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Tribunal ouighour : prouver un génocide pour « entrave aux naissances »

Historienne

Si le Tribunal ouighour, formation citoyenne composée d’universitaires et de juristes, a récemment conclu au crime de génocide perpétré par la République populaire de Chine, ce n’est pas au sens ancré dans la conscience collective de meurtre de masse. Ce verdict aussi attendu qu’original et rigoureux fut rendu en raison de la politique délibérée, systématique et concertée de l’État chinois de contrôle des naissances avec comme objectif la réduction des taux de natalité des populations ouighoures et autres communautés turciques.

C’est au bout d’une heure et quarante-cinq minutes que le verdict de « crime de génocide » contre la population ouighoure et les autres minorités musulmanes turciques de la Région autonome ouighoure du Xinjiang a été prononcé par Sir Geoffrey Nice, en ce 9 décembre 2021. Le Tribunal a démontré que les politiques menées par la République populaire de Chine dans cette région relevaient d’un génocide en vertu de l’article II d) de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, soient des « mesures visant à entraver les naissances », qui entrainent une destruction partielle substantielle du groupe en tant que tel (Jugement, §183)[1].

Ce verdict, original puisque pour la première fois le crime de génocide ne repose pas sur le meurtre de masse, était très attendu par la communauté ouighoure, par les ONG de défense des droits humains, par de nombreux chercheurs et militants. Mais difficile de dire qu’il s’agissait vraiment d’un soulagement : si d’un côté, la nature des crimes commis a enfin un nom, de l’autre, ces crimes tels qu’ils ont été exposés pendant les audiences témoignent de l’horreur quotidienne vécue, conséquence d’une politique répressive, systématique, planifiée et concertée, qu’il semble bien difficile d’arrêter.

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Le Tribunal n’a pas seulement conclu au génocide, mais également aux crimes contre l’humanité et à la torture, en se fondant sur un corpus juridique large. Ainsi, ce jugement, qui pourrait avoir le goût amer d’un constat d’impuissance face à de telles atrocités, est très dense et il repose sur un travail de fond et des audiences publiques. Il ouvre la voie à de nouvelles actions en droit, multiples et inventives au regard de celles déjà engagées.

Cet article se base en priorité sur le texte du jugement, les audiences, les dépositions ainsi que plusieurs entretiens menés ces derniers mois, pour offrir un premier éclairage et inviter tout un chacun à prendre connaissance de l’ensemble des éléments disponibles : il rev


[1] Le texte du jugement est définitif, mais les références et les annexes sont encore en cours de préparation.

[2] Laquelle inclue les autres communautés musulmanes turciques (comme les Kazakhs, les Kirghizes).

[3] Comme le suggère le jugement, personne n’a encore essayé de contester la validité de cette réserve (J. §201).

[4] Dans le domaine académique, les recherches sont anciennes et nombreuses, voir la bibliographie de Uyghur Human Rights Project.

[5] Je remercie Aarif Abraham pour avoir insisté sur ce point dans un entretien du 30/05/2022. Ce dernier a répondu en tant qu’expert juridique sur des questions générales ayant trait aux tribunaux citoyens.

[6] Entretien avec Sir Geoffrey Nice, le 14/06/2022, qui a insisté sur ce point.

[7] Entretien avec Hamid Sabi, le 30/09/2021 (réalisé avec Guillaume Mouralis et Marine Mazel). La majeure partie des membres du Tribunal n’ont pas été rémunérés (J. §5). Sir Geoffrey Nice comme Hamid Sabi insistent sur ce point dans les entretiens.

[8] Le Tribunal a été lancé officiellement le 3 septembre 2020, avec l’assistance de Coalition for Genocide Response.

[9] Entretien avec Sir Geoffrey Nice, le 14/06/2022.

[10] Des sanctions similaires touchent aussi certains députés du Parlement européen ou de parlements nationaux en Europe, le Comité politique et de sécurité du Conseil de l’Union européenne ou la Sous-Commission des droits de l’homme du Parlement européen.

[11] À titre d’exemples : Dr. David Tobin (Université de Manchester), Dr. Rian Thum (Université de Manchester), Dr. Joanne Smith Finley (Université de Newcastle), et Pr. James Millward (Washington University).

[12] Ceux de Bar Human Rights Committee, Essex Court Chambers, Intercept, Newlines Institute, Human Rigths Watch, Amnesty Report, Australian Strategic Policy Institute (ASPI) et United Holocaust Memorial Museum.

[13] Entretien avec Hamid Sabi.

[14] Sur les extraditions et les pressions : rapport de UHRP ; audition de Laura Harth, le 13/09/2021 ; entretien avec Dol

Cloé Drieu

Historienne, chargée de recherche au CNRS (CETOBaC/Ehess)

Notes

[1] Le texte du jugement est définitif, mais les références et les annexes sont encore en cours de préparation.

[2] Laquelle inclue les autres communautés musulmanes turciques (comme les Kazakhs, les Kirghizes).

[3] Comme le suggère le jugement, personne n’a encore essayé de contester la validité de cette réserve (J. §201).

[4] Dans le domaine académique, les recherches sont anciennes et nombreuses, voir la bibliographie de Uyghur Human Rights Project.

[5] Je remercie Aarif Abraham pour avoir insisté sur ce point dans un entretien du 30/05/2022. Ce dernier a répondu en tant qu’expert juridique sur des questions générales ayant trait aux tribunaux citoyens.

[6] Entretien avec Sir Geoffrey Nice, le 14/06/2022, qui a insisté sur ce point.

[7] Entretien avec Hamid Sabi, le 30/09/2021 (réalisé avec Guillaume Mouralis et Marine Mazel). La majeure partie des membres du Tribunal n’ont pas été rémunérés (J. §5). Sir Geoffrey Nice comme Hamid Sabi insistent sur ce point dans les entretiens.

[8] Le Tribunal a été lancé officiellement le 3 septembre 2020, avec l’assistance de Coalition for Genocide Response.

[9] Entretien avec Sir Geoffrey Nice, le 14/06/2022.

[10] Des sanctions similaires touchent aussi certains députés du Parlement européen ou de parlements nationaux en Europe, le Comité politique et de sécurité du Conseil de l’Union européenne ou la Sous-Commission des droits de l’homme du Parlement européen.

[11] À titre d’exemples : Dr. David Tobin (Université de Manchester), Dr. Rian Thum (Université de Manchester), Dr. Joanne Smith Finley (Université de Newcastle), et Pr. James Millward (Washington University).

[12] Ceux de Bar Human Rights Committee, Essex Court Chambers, Intercept, Newlines Institute, Human Rigths Watch, Amnesty Report, Australian Strategic Policy Institute (ASPI) et United Holocaust Memorial Museum.

[13] Entretien avec Hamid Sabi.

[14] Sur les extraditions et les pressions : rapport de UHRP ; audition de Laura Harth, le 13/09/2021 ; entretien avec Dol