Lecteur ou lectaire ?
On parle beaucoup des lecteurs. On se soucie d’eux, de comment ils lisent, combien, sur quels supports, et quoi, et pourquoi. On s’inquiète aussi de leur âge, de leur genre (lectrices ou lecteurs), de leur origine, de leur futur, de leur disparition annoncée, de leur réinvention ou renaissance. On cherche les moyens de les soutenir ou de les réveiller lorsqu’on croit les voir faiblir ou renoncer, par exemple en déclarant, comme le faisait Emmanuel Macron en 2021, que la lecture serait la « grande cause nationale » pour l’année à venir [1].

Et l’on imagine alors, pour mobiliser des lecteurs que l’on suppose en perte de motivation, des incitations en forme de compétition sportive, « des initiatives » et « des défis » en forme de « concours de lecture à voix haute » : le président français rendait un vibrant hommage à François Busnel, animateur et producteur de l’émission littéraire hebdomadaire « La grande librairie » sur France 5, émission qui propose depuis 2019 un grand concours intitulé « Si on lisait à voix haute », en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse.
Bref, les lecteurs sont l’objet de toutes les attentions, auscultations et spectacularisations, notamment télévisuelles. Mais celles et ceux dont on ne parle jamais, ce sont les lectaires.
Et pour cause : on a beau chercher dans tous les dictionnaires possibles, leur nom n’y figure pas. Le français n’a pas d’équivalent pour l’anglais readee, couramment employé dans le lexique du tarot pour désigner celle ou celui à qui on lit les cartes. Plus rarement, le terme est attesté comme signifiant le destinataire de la lecture en général. On en trouve une occurrence dans ce sens sous la plume de l’historien américain William Hickling Prescott, qui souffrait de graves troubles de la vision et devait avoir recours à un lecteur pour pouvoir lire — c’est-à-dire écouter lire — les documents nécessaires à ses recherches sur l’histoire de l’Espagne. À son biographe, il confiait au