La candidature Pécresse : anatomie d’un naufrage
À l’instar du score famélique reçu par Les Républicains lors des élections européennes de 2019, personne ne s’attendait à ce que la candidature de Valérie Pécresse ne finisse aussi bas. Certes, les espoirs étaient déjà éteints depuis plusieurs semaines, après l’ouverture d’une étroite fenêtre sondagière au début de l’année 2022, mais les 4,78% obtenus – divisant par 4 le score arraché par François Fillon en 2017 – sonnent davantage comme un naufrage, voire comme un cataclysme, que comme une simple défaite.
À l’issue de ce scrutin, la droite de gouvernement héritière des fondateurs de la Ve République se retrouve a priori pour la troisième fois consécutive exclue de l’exercice du pouvoir exécutif et ne semble plus rien représenter de concret au sein de l’électorat français. Siphonnée par ses voisins idéologiques à sa gauche et à sa droite, rien ne laisse présager un destin autre que marginal au sein du système politique national. Il apparaît donc légitime de chercher à expliquer ce phénomène et nécessaire pour cela de ne pas être aveuglé par les cahots évènementiels qui ont agité la campagne de la candidate LR.
Panorama électoral de la droite en 2022
Dans l’ensemble, les facteurs explicatifs du vote Pécresse sont sensiblement les mêmes que pour celui du vote Fillon. Si l’on s’en tient aux données proposées par Ipsos-Sopra Steria sur la sociologie des électorats du premier tour, la candidate a essentiellement surperformé chez les 70 ans et plus (12 %) et les retraités, chez les catholiques pratiquants réguliers (13 %) et occasionnels (9 %) dont on sait qu’ils sont souvent plus âgés que la moyenne, et chez ceux qui se disent appartenir aux milieux aisés ou privilégiés (10 %).
Au contraire, elle sous-performe nettement chez les électeurs de moins de 60 ans (2 à 3 %), chez les ouvriers et employés (2 %), chez les salariés du public (2 %) et les chômeurs (1 %), chez les personnes appartenant à un foyer gagnant moins de 2000€ par mois (2 à 3 %), dans les communes de moins de 10.000 habitants (2 à 3 %), chez les sans religion (2 %), chez ceux qui se déclarent très satisfaits (1 %) ou au contraire plutôt pas ou pas du tout satisfait de leur vie (0 à 2 %), chez les catégories se disant populaires (3 %) ou défavorisées (1 %) et chez ceux déclarant parvenir à mettre beaucoup d’argent de côté (1 %).
Le vote Pécresse est donc un vote assez nettement âgé, catholique et aisé mais dont on aurait écrêté le fragment matériellement le plus aisé. À l’exception de la dernière nuance, il s’agit certes des constantes de la droite, mais à des niveaux bien moindres qui la font virer du côté de la niche électorale, là où cinq ans plus tôt elle demeurait substantielle dans la plupart des segments de la population. Et pour cause, seulement 37 % des sympathisants LR/UDI ayant exprimé une voix en 2022 ont choisi Valérie Pécresse, ce taux descendant à 21 % concernant les anciens électeurs de François Fillon – 22 % s’étant par ailleurs abstenus, taux élevé pour une population habituellement très attachée au vote.
Y compris géographiquement, de nombreux bastions de la droite semblent avoir disparu : le vote LR a été balayé dans une bonne partie du Grand Ouest, en Alsace, dans le Rhône ou encore en Paca ; ne semble subsister que quelques résidus dans l’ouest de l’Île-de-France, l’ancienne Champagne-Ardenne, le Doubs, la Savoie et le sud du Massif Central.
Si de plus amples données sont attendues pour détailler cet évènement électoral, il est possible de distinguer plusieurs orientations au sein de cette défection massive. Premièrement, une fuite massive d’électeurs plutôt âgés, aisés et bien insérés dans la mondialisation vers Emmanuel Macron. En effet, l’électorat macroniste copie désormais certaines caractéristiques de l’électorat traditionnel de la droite, mais avec beaucoup plus de succès : 41 % chez les 70 ans et plus contre seulement 20 % chez les 18-24 ans, 35 % chez les cadres et 38 % chez les retraités, 33 % chez les bac+3 et plus contre seulement 23 % chez les personnes n’ayant pas le bac (et ce en dépit du poids des retraités dans cet électorat), 35 % dans les foyers gagnant plus de 3000€ mensuels contre seulement 14 % chez ceux gagnant moins de 1250€, respectivement 35 % et 30 % chez les catholiques pratiquants réguliers et occasionnels, 53 % dans les milieux aisés et favorisés contre seulement 13% dans les milieux défavorisés.
Le président sortant a ainsi été à même de séduire 39 % des anciens électeurs Fillon ayant exprimé un choix en 2022. Celui-ci semble en effet particulièrement réussir dans les zones modérées comme le Grand Ouest, aisées comme l’Ouest parisien ou intégrées dans la dynamique européenne comme l’Alsace, et ce a minima depuis les élections législatives de 2017 et particulièrement à partir des élections européennes de 2019.
Il est néanmoins possible de supposer, paradoxalement, qu’une partie de ce segment électoral se soit également porté sur la candidature d’Eric Zemmour, qui réalise de bons scores dans des quartiers très huppés comme le nord du XVIe arrondissement de Paris ou dans l’hypercentre de Lyon. Le candidat, qui a récupéré 12 % du vote Fillon de 2017, surperforme également chez les catholiques pratiquants réguliers (18 %) et occasionnels (13 %), ainsi que chez ceux disant venir de milieux aisés ou favorisés (13 %), mais fait pourtant également ses meilleurs scores chez ceux qui déclarent vivre sur leurs économies ou grâce à des crédits (13 %) et chez ceux qui se disent plutôt pas ou pas du tout satisfaits de leur vie (respectivement 13 % et 21 %).
Si ces deux ensembles peuvent être partiellement disjoints, on peut penser qu’Éric Zemmour a su séduire entre autres la frange la plus inquiète de la bourgeoisie française, les « vieilles familles » et « anciens riches » autrefois acquis à la droite mais craignant une dégradation de leur statut social face aux transformations de la société mondialisée. Cela ne doit pas néanmoins occulter le pouvoir d’attraction globalement intact de Marine Le Pen sur la droite, qui a assis son hégémonie sur l’électorat populaire de droite, en attirant plus de 20% des électeurs se reconnaissant dans Les Républicains et l’UDI.
Le résultat d’une campagne ratée
On peut affirmer d’une certaine manière qu’un tel effondrement électoral n’était pas inéluctable, mais qu’il a fortement été encouragé par une campagne ratée, elle-même conditionnée par un processus de nomination hasardeux. Ratée, la campagne l’a d’abord été en raison des circonstances particulières de cette élection, marquée par la guerre aux portes de l’Union Européenne ayant entraîné un réflexe de ralliement au drapeau – c’est-à-dire de soutien au pouvoir en place – face à la menace d’un conflit international, et par l’entrée en campagne très tardive du président sortant dont le bilan, brouillé par plusieurs crises dont celle de la covid, n’a été que peu discuté et dont le projet n’a que peu donné matière à débat.
Valérie Pécresse s’est également fait remarquer par une communication médiocre, avec des contre-performances scéniques et oratoires que n’ont pu effacer dans l’esprit des électeurs les rares face-à-face télévisuels, et qui ont eu le double désavantage de ternir son ethos de présidentiable et de distraire l’attention médiatique du fond de son discours.
En somme, la candidate s’est avérée incapable de maîtriser son image et de s’imposer comme une alternative crédible à Emmanuel Macron, qui a eu de son côté cinq années pour incarner la fonction, notamment dans l’esprit des anciennes générations, davantage en recherche de stabilité et continuité, là où sa concurrente de droite a été celle dont il était légitime de douter, comme en témoignent des indicateurs de crédibilité en chute libre lors des derniers temps de la campagne.
S’il a tant été question de son style durant cette campagne, c’est aussi – en sus d’un regard genré sur sa candidature – car Valérie Pécresse a peiné à proposer une synthèse mobilisatrice de son programme politique. Cela s’est vu assez nettement dans la volatilité des slogans adoptés : « Nouvelle France » et « L’ordre et la concorde » à l’occasion du meeting du 13 février au Zénith de Paris, « Le courage de dire, la volonté de faire » au début de sa campagne, « Restaurer la fierté française » durant le congrès LR, ou encore celui de son affiche de campagne « Le courage de faire », qui parle d’ailleurs bien davantage d’une méthode de gouvernement que d’un projet de société.
Ce dernier slogan dit deux choses : d’abord, que son projet s’adressait avant tout au peuple de droite – par définition restreint – à qui elle promettait une forme de constance droitière que n’aurait pas eu Emmanuel Macron ; ensuite, que la vision du monde qu’elle promouvait n’était pas particulièrement distincte de celle du président sortant et que c’était donc dans son application que se ferait la différence.
Or, Emmanuel Macron a pu pendant son mandat non seulement incarner la solidité et la précellence de la fonction présidentielle auprès d’un électorat très légitimiste vis-à-vis des institutions, mais également mettre en œuvre un certain nombre d’orientations économiques ou régaliennes aptes à satisfaire les électeurs de droite les moins préoccupés de pureté idéologique, le tout parachevé par un efficace braconnage de ses mesures phares sur la retraite, le RSA ou encore la restriction de l’octroi de visas.
Plutôt qu’un projet politique source d’espoir et d’enthousiasme ou a minima d’amélioration concrète de la situation des citoyens, Valérie Pécresse n’est apparue à son avantage que pour des questions de fidélité à une tradition politique qui ne préoccupent vraisemblablement plus grand-monde, tandis qu’elle semblait distanciée à la fois par Emmanuel Macron dans sa capacité à exercer au quotidien la direction du pays, par Éric Zemmour dans la radicalité de ses propositions et par Marine Le Pen dans sa capacité à être au plus près des préoccupations de l’électeur moyen.
La faute aussi à une campagne tardive, précédée de longs mois de débats internes à la droite destinés à séduire une grosse centaine de milliers d’adhérents, et durant lesquels la droite radicale a semblé faire la pluie et le beau temps. De là est sans doute née aussi une impression que Valérie Pécresse ne pourrait véritablement être la candidate antipopuliste et pragmatique par excellence, ayant succombé à un vocable RN-compatible (avec par exemple les « zones de non-France ») et ayant accordé à Éric Ciotti, adepte du « grand-remplacement » et de la « priorité nationale », une place importante dans sa campagne.
Une telle influence de la droite radicale dans le congrès des Républicains a pu être rendue possible à la fois car elle est parvenue à imposer l’idée qu’elle défendait une ligne conforme aux attentes et préoccupations des militants et sympathisants de droite en général, et parce que Valérie Pécresse ne disposait pas d’une doctrine préexistante susceptible de résister aux assauts et chantages des cadres partisans les plus vocaux. La faute est enfin à chercher du côté de l’organisation partisane qui, effrayée par la perspective de son éclatement, a cherché à maintenir à tout prix un compromis idéologique labile et laxiste, quitte à ne proposer en guise de programme officiel qu’un assemblage technocratique qu’elle n’est même pas parvenue à imposer aux candidats à l’investiture.
Quel avenir pour Les Républicains ?
Difficile dans les conditions actuelles d’imaginer un avenir uni pour le parti de Valérie Pécresse. Si le bureau politique des Républicains est parvenu à faire adopter assez largement une motion commune appelant à ne donner aucune voix à Marine Le Pen tout en renvoyant dos-à-dos « l’immobilisme et le laxisme » macronien et l’irresponsabilité lepéniste, les positions personnelles des cadres divergent, entre ceux qui ont exprimé une préférence personnelle pour le président sortant comme la désormais ex-candidate du parti, ceux qui souhaitent accepter franchement la main tendue de ce dernier pour construire une grande confédération de gouvernement à l’instar de Nicolas Sarkozy et ceux qui refusent de choisir explicitement entre les deux concurrents du second tour comme Laurent Wauquiez, voire affirment leur refus du bulletin Macron comme Éric Ciotti.
La majorité semble néanmoins décidée à ne pas jouer les supplétifs du pouvoir macroniste, partant du principe qu’il est de sa responsabilité de construire une alternative politique crédible à Emmanuel Macron pour éviter aux forces « de gouvernement » d’être un jour renversées par « les extrêmes ». Une ambition que le parti est loin d’avoir atteint durant les cinq dernières années, dans des conditions pourtant probablement bien plus favorables que celles des cinq ans à venir.
Aujourd’hui, la droite demeure divisée par un conflit qui semble moins idéologique – sachant la plasticité dont sont capables la plupart des cadres LR – que stratégique, entre les partisans d’une politique de « mains propres » vis-à-vis de l’extrême droite qui souhaite maintenir une certaine distance avec cette dernière – a minima dans les termes employés – et ceux qui estiment qu’il est nécessaire de « parler » aux électeurs de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour comme Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé ou Laurent Wauquiez avaient su le faire (avec un succès certes limité).
Les seconds sont plutôt minoritaires au sein de l’élite partisane et peut-être aussi chez les militants LR, mais disposent de relais plus influents, notamment dans la sphère éditorialistique qui a fait place ces dernières années à de nouveaux acteurs de « l’union des droites ». L’initiative Reconquête ! ne semble néanmoins pas suffisamment couronnée de succès pour générer suffisamment de ralliements de cadres LR appartenant à la seconde catégorie, si bien qu’ils pourraient très bien chercher à reprendre le parti à Christian Jacob d’ici la fin de l’année pour imposer leur ligne radicale.
Quant aux autres, si certains se considéreront sans doute comme les derniers des Mohicans gaullistes et refuseront de se laisser séduire par les attraits du pouvoir macroniste, le destin de la plus grande partie d’entre eux pourrait être déterminé à la fois par les résultats des candidats LR aux prochaines législatives – lors desquelles on pourrait imaginer des sortes d’accords informels avec LREM – et par la capacité d’Édouard Philippe et de son parti Horizons à se constituer en pôle distinct au sein de la majorité présidentielle, capable de tracer sa propre voie lors des prochaines échéances nationales.
Se poser la question de l’avenir des Républicains et celle de l’avenir de la droite en général sont deux choses assez différentes. Si auparavant l’UMP puis LR ont pu incarner ce grand rassemblement de la droite et du centre-droit dont la mollesse doctrinale était compensée par la réussite électorale dans une forme d’équilibre hydrostatique garantissant l’intégrité de l’organisation, l’offensive macroniste permise par un ensemble de circonstances plus ou moins fortuites a induit un cercle électoral vicieux qui a finalement conduit le parti à s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions, réduit à l’état de nain politique national.
À présent, La République en Marche représente l’un des trois pôles majeurs de la vie politique dans la continuité à la fois électorale et idéologique de la droite de gouvernement, avec en partie le concours des mêmes acteurs qui ont su réussir la transition d’une époque politique à l’autre. Le principal changement réside dès lors moins dans la structuration tripartite de l’espace politique que dans le poids accru du pôle extrême-droitier, largement favorisé (encore aujourd’hui) par l’action de la droite de gouvernement qui a légitimé ses thèmes, ses mots et son discours pour assurer son propre avenir électoral, en même temps qu’elle alimentait la défiance à l’égard des institutions aussi bien par ses affaires que par son discours opportunément antisystème, victimaire et catastrophiste. En ce sens, il n’est pas exagéré d’affirmer que la droite a activement concouru à son propre naufrage depuis au moins une quinzaine d’années.