International

La guerre depuis l’étranger : le rôle ambigu des diasporas de la Corne de l’Afrique

Politiste

Depuis novembre 2020, la guerre en Ethiopie éprouve les finances d’un pays pourtant présenté, avant le conflit, comme un modèle de développement économique. Dans ce contexte, la diaspora est invitée à soutenir financièrement le gouvernement et à participer à l’opération du « Grand retour ». Les Tigréens aussi peuvent compter sur le soutien d’une autre partie de la diaspora, qui se mobilise à l’étranger et sur les réseaux sociaux notamment pour faire reconnaître cette guerre comme un génocide contre les Tigréens. En Ethiopie comme dans d’autre pays de la Corne de l’Afrique, la diaspora est un acteur politique à part entière.

Les diasporas sont déjà bien connues pour leur rôle d’acteurs économiques et culturels : en 2020 encore, les pays d’Afrique subsaharienne ont reçu des fonds estimés à 42 milliards de dollars, – et ce montant est certainement plus élevé si l’on prend en compte les transferts informels. Cette même année, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’Égypte, le Nigéria, le Maroc, le Ghana et le Kenya ont été les cinq principaux pays bénéficiaires d’envois de fonds internationaux en Afrique (15 milliards de dollars pour l’Égypte et le Nigéria). En pourcentage du produit intérieur brut (PIB), les cinq premiers pays destinataires des envois de fonds restaient la Somalie (35 %), le Soudan du Sud (30 %), le Lesotho (21 %), la Gambie (16 %) et le Cap-Vert (14 %).

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Mais les diasporas peuvent également, lorsqu’elles sont actives et bien structurées, constituer des acteurs politiques capables de négocier avec l’État. Elles disposent d’une véritable influence politique, en particulier quand leur pays d’origine est touché par la guerre. Ce rôle politique a été très étudié ces dernières années par les internationalistes.

Les chercheurs Yossi Shain et Aharon Barth ont d’abord identifié les motivations des acteurs de la diaspora[1] : ceux-ci agissent en fonction de la perception qu’ils ont des développements potentiels futurs dans leur pays d’origine. Si la cession de territoires considérés comme faisant partie de la patrie historique fait l’objet de négociations dans le cadre d’un processus de paix, ou si les politiques de l’État d’origine sont perçues par la diaspora comme mettant en danger l’existence de la patrie, celle-ci souhaitera agir. Elle peut également craindre que les politiques du pays d’origine n’affectent l’intégration et la sécurité de la communauté diasporique dans le pays d’accueil.

Ainsi, les interdictions de voyager aux États-Unis décrétées par la présidence Trump touchaient des pays de la Corne de l’Afrique (Soudan, Érythrée, Somali


[1] Yossi Shain, et Aharon Barth, “Diasporas and International Relations Theory”, International Organization, 57, 2003, pp. 449–79.

[2] Trevor Rubenzer, “Ethnic Minority Interest Group Attributes and US Foreign Policy Influence: A Qualitative Comparative Analysis”, Foreign Policy Analysis, 4 (2), 2008, pp. 169–85; John Mearsheimer, et Stephen Walt, The Israel Lobby, London Review of Books, 2006; Zbigniew Brzezinski, “A Dangerous Exemption: Why Should the Israel Lobby Be Immune from Criticism?”, Foreign Policy, juillet-Août, 2006, pp. 63–4.

[3] Terrence Lyons, “Conflict-Generated Diasporas and Transnational Politics in Ethiopia”, Conflict, Security & Development 7(4), 2007, pp. 529–549.

[4] Jacob Bercovitch, “A Neglected Relationship: Diasporas and Conflict Resolution”, dans Hazel Smith et Paul Stares (dir.), Diaspora in Conflict: Peace-Makers or Peace-Wreckers, United Nations University Press, 2007, p. 24.

[5] Abdi Latif Dahir, “‘My Blood Is Boiling’: War Fever Surges in Ethiopia as Its Civil War Spreads”, The New York Times, 9 novembre 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022.

[6] Julian Piecquet, “House bill on Ethiopia violence sparks rival diaspora lobbying”, Foreign Lobby Report, 9 juin 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022,

[7] Claire Wilmot, Ellen Tveteraas et Alexi Drew, “Dueling Information Campaigns: The War Over the Narrative in Tigray”, The Media Manipulation Casebook, 20 août 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022,

[8] Éloi Ficquet, “Le Renversé de Wimbledon », Esprit, mai 2022.

[9] Nicholas Sambanis, “A Review of Recent Advances and Future Directions in the Quantitative Literature on Civil War”, Defence and Peace Economics, 13 (3), 2002, pp. 215–43.

[10] Paul Collier, et Anke Hoeffler, “Greed and Grievance in Civil War”, World Bank Policy Research Working Paper, No. 2355, Washington, DC: World Bank, 2000.

[11] Terrence Lyons, “Diaspora and Homeland Conflict” dans Miles Kahler et Barbara F. Walter (dir.), Territoriality and Conflict in

Sonia Le Gouriellec

Politiste, Maîtresse de conférences en science politique à l’Université Catholique de Lille

Notes

[1] Yossi Shain, et Aharon Barth, “Diasporas and International Relations Theory”, International Organization, 57, 2003, pp. 449–79.

[2] Trevor Rubenzer, “Ethnic Minority Interest Group Attributes and US Foreign Policy Influence: A Qualitative Comparative Analysis”, Foreign Policy Analysis, 4 (2), 2008, pp. 169–85; John Mearsheimer, et Stephen Walt, The Israel Lobby, London Review of Books, 2006; Zbigniew Brzezinski, “A Dangerous Exemption: Why Should the Israel Lobby Be Immune from Criticism?”, Foreign Policy, juillet-Août, 2006, pp. 63–4.

[3] Terrence Lyons, “Conflict-Generated Diasporas and Transnational Politics in Ethiopia”, Conflict, Security & Development 7(4), 2007, pp. 529–549.

[4] Jacob Bercovitch, “A Neglected Relationship: Diasporas and Conflict Resolution”, dans Hazel Smith et Paul Stares (dir.), Diaspora in Conflict: Peace-Makers or Peace-Wreckers, United Nations University Press, 2007, p. 24.

[5] Abdi Latif Dahir, “‘My Blood Is Boiling’: War Fever Surges in Ethiopia as Its Civil War Spreads”, The New York Times, 9 novembre 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022.

[6] Julian Piecquet, “House bill on Ethiopia violence sparks rival diaspora lobbying”, Foreign Lobby Report, 9 juin 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022,

[7] Claire Wilmot, Ellen Tveteraas et Alexi Drew, “Dueling Information Campaigns: The War Over the Narrative in Tigray”, The Media Manipulation Casebook, 20 août 2021, (en ligne) consulté le 28 juillet 2022,

[8] Éloi Ficquet, “Le Renversé de Wimbledon », Esprit, mai 2022.

[9] Nicholas Sambanis, “A Review of Recent Advances and Future Directions in the Quantitative Literature on Civil War”, Defence and Peace Economics, 13 (3), 2002, pp. 215–43.

[10] Paul Collier, et Anke Hoeffler, “Greed and Grievance in Civil War”, World Bank Policy Research Working Paper, No. 2355, Washington, DC: World Bank, 2000.

[11] Terrence Lyons, “Diaspora and Homeland Conflict” dans Miles Kahler et Barbara F. Walter (dir.), Territoriality and Conflict in