique, les politiques menées s’inscrivent dans la continuité des politiques antérieures. En matière de politique du logement, la marchandisation du logement social et la dérégulation encourageant un « choc d’offre » se sont accentuées. La politique fiscale poursuit les orientations libérales du quinquennat Hollande, à la différence près que sa mise au service du capital se fait de manière plus assumée. On observe une « dé-discrétisation » des politiques économiques. En matière d’organisation territoriale, les politiques menées s’inscrivent elles aussi dans le prolongement des quinquennats précédents, mais la différenciation institutionnelle est consolidée tandis que le contrôle budgétaire des collectivités territoriales est renforcé par le recours à des instruments plus contraignants.

Cette orientation sur le terrain économique était prévisible. Rappelons que le président de la République avait été l’artisan du CICE sous François Hollande. L’évolution sur la question des libertés ou du régalien est plus étonnante. Emmanuel Macron s’était construit à gauche en 2016-2017 contre le républicanisme aux accents sécuritaires de Manuel Valls. Il louait alors en matière d’immigration la politique d’Angela Merkel dont il saluait le mélange de « lucidité, de courage et d’humanité admirable ». Le glissement à droite est très net. Emmanuel Macron donne une interview en octobre 2019 à Valeurs actuelles où il stigmatise le « droit-de-l’hommisme » dans une veine très conservatrice.

Restriction sans précédent des libertés publiques qui indigne jusqu’aux soutiens libéraux de la première heure comme les avocats François Sureau ou Jean-Pierre Mignard, répression des Gilets jaunes, tournant sécuritaire aux accents sarkozystes avec Gérald Darmanin : le macronisme est aussi une forme d’illibéralisme. On lisait dans Révolution : « nous devons nous désintoxiquer du recours à la loi et de la modification incessante de notre droit criminel ». Les lois sur la sécurité se sont multipliées (« séparatisme », « sécurité globale »…). Quatre lois sur l’anti-terrorisme ont été votées depuis 2017. Emmanuel Macron a utilisé les politiques publiques pour fabriquer un nouveau socle électoral. Sa base de soutien s’est droitisée. Élu avec l’appoint de la gauche en 2017 (50 % des électeurs de François Hollande ont voté pour lui), il cherche cinq ans plus tard à se faire réélire avec, cette fois, l’appoint d’une fraction de la droite.

Emmanuel Macron s’engage en 2022 dans une campagne électorale très différente de celle de 2017. Comme il vise la réélection et non l’élection, il ne peut plus mettre le changement au cœur de son offre politique. Il a un bilan à faire valoir et il excipe d’une légitimité institutionnelle qui constitue une ressource essentielle dans un contexte de crise internationale. Il est probable que le double contexte électoral et international active un réflexe légitimiste autour du président sortant du type « The rally ’round the flag’ effect ».

Mais une chose n’a pas changé depuis 2017 : Emmanuel Macron est toujours fort des faiblesses de ses adversaires. Les partis traditionnels continuent à se désagréger. La gauche ne s’est pas relevée de ses échecs et ses contradictions et divisions se sont, à bien des égards, exacerbées. La droite connaît aussi une crise identitaire. Son espace politique est asséché. Ses électeurs sont écartelés entre la tentation du vote Macron, d’autant plus forte que les différences en matière économique se sont estompées, et l’attraction de l’extrême droite. La concurrence entre Marine Le Pen et Eric Zemmour, enfin, fragmente un peu plus le jeu politique. Bref, « la poutre travaille encore » et le président sortant aborde en favori le scrutin du mois d’avril.

 

NDLR : Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel et Rémi Lefebvre ont dirigé L’Entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir, publié aux Presses universitaires de Grenoble en février 2022.


[1] Bernard Dolez, Julien Fretel, Rémi Lefebvre, dir., L’entreprise Macron, Presses universitaires de Grenoble, 2019

Bernard Dolez

Politiste, Professeur à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne

Anne-Cécile Douillet

Politiste, Professeure à l'Université de Lille

Julien Fretel

Politiste, Professeur à Paris I

Rémi Lefebvre

Politiste, Professeur à l'Université de Lille 2

Notes

[1] Bernard Dolez, Julien Fretel, Rémi Lefebvre, dir., L’entreprise Macron, Presses universitaires de Grenoble, 2019