écologie

Penser la scénographie dans un monde fini

Scénographe, Artiste, chercheur

Trop souvent à usage unique, mis à la benne comme déchet industriel banal, les décors de spectacles ou d’expositions sont encore peu ou mal stockés et rarement réemployés. Pourtant, face à l’urgence climatique, de nombreuses initiatives de scénographes voient le jour qui visent une transformation des modes de production et encouragent une nécessaire « écophanie ».

Si l’on considère l’ensemble du cycle de la vie matérielle d’un spectacle, la grande majorité des scénographies a aujourd’hui une fin de vie encore bien peu poétique. À usage unique, bennés comme déchet industriel banal ou non valorisés après l’exploitation, les décors sont encore peu ou mal stockés et rarement réemployés. On peut espérer que ces usages changent grâce à la prise de conscience collective du gâchis que cela constitue. Il reste vrai qu’il est encore difficile de mettre en place une circularité des décors et des matières qui permette d’en limiter la mise au rebut. Au manque de temps et d’outils, s’ajoutent de vraies difficultés juridiques et de sécurité, qui imposent une actualisation des normes. Ressourceries de matières, expérimentations dans les ateliers de construction, réseaux de professionnel·les de l’écoscénographie… nombreuses sont aujourd’hui les initiatives cherchant à mettre en œuvre une transformation des modes de production.

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L’attention écologique du secteur s’exprime aussi par des modes de création portés par les scénographes et les metteur·es en scène : expérimentation directe (principe de scénographie de plateau), utilisation de matières non normées, attention au vivant non-humain et au non vivant. Ces pratiques de travail et de collaboration supposent un ralentissement du rythme de production et témoignent d’une forme d’économie de moyens salutaire. De nombreuses créatrices et de nombreux créateurs ont déjà des pratiques attentives à la matière scénographique et à son devenir, et accompagnent le renouvellement de notre regard de spectateur·ice à l’heure de l’augmentation de notre conscience écologique.

La présence, visible ou invisible, de l’écologie dans la scénographie de théâtre est un sujet passionnant car il noue des enjeux techniques, esthétiques et politiques autour de l’ensemble des acteur·ices d’un spectacle, jusqu’au/à la spectateur·ice. Pour interroger la multiplicité de ces enjeux, nous entreprenons depuis un an d’


[1] Voir : The Shift Project, Rapport final « Décarbonons la culture », novembre 2021, p. 9-10.

[2] Julie Sermon, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants, Paris, éditions B42, 2021, p. 34.

[3] Quim Roy, « La scénographie relocalisée. La profession, l’enseignement et l’engagement au cœur d’une crise d’identité », Études théâtrales, 2012/2-3 (N° 54-55), p. 179-185.

[4] Dans son rapport final, le Shift Project note que, dans le cas d’un festival en centre-ville ou dans le cas d’une salle de taille moyenne en périphérie, le transport des œuvres représente 2/5 pour l’un (p. 67), et pour l’autre (p. 74) les 2/3 de l’impact carbone global. Voir : The Shift Project, Rapport final « Décarbonons la culture », novembre 2021.

[5] Ibid. p.71

[6] Ibid. p.81

[7] Sandrine Dubouilh, « Quelle méthodologie pour une « culture de l’espace » ? », Études théâtrales, 2012/2-3 (N° 54-55), p. 277-283.

[8] Wendy Arons et Theresa J. May, Readings in Performance and EcologyNew York/Londres, Palgrave/Macmillan, 2012, cité chez Julie Sermon, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants, Paris, éditions B42, 2021, p. 45.

[9] Voir Anna Lowenhaupt Tsing, “La vie plus qu’humaine”, Terrestres, 26/05/2019, ainsi que Feral Atlas. The More-Than-Human Anthropocene, Anna L. Tsing, Jennifer Deger, Alder Keleman Saxena et Feifei Zhou (ed.), Stanford University Press, 2021.

[10] Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique éditions, 2008, p. 33.

[11] Gilbert Simondon, « Psychosociologie de la technicité » (1960-1961), Sur la technique, Paris, PUF, 2014, p.25-129.

[12] Émile de Visscher, Manufactures technophaniques, thèse de doctorat SACRe de l’Université PSL, préparée à l’EnsAD, sous la direction de Samuel Bianchini et Roger Malina, soutenue en novembre 2018.

[13] Vincent Beaubois, « Design et technophanie », Cahiers Simondon, n°5, 2013, p. 69.

[14] Vincent Beaubois, François-Xavier Ferrari, « L’éco-design ou l’épreuve de l’invisible écologique », Sciences du design, n°11, mai

Annabel Vergne

Scénographe, Enseignante à l'École des Arts Décoratifs de Paris

Quentin Rioual

Artiste, chercheur, Enseignant de dramaturgie et d’histoire de la scénographie à l’École des Arts Décoratifs de Paris

Notes

[1] Voir : The Shift Project, Rapport final « Décarbonons la culture », novembre 2021, p. 9-10.

[2] Julie Sermon, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants, Paris, éditions B42, 2021, p. 34.

[3] Quim Roy, « La scénographie relocalisée. La profession, l’enseignement et l’engagement au cœur d’une crise d’identité », Études théâtrales, 2012/2-3 (N° 54-55), p. 179-185.

[4] Dans son rapport final, le Shift Project note que, dans le cas d’un festival en centre-ville ou dans le cas d’une salle de taille moyenne en périphérie, le transport des œuvres représente 2/5 pour l’un (p. 67), et pour l’autre (p. 74) les 2/3 de l’impact carbone global. Voir : The Shift Project, Rapport final « Décarbonons la culture », novembre 2021.

[5] Ibid. p.71

[6] Ibid. p.81

[7] Sandrine Dubouilh, « Quelle méthodologie pour une « culture de l’espace » ? », Études théâtrales, 2012/2-3 (N° 54-55), p. 277-283.

[8] Wendy Arons et Theresa J. May, Readings in Performance and EcologyNew York/Londres, Palgrave/Macmillan, 2012, cité chez Julie Sermon, Morts ou vifs. Pour une écologie des arts vivants, Paris, éditions B42, 2021, p. 45.

[9] Voir Anna Lowenhaupt Tsing, “La vie plus qu’humaine”, Terrestres, 26/05/2019, ainsi que Feral Atlas. The More-Than-Human Anthropocene, Anna L. Tsing, Jennifer Deger, Alder Keleman Saxena et Feifei Zhou (ed.), Stanford University Press, 2021.

[10] Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique éditions, 2008, p. 33.

[11] Gilbert Simondon, « Psychosociologie de la technicité » (1960-1961), Sur la technique, Paris, PUF, 2014, p.25-129.

[12] Émile de Visscher, Manufactures technophaniques, thèse de doctorat SACRe de l’Université PSL, préparée à l’EnsAD, sous la direction de Samuel Bianchini et Roger Malina, soutenue en novembre 2018.

[13] Vincent Beaubois, « Design et technophanie », Cahiers Simondon, n°5, 2013, p. 69.

[14] Vincent Beaubois, François-Xavier Ferrari, « L’éco-design ou l’épreuve de l’invisible écologique », Sciences du design, n°11, mai