Premier ministre, le talon (aiguille) d’Achille du Président

Politiste

Le président de la République présidera ce lundi le premier conseil des ministres du gouvernement de sa Première ministre, Élisabeth Borne. L’occasion de remettre en perspective l’étrange dyarchie qui caractérise l’exécutif français. Et de tenter de comprendre comment Emmanuel Macron va tenter de garder le contrôle de Matignon.

Curieusement, dans le régime présidentialisé de la Ve République, le choix du Premier ministre[1] est tout sauf anodin. C’est peut-être même l’une des décisions les plus importantes que doit prendre le Président, du moins l’une des plus stratégiques, et cela pour deux raisons.

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La première est juridique : non seulement le Président et « son » Premier ministre se partagent certains pouvoirs (notamment le pouvoir réglementaire et les nominations des très hauts fonctionnaires), mais le premier dépend entièrement des nombreux services administratifs dont le second est le chef pour mettre en œuvre le programme politique sur lequel il a été élu. Si le Président est devenu avec les années l’homme fort du régime, le Premier ministre en est le talon d’Achille : qu’il se prenne à vouloir suivre sa propre feuille de route plutôt que celle du Président et ce dernier se retrouve, en théorie du moins, réduit à l’impuissance. Les cohabitations, qu’on a pris le soin d’empêcher en 2000 par la réforme dite du « quinquennat », en attestent. Mais, on ne l’a que trop oublié, le Président ne peut en droit révoquer son Premier ministre même en dehors des périodes de cohabitation. C’est à ce dernier qu’appartient normalement la décision de remettre sa démission et celle de son gouvernement. 

La seconde raison qui fait de cette nomination une décision capitale est de nature politique. Le Premier ministre n’est pas seulement le chef de l’administration française en même temps que le partenaire du Président ; il est aussi le chef d’orchestre de la majorité. Il lui revient de coordonner l’action du gouvernement et de faire voter ses projets de lois au Parlement. Il a donc besoin d’une équipe gouvernementale mobilisée – à défaut de soudée – autour de sa personne, ainsi que du soutien d’une majorité parlementaire. Or contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le chef qui fait la troupe au Parlement, mais l’inverse. Autrement dit, l’autorité du Premier ministre ne lui échoie pas par la


[1] Je laisse sciemment le titre de Premier ministre au masculin pour ne pas donner à croire qu’il est neutre du point de vue du genre et que le poste a été également occupé par des femmes et des hommes.

[2] Il convient toutefois de distinguer ici équilibre entre les partis de la coalition gouvernementale et équilibres internes à ces partis. Sous la Ve République, les gouvernements respectent en effet généralement l’équilibre entre les partis de la majorité. En revanche, et sauf exception – comme le premier gouvernement Mauroy, où les trois courants du PS sont scrupuleusement représentés à hauteur de leur poids et leur chefs (M. Rocard, G. Defferre, et J.-P. Chevènement) placés chacun au rang de ministre d’État – les gouvernements ne respectent guère les équilibres intra-partisans (cf. Bernard Dolez, « La composition du gouvernement sous la Ve République », Revue du droit public, 1, 1999).

[3] D. de Villepin, in Raphaëlle Bacqué, L’Enfer de Matignon, Albin Michel, 2008, p. 245.

Delphine Dulong

Politiste, Professeure de science politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheuse au CESSP

Notes

[1] Je laisse sciemment le titre de Premier ministre au masculin pour ne pas donner à croire qu’il est neutre du point de vue du genre et que le poste a été également occupé par des femmes et des hommes.

[2] Il convient toutefois de distinguer ici équilibre entre les partis de la coalition gouvernementale et équilibres internes à ces partis. Sous la Ve République, les gouvernements respectent en effet généralement l’équilibre entre les partis de la majorité. En revanche, et sauf exception – comme le premier gouvernement Mauroy, où les trois courants du PS sont scrupuleusement représentés à hauteur de leur poids et leur chefs (M. Rocard, G. Defferre, et J.-P. Chevènement) placés chacun au rang de ministre d’État – les gouvernements ne respectent guère les équilibres intra-partisans (cf. Bernard Dolez, « La composition du gouvernement sous la Ve République », Revue du droit public, 1, 1999).

[3] D. de Villepin, in Raphaëlle Bacqué, L’Enfer de Matignon, Albin Michel, 2008, p. 245.