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Modi-Shah : un duo au sommet de l’État indien

Politiste

« Nous devrons combattre les forces fascistes qui menacent la démocratie et les citoyens de ce pays » vient de déclarer Mallikarjun Kharge après son élection à la tête du Parti du Congrès, plus vieux parti indien et fer de lance de l’opposition. Il pointait ainsi l’hindutva, l’idéologie du BJP affirmant la suprématie des hindous et prônée par le Premier ministre Narendra Modi, mais aussi par son très puissant ministre de l’Intérieur, Amit Shah. L’occasion d’un retour sur le parcours de ce vieux couple politique.

Parmi les rumeurs qui circulent le plus fréquemment en Inde, il en est une qui mérite qu’on s’y arrête : contrairement aux apparences, l’homme fort du pays ne serait pas le Premier ministre Narendra Modi, mais son ministre de l’Intérieur Amit Shah. Mener l’enquête sur un sujet aussi sensible n’a rien d’évident, mais à partir des sources ouvertes dont on dispose, il est possible de reconstituer l’ascension de ce duo jusqu’au sommet de l’État, depuis la rencontre des deux hommes au Gujarat, il y a 40 ans, et de décrypter les ressorts de leur complicité. Celle-ci procède à la fois de leurs affinités – non seulement personnelles, mais aussi idéologiques –, et de leur complémentarité, deux dimensions qui expliquent qu’en dépit des épreuves leur association dure depuis plus de trente ans.

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Le creuset nationaliste hindou du Gujarat

Narendra Modi et Amit Shah se sont rencontrés au Gujarat, leur province natale, grâce au mouvement nationaliste hindou (aussi appelé hindutva) auquel ils ont tous deux adhéré très jeune. L’organisation qui les a formés – et rapprochés – n’est autre que le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS – Association des volontaires nationaux), qui incarne le nationalisme hindou depuis sa fondation en 1925. Cette idéologie présente l’hindouisme comme résumant l’identité indienne et les hindous comme les fils du sol descendant du peuple originel de l’Inde, son territoire sacré. Dans cette perspective, les membres des minorités (les musulmans, les chrétiens, etc.) ne peuvent être reconnus comme des citoyens à part entière que s’ils prêtent allégeance à l’hindutva et adoptent un mode de vie hindou – à défaut, ils sont perçus comme anti-nationaux et dénoncés, voire discriminés et réprimés.

Pour défendre les hindous contre les minorités – et en particulier les musulmans –, le RSS a entrepris de muscler les jeunes hindous tant au physique qu’au moral, en les entrainant au maniement d’armes blanches et en leur enseignant une certaine histoire de l’Inde – de l


[1] Atul Dev, « His master’s voice. Tushar Mehta holds court », The Caravan, 1er octobre 2020.

[2] Ces épisodes essentiels de l’histoire du Gujarat sont analysés dans C. Jaffrelot, Modi’s India. Hindu Nationalism and the Rise of Ethnic Democracy, Princeton University Press, 2021 (traduction de L’Inde de Modi. National-populisme et démocratie ethnique, Paris, Fayard, 2019).

[3] Sur le financement de la campagne électorale du BJP en 2019, voir « Analysis of Sources of Funding of National Parties of India, FY 2017-18 », Association for Democratic Reforms, 23 janvier 2019, « In 2019, Is BJP Riding a Modi Wave or a Money Wave? », The Wire, 6 mai 2019 et A. Rashid, « Electoral Bonds Have Legalised Crony Capitalism: Ex-Chief Election Commissioner SY Quraishi », Outlook, 7 avril 2019.

[4] Voir le chapitre 7 de Modi’s India, op. cit.

[5] « Omar and Mehbooba detained under PSA… had to take precautions: Amit Shah »,The Indian Express, 15 octobre 2019. Imprisoned Resistance. 5th August and its Aftermath, PUCL, November 12, 2019, p. 28, consulté le 4 septembre 2020. D’autres rapports aux conclusions similaires ont été rendus par la Fédération internationale des droits de l’Homme et par la National Federation of Indian Women (cité dans le Telegraph).

[6] Report of the DMC fact-finding Committee on North-East Delhi Riots of February 2020, Delhi, Delhi Minorities Commission, Government of NCT of Delhi, 2020, p. 27.

[7] Vijaita Singh, « 1,100 rioters identified using facial recognition technology: Amit Shah », The Hindu, March 12, 2020. Consulté le 18 septembre 2020.

Christophe Jaffrelot

Politiste, Directeur de recherche au Centre de recherches internationales (SciencesPo-CNRS)

Mots-clés

Nationalisme

Notes

[1] Atul Dev, « His master’s voice. Tushar Mehta holds court », The Caravan, 1er octobre 2020.

[2] Ces épisodes essentiels de l’histoire du Gujarat sont analysés dans C. Jaffrelot, Modi’s India. Hindu Nationalism and the Rise of Ethnic Democracy, Princeton University Press, 2021 (traduction de L’Inde de Modi. National-populisme et démocratie ethnique, Paris, Fayard, 2019).

[3] Sur le financement de la campagne électorale du BJP en 2019, voir « Analysis of Sources of Funding of National Parties of India, FY 2017-18 », Association for Democratic Reforms, 23 janvier 2019, « In 2019, Is BJP Riding a Modi Wave or a Money Wave? », The Wire, 6 mai 2019 et A. Rashid, « Electoral Bonds Have Legalised Crony Capitalism: Ex-Chief Election Commissioner SY Quraishi », Outlook, 7 avril 2019.

[4] Voir le chapitre 7 de Modi’s India, op. cit.

[5] « Omar and Mehbooba detained under PSA… had to take precautions: Amit Shah »,The Indian Express, 15 octobre 2019. Imprisoned Resistance. 5th August and its Aftermath, PUCL, November 12, 2019, p. 28, consulté le 4 septembre 2020. D’autres rapports aux conclusions similaires ont été rendus par la Fédération internationale des droits de l’Homme et par la National Federation of Indian Women (cité dans le Telegraph).

[6] Report of the DMC fact-finding Committee on North-East Delhi Riots of February 2020, Delhi, Delhi Minorities Commission, Government of NCT of Delhi, 2020, p. 27.

[7] Vijaita Singh, « 1,100 rioters identified using facial recognition technology: Amit Shah », The Hindu, March 12, 2020. Consulté le 18 septembre 2020.