Rediffusion

La tragédie industrielle

Économiste

Les pénuries qui ont scandé le début de la pandémie de Covid-19 ont refait surgir dans le débat public les thèmes de la souveraineté, de l’indépendance ou encore du redressement industriels. Mais par-delà ces discours appelant à une réindustrialisation supposée nécessaire, il faut soigneusement distinguer les différentes significations du terme industrie afin d’en cerner les enjeux politiques et de saisir celle-ci comme un rapport social de production affectant toutes les activités économiques et constituant la réalité matérielle – le plus souvent dissimulée – du capitalisme. Rediffusion du 15 février

La Covid-19 et ses confinements ont dévoilé sur la scène médiatique la base industrielle de notre société. Les ruptures d’approvisionnements et les pénuries successives ont montré la matérialité industrielle cachée derrière l’immatérialité virtuelle, fluide et numérique des nombreux services sur lesquels reposent de nos quotidiens urbains.

Baignant dans ce même quotidien métropolisé, les journalistes de médias produisant des informations à obsolescence accélérée, terrifiés de ce surgissement, ont remis en selle les thèmes de l’indépendance industrielle, de la réindustrialisation, du redressement industriel, la renaissance industrielle ou enfin la souveraineté industrielle. Des journalistes relayés bientôt par presque tous les candidats à la présidentielle de 2022.

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Toutes ces qualifications du renouveau ont la même signification implicite, celle de retrouver une puissance productive nationale dont les corollaires statistiques formels sont les gains de productivités, la croissance économique et l’emploi industriel.

Ils ne se sont pourtant pas trompés d’objet, car l’industrie est bien un phénomène socio-économique au cœur du rapport de production propre au capitalisme, son évolution est ainsi un enjeu politique essentiel.

Pourtant, il y a encore quelques années, on a tenté de nous faire croire que le « développement économique » des pays dits avancés se mesurait à la petite taille de son secteur industriel. Les plus avancés auraient ainsi réussi à dépasser l’industrie et sa matérialité lourde, bruyante et polluante avec ses ouvriers syndiqués.

À l’orée du millénaire, des prophètes du progrès –un progrès identifié à des déversements successifs d’un besoin à un autre (biens puis services donc) – ont imaginé « les entreprises sans usines[1] », l’avancée d’une société se mesurant alors à la faiblesse de son secteur industriel. L’histoire sociale et politique des deux dernières décennies montre bien une baisse progressive de la production dite « industrielle »[2]


[1] Serge Tchuruk, en 2001, souhaitait transformer Alcatel en entreprise sans usine et sans fabrications. Alcatel a échoué, mais d’autres grandes entreprises ont réussi, comme Apple.

[2] C’est-à-dire la baisse de la production de biens matériels qui se distingue d’une production de service.

[3] Lionel Jospin, Premier ministre socialiste de juin 1997 à mai 2002, déclarait que « l’État ne peut pas tout » à propos de la décision de Renault, entreprise dont l’État français est alors l’actionnaire principal (44,22 % du capital), de fermer une usine à Vilvorde, en Belgique.

[4] La nomenclature statistique des activités économiques de l’INSEE repose sur cette idée générale mais étant très détaillée, les groupements d’activités et de produits se font aussi selon des critères de techniques de production (industries de la chimie) ou de matières premières (industries du bois).

[5] Pierre Musso, La religion industrielle : monastère, manufacture, usine: une généalogie de l’entreprise, Paris, Fayard, 2017.

[6] Supprimées en 1793 dans un élan révolutionnaire mêlant visée égalitaire et visée de modernisation industrielle par la loi Le Chapelier.

[7] Gérard Dubey et Alain Gras, La servitude électrique : du rêve de liberté à la prison numérique, Paris, Éditions du Seuil, 2021.

[8] Détournement critique du concept de « destruction créatrice » de Schumpeter qui identifie l’innovation technologique comme le phénomène central du capitalisme et qui conduit à détruire sans cesse les anciennes technologies de production pour les remplacer par d’autres plus puissantes. Voir Jacques Prades, La création-destructrice : l’économique, la technique et le social, Paris, L’Harmattan, 1995.

[9] Xavier Jaravel et Isabelle Méjean, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », note du CAE, n°64, avril 2021.

[10] Voir le Manifeste pour l’industrie.

[11] Karl Marx, Maximilien Rubel et Karl Marx, Oeuvres, Economie I, Paris, Gallimard, 1994.

[12] La science dite moderne est une certain idée d

Mireille Bruyère

Économiste, Maîtresse de conférence à l'Université de Toulouse 2 Jean Jaurès

Notes

[1] Serge Tchuruk, en 2001, souhaitait transformer Alcatel en entreprise sans usine et sans fabrications. Alcatel a échoué, mais d’autres grandes entreprises ont réussi, comme Apple.

[2] C’est-à-dire la baisse de la production de biens matériels qui se distingue d’une production de service.

[3] Lionel Jospin, Premier ministre socialiste de juin 1997 à mai 2002, déclarait que « l’État ne peut pas tout » à propos de la décision de Renault, entreprise dont l’État français est alors l’actionnaire principal (44,22 % du capital), de fermer une usine à Vilvorde, en Belgique.

[4] La nomenclature statistique des activités économiques de l’INSEE repose sur cette idée générale mais étant très détaillée, les groupements d’activités et de produits se font aussi selon des critères de techniques de production (industries de la chimie) ou de matières premières (industries du bois).

[5] Pierre Musso, La religion industrielle : monastère, manufacture, usine: une généalogie de l’entreprise, Paris, Fayard, 2017.

[6] Supprimées en 1793 dans un élan révolutionnaire mêlant visée égalitaire et visée de modernisation industrielle par la loi Le Chapelier.

[7] Gérard Dubey et Alain Gras, La servitude électrique : du rêve de liberté à la prison numérique, Paris, Éditions du Seuil, 2021.

[8] Détournement critique du concept de « destruction créatrice » de Schumpeter qui identifie l’innovation technologique comme le phénomène central du capitalisme et qui conduit à détruire sans cesse les anciennes technologies de production pour les remplacer par d’autres plus puissantes. Voir Jacques Prades, La création-destructrice : l’économique, la technique et le social, Paris, L’Harmattan, 1995.

[9] Xavier Jaravel et Isabelle Méjean, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? », note du CAE, n°64, avril 2021.

[10] Voir le Manifeste pour l’industrie.

[11] Karl Marx, Maximilien Rubel et Karl Marx, Oeuvres, Economie I, Paris, Gallimard, 1994.

[12] La science dite moderne est une certain idée d