Éthiopie, deux ans de guerre
Le 17 août 2022, le président de l’Organisation mondiale de la santé, le Dr Tedros Adhanom, visiblement ému, s’interrogeait en public sur les raisons du manque d’attention porté à la guerre dans sa région d’origine en Éthiopie, le Tigray. Résigné, il se demandait si la couleur de peau des belligérants et des victimes n’expliquait pas la différence de traitement médiatique international entre ce conflit et celui qui ravage l’Ukraine. Aux chercheurs travaillant en Éthiopie, on rétorque souvent une autre raison, loin des accusations de racisme : « Trop compliqué. »

En effet, la guerre civile éthiopienne, à l’instar des conflits yéménite ou libyen, semble bien complexe et lointaine pour les rédactions occidentales qui ne recourent qu’aux termes exotisants de l’ethnicité. De loin, l’équation est la suivante : des « rebelles » tigréens se battant contre une alliance qui unit le gouvernement, à la tête du pays qu’ils dirigeaient eux-mêmes il y a peu, les nationalistes Amhara qui disent représenter l’Éthiopie, et des troupes érythréennes envoyées par un homme qui a participé aux trente ans de guerre pour obtenir l’indépendance de son pays de ladite Éthiopie. Trop compliqué, donc.
Pourtant, la guerre au Tigray n’est pas moins compréhensible que les autres conflits armés qui se frayent un chemin plus large dans les gros titres français ou européens. Elle condense même des dynamiques politiques rencontrées si souvent aux XXe et XXIe siècles dans ces contrées. Le politiste Jean-François Bayart les a résumées sous la forme d’une triangulation souvent productrice de violence : émergence du fait national sur les ruines d’un empire, intégration des marchés à l’échelle internationale et normalisation du référent identitaire comme mode d’inscription des sujets dans le monde[1].
Dans ce cadre général se jouent des luttes idéologiques et stratégiques entre des segments des élites qui se connaissent souvent très bien, pour assurer leur hégémonie dans un contexte de libéralisat