La tentation du fascisme en postcolonie ? Sur la victoire de Le Pen aux Antilles
Comment des sociétés nées de l’esclavage atlantique et du racisme inscrit au cœur de la traite et de la colonisation, sociétés communément présentées comme des « terres de gauche » voire comme des emblèmes de la créolisation, ont-elles pu basculer dans les bras de Marine Le Pen, représentante aux dernières élections présidentielles des oripeaux du fascisme français ? Avec un score de près de 70 % des voix en Guadeloupe et de plus de 60 % en Martinique, la victoire de la dirigeante du Rassemblement national le 24 avril dernier a suscité des réactions mêlant stupeur, consternation et indignation sur les réseaux sociaux et chez nombre d’intellectuels des Antilles et dans la presse hexagonale.

Les chiffres de l’abstention et des votes blancs ont généralement pondéré les réactions. Au second tour l’abstention électorale s’est en effet élevée à 52,82 % en Guadeloupe et à 54,55 % en Martinique. Parmi les votants, les taux de bulletins blancs et nuls représentaient respectivement 5,71 % et 5,51 % en Guadeloupe. En Martinique, ils étaient de 8,09 % et 5,31 %. Au total, sur 304 670 inscrits (pour une population inférieure à 380 000 habitants selon le dernier recensement), ce sont 73 000 Martiniquais qui ont déposé un bulletin en faveur de Marine Le Pen. Parmi 315 941 électeurs (pour environ 395 000 habitants), 92 106 Guadeloupéens ont donné leur voix au Rassemblement national. Ces éléments relativisent en effet l’ampleur de la victoire du parti de Marine Le Pen parmi les électeurs des Antilles françaises, affaiblissant l’hypothèse d’une adhésion « des Guadeloupéens » ou « des Martiniquais », en un mot des sociétés antillaises, à l’idéologie du Rassemblement national.
Pour autant, à y regarder de plus près, ces chiffres sont préoccupants. En Guadeloupe, près de 30 % du corps électoral a donc franchi le Rubicon du vote frontiste. En Martinique, c’est un peu moins d’un quart du corps électoral qui s’est prononcé en faveur de la candidate du Rassemblement national sans