International

Trente ans après, la guerre de Bosnie-Herzégovine

Anthropologue

L’invasion de l’Ukraine a réveillé de douloureux souvenirs aux habitants de Bosnie-Herzégovine, qui s’apprêtaient à commémorer, en ce début avril, les trente ans du début de « leur » guerre, souvent invisibilisée dans l’historiographie. Car, dans la région où les responsables politiques jouent à nouveau au jeu très dangereux de la surenchère nationaliste, tout le monde semble s’être habitué au niveau « bas » de la violence. Si les accords de Dayton signés en décembre 1995 ont mis fin à la guerre, ont-ils pour autant éteint le conflit ?

Présentée comme trop complexe pour être comprise autrement que par des facteurs ethniques pourtant impropres à l’expliquer, la guerre qui a ravagé ce pays pendant quatre ans et fait environ 100 000 morts est en fait davantage morcelée que compliquée. Il faudrait en réalité parler des guerres et des conflits de Bosnie-Herzégovine, tant les temporalités et les modalités étaient différentes d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre. Se rapprocher et changer d’échelle pour observer l’espace bosnien de 1992 à 1995 permet de discerner la territorialisation de la violence, d’éviter l’aplatissement des expériences des civils. Cela permet enfin le surgissement de dynamiques effacées par un récit souvent simplifié et cimenté dans une approche ethnicisante. Approche pratique, mais myope.

Il ne s’agit évidemment pas de nier la réalité et l’intensité des mobilisations politiques ethno-nationalistes, mais plutôt de rendre aux groupes invariablement désignés par leur ethnicité – Bosniaques, Croates, Serbes – une hétérogénéité dont ils sont souvent départis par les journalistes, et parfois par les chercheurs. Se rapprocher permet de distinguer, par exemple, l’exercice de la violence à l’intérieur d’un même groupe pourtant décrit comme adhérant uniformément à telle ou telle proposition politique.

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Tenter de restituer la diversité d’expériences de ce conflit tant dans ses temporalités que dans ses espaces nous renseigne aussi sur l’aveuglement face aux signes annonciateurs de la violence parfois considérés comme inoffensifs, puisque non spectaculaires. Regarder ce qui s’est passé il y a trente ans nous renseigne évidemment sur les erreurs que nous pourrions répéter trente ans plus tard.

Mais quand la guerre a-t-elle donc commencé ?

Le siège de Sarajevo, capitale de la république de Bosnie-Herzégovine, commence le 6 avril 1992 alors qu’une manifestation pacifiste gigantesque traverse le centre-ville. Le 6 avril est une date symbolique dans l’histoire de la capitale. C’est


[1] La Croatie a proclamé son indépendance en juin 1991. La JNA tente de reprendre le contrôle des territoires croates. Dubrovnik est assiégée par les troupes de la JNA et les volontaires monténégrins. La population civile des environs avait trouvé refuge dans la Vieille Ville.

[2] Srpska Demokratska Stranka : parti démocratique serbe fondé entre autres par Radovan Karadžić.

[3] Professeur d’anthropologie à l’université RMIT de Melbourne

[4] Les chiffres du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie sont accessibles ici. Ce chiffre comprend les victimes civiles et militaires, victimes directes du siège.

[5] Oslobođenje (Libération) est un journal antifasciste fondé en 1943. C’est le quotidien le plus vieux du pays. Durant la dernière guerre, son équipe continue de faire paraître le journal après la destruction de la rédaction en juillet 1992. L’équipe opère depuis le sous-sol du journal où sont installées les rotatives. Cinq de ses journalistes sont tués pendant le siège, 25 membres de l’équipe sont blessés.

[6] Voir le travail remarquable de Jelena Golubović, « “One Day I Will Tell This to My Daughter”: Serb Women, Silence, and the Politics of Victimhood in Sarajevo », Anthropological Quarterly, vol. 92 no. 4, 2019, p. 1173-1199.

[7] Le 9 janvier 1992  est la date de la création de la République serbe de Bosnie. L’entité fête sa création tous les ans lors de célébrations jugées non-conformes à la constitution par la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine.

Aline Cateux

Anthropologue, Doctorante en anthropologie

Mots-clés

Nationalisme

Notes

[1] La Croatie a proclamé son indépendance en juin 1991. La JNA tente de reprendre le contrôle des territoires croates. Dubrovnik est assiégée par les troupes de la JNA et les volontaires monténégrins. La population civile des environs avait trouvé refuge dans la Vieille Ville.

[2] Srpska Demokratska Stranka : parti démocratique serbe fondé entre autres par Radovan Karadžić.

[3] Professeur d’anthropologie à l’université RMIT de Melbourne

[4] Les chiffres du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie sont accessibles ici. Ce chiffre comprend les victimes civiles et militaires, victimes directes du siège.

[5] Oslobođenje (Libération) est un journal antifasciste fondé en 1943. C’est le quotidien le plus vieux du pays. Durant la dernière guerre, son équipe continue de faire paraître le journal après la destruction de la rédaction en juillet 1992. L’équipe opère depuis le sous-sol du journal où sont installées les rotatives. Cinq de ses journalistes sont tués pendant le siège, 25 membres de l’équipe sont blessés.

[6] Voir le travail remarquable de Jelena Golubović, « “One Day I Will Tell This to My Daughter”: Serb Women, Silence, and the Politics of Victimhood in Sarajevo », Anthropological Quarterly, vol. 92 no. 4, 2019, p. 1173-1199.

[7] Le 9 janvier 1992  est la date de la création de la République serbe de Bosnie. L’entité fête sa création tous les ans lors de célébrations jugées non-conformes à la constitution par la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine.