Politique

Mélenchon, le populisme et l’histoire

Sociologue, Historienne

Régulièrement attaqué sur son rapport à la République, Jean-Luc Mélenchon est dépeint par ses adversaires politique comme aspirant à devenir le Chavez français. Son populisme, sa volonté d’incarner « le bruit et la fureur » menaceraient les institutions républicaines dans leurs fondements. Pourtant, le rapport au peuple de Mélenchon trouve ses sources dans une interprétation de la Révolution française qui fait du peuple l’acteur de l’histoire s’écrivant. Une interprétation qui s’inscrit pleinement dans la tradition républicaine.

Sur BFM-TV, Anne-Hidalgo disait en 2020 ne pas pouvoir se retrouver dans une candidature de Jean-Luc Mélenchon, au motif de ses « ambiguïtés », de son « jeu, avec les questions républicaines ». Cette antienne a été largement reprise ce printemps. Or, quoi que l’on puisse penser de Jean-Luc Mélenchon, cette accusation relève soit de la mauvaise foi, soit d’une définition tout à fait torve de la tradition républicaine. Elle va avec une manière d’assimiler le leader de La France Insoumise (LFI) aux modèles chaviste ou castriste, fantasmés comme autant de « dictateurs révolutionnaires »[1]. Or, Mélenchon pense le cycle des révolutions sud-américaines d’abord comme « des révolutions citoyennes » et humanistes[2] – « le cas vénézuélien », écrit-il dans Le Choix de l’insoumission, « va me faire regarder autrement bien des choses »[3].

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Enclenchées en Amérique latine en réaction à l’implémentation des programmes néolibéraux d’ajustement structurel, ces révolutions se situent dans la continuité politique du modèle socialiste, mais préfigurent une nouvelle réalité globale du XXIe siècle : la concentration des populations urbaines et la nouvelle centralité des luttes pour les biens communs, les services publics et le pouvoir d’agir des citoyen-ne-s. Comme l’écrit Mélenchon : « La révolution citoyenne, ce n’est pas l’ancienne révolution socialiste. Certes, elle inclut nombre de tâches qu’elle voulait prendre en charge : la lutte pour l’égalité du bien-être, le contrôle collectif des biens communs, l’éducation de tous, et ainsi de suite. Mais la révolution citoyenne vise des objectifs plus amples. Ceux de l’intérêt général humain. Son programme part de l’évaluation des rapports de l’humanité avec l’écosystème et des tâches qui en découlent. Elle est dite « citoyenne » parce qu’elle désigne l’acteur qui l’accomplit et qui doit en rester le maître : le citoyen[4]. »

Révolutions citoyennes et humanistes : cette double caractérisation du peuple révolutionnaire – aspirant à


[1] Jean-Pierre Robin, « Castro, Chavez… Mélenchon, l’apôtre des dictateurs révolutionnaires », Le Figaro, 11 avril 2017.

[2] Voir L’Humanité du 6 mars 2013.

[3] Jean-Luc Mélenchon, Le Choix de l’insoumission, Seuil, 2016, p. 269.

[4] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 111-112.

[5] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 148 (2016, p. 118). Nous avons travaillé à quatre mains sur ce texte… et à deux éditions de l’ouvrage de Jean-Luc Mélenchon. La seconde édition (2016) étant non seulement augmentée mais profondément remaniée, il devenait assez difficile d’harmoniser nos citations. Les lecteurs et lectrices ne nous en voudront pas pour cette petite bizarrerie.

[6] Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme. Une nouvelle analyse sociologique, La Découverte, 2019, p. 13.

[7] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 12.

[8] Ibid., p. 85, 149.

[9] Alexis Gales, « Mélenchon, de la Gauche au Peuple », Ballast, 10 mars 2015.

[10] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 19.

[11] Cité in Jean-Numa Ducange, « Les adieux à la gauche de Jean-Luc Mélenchon. Portrait intellectuel d’un homme (politique) pluriel », Revue du Crieur, 9, 2018, p. 48-63.

[12] Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple. Agoraphobie et agoraphilie politiques, Lux Humanités, 2016.

[13] Cit. in Valentin Soubise, « Théorie et pratique du populisme de gauche chez Jean-Luc Mélenchon », Populisme, 2, 2022 (sous presse).

[14] Voir le dossier « Populisme/contre-populisme », Actuel Marx, 54, 2013.

[15] Federico Tarragoni, « Populism without fantasies », Ideology Theory Practice, 24 janvier 2022.

[16] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 85.

[17] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 32.

[18] Sur l’absence de pertinence de la comparaison entre Gilets jaunes et jacqueries médiévales, voir Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde / éd. de l’Aube, 2019, p. 28-

Federico Tarragoni

Sociologue, Maître de conférences à l'Université Paris-Cité

Déborah Cohen

Historienne, Maîtresse de conférences en Histoire moderne

Mots-clés

GauchePopulisme

Notes

[1] Jean-Pierre Robin, « Castro, Chavez… Mélenchon, l’apôtre des dictateurs révolutionnaires », Le Figaro, 11 avril 2017.

[2] Voir L’Humanité du 6 mars 2013.

[3] Jean-Luc Mélenchon, Le Choix de l’insoumission, Seuil, 2016, p. 269.

[4] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 111-112.

[5] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 148 (2016, p. 118). Nous avons travaillé à quatre mains sur ce texte… et à deux éditions de l’ouvrage de Jean-Luc Mélenchon. La seconde édition (2016) étant non seulement augmentée mais profondément remaniée, il devenait assez difficile d’harmoniser nos citations. Les lecteurs et lectrices ne nous en voudront pas pour cette petite bizarrerie.

[6] Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme. Une nouvelle analyse sociologique, La Découverte, 2019, p. 13.

[7] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 12.

[8] Ibid., p. 85, 149.

[9] Alexis Gales, « Mélenchon, de la Gauche au Peuple », Ballast, 10 mars 2015.

[10] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 19.

[11] Cité in Jean-Numa Ducange, « Les adieux à la gauche de Jean-Luc Mélenchon. Portrait intellectuel d’un homme (politique) pluriel », Revue du Crieur, 9, 2018, p. 48-63.

[12] Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple. Agoraphobie et agoraphilie politiques, Lux Humanités, 2016.

[13] Cit. in Valentin Soubise, « Théorie et pratique du populisme de gauche chez Jean-Luc Mélenchon », Populisme, 2, 2022 (sous presse).

[14] Voir le dossier « Populisme/contre-populisme », Actuel Marx, 54, 2013.

[15] Federico Tarragoni, « Populism without fantasies », Ideology Theory Practice, 24 janvier 2022.

[16] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2016, p. 85.

[17] Jean-Luc Mélenchon, L’Ère du peuple, Fayard, 2014, p. 32.

[18] Sur l’absence de pertinence de la comparaison entre Gilets jaunes et jacqueries médiévales, voir Gérard Noiriel, Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire. Dialogue avec Nicolas Truong, Le Monde / éd. de l’Aube, 2019, p. 28-