Un jour, c’est la guerre
Un jour, c’est la guerre, qui s’impose comme un brusque changement de temps. Le 24 février 2022, l’Ukraine a subi une invasion massive de son territoire par les troupes de l’armée russe. C’était un jeudi, il y a huit mois. Un temps initial, désormais presque inaccessible (intellectuellement et émotionnellement) tant il est vrai que ces périodes d’entrée en guerre sont rapidement éclipsées par le souvenir des événements dramatiques qui ont suivi : blocus et bombardements de villes, violences sexuelles, massacres de civils, déportations, territoires perdus, occupés puis reconquis. Au loin, des grondements, la rumeur du quotidien mystérieusement assourdie, une suspension des activités. « Il y a du bruit et du silence, mais le silence absorbe le bruit. C’est comme aux enterrements[1]. »

Puis le danger se rapproche, se précise, s’introduit tel un intrus dans votre vie de tous les jours. Au détour d’une rue, il prend les traits d’un soldat ennemi, dont les paroles incompréhensibles alertent comme une menace. Ou bien l’individu s’exprime dans une langue que vous connaissez, que vous parlez : vous vous sentez trahi.
Comment d’ailleurs caractériser ce morceau de temps – l’entrée en guerre : un basculement rapide ou une lente dérive de la paix vers la guerre, par étapes successives ? Une chose, pourtant, me paraît incontestable. Ce temps qui nous a pris par surprise – nous, historiens de la guerre, qui aurions dû, en principe du moins, imaginer que le pire est souvent le plus probable – ce temps donc, nous l’avons reconnu rétrospectivement, à tort ou à raison, comme quelque chose qui nous était familier, dont nous avions écrit l’histoire pour des périodes plus anciennes, et qui reste enfoui dans la mémoire collective de nos sociétés occidentales, désormais démilitarisées.
Que signifie alors écrire l’histoire de la guerre en temps de guerre ? Quelles références mobiliser, et à quel niveau d’étude faut-il se placer, celui des menaces géopolitiques ou du langage de la