Le zéro déchet, c’est pour quand ?
Si le plastique peut parfois souffrir de son image de « camelote », ses propriétés (légèreté, flexibilité, résistance thermique ou électrique, par exemple) et sa facilité de mise en œuvre en font un matériau de choix pour de nombreuses applications de la vie quotidienne, aussi bien pour les secteurs de l’emballage alimentaire, de la santé, de la construction ou du transport. Ces quatre secteurs représentent aujourd’hui plus de 75 % de la consommation des matières plastiques à l’échelle européenne, et 83 % de la production de déchets.
Une prise de conscience à petits pas
De l’omniprésence du plastique dans nos pratiques quotidiennes de consommation, ont résulté des pollutions qu’on ne peut désormais plus ignorer (dans les gyres océaniques, dans l’estomac des oiseaux d’îles isolées, voire dans l’air de hauts sommets européens[1]). La prise de conscience des risques associés à l’usage de ces matériaux pour la santé et la biosphère a depuis été progressive, sans pour autant que la courbe des déchets issus des plastiques ne s’inverse. Au contraire, même si plusieurs mouvements invitant à reconsidérer l’usage de ces matériaux (ZeroWaste – bien que non uniquement dédié au plastique, #breakfreefromplastic, etc.) ont émergé ces dernières années, le zéro déchet reste un horizon très lointain.
L’émergence de concepts tels que l’économie circulaire, ou la récente parution du rapport « ReShaping Plastics »[2], forment ainsi de nouveaux cadres d’appréhension de notre dépendance à un ensemble de flux matériels dont les conséquences sur les ressources, la biosphère et le climat se font de plus en plus pressantes. On comprend dès lors que le développement de filières de recyclage est un impératif écologique, notamment dans l’industrie. Malgré cela, certains secteurs (comme l’emballage, le transport et la construction, que nous allons développer) éprouvent des difficultés et/ou n’accélèrent pas le développement du recyclage des matières plastiques qu’ils utilisent.
L’emballage – point noir du recyclage
Intéressons-nous dans un premier temps aux emballages plastiques venant directement en contact avec le produit alimentaire, appelés également emballages primaires. Leur conception, comme c’est le cas pour les films souples d’opercules, doit répondre à un cahier des charges strict : résistance mécanique, propriétés barrières aux gaz, migration[3] limitée ; mais aussi apporter des informations aux consommateurs, ce qui nécessite une impression. Une seule matière plastique ne peut actuellement répondre à l’ensemble de ces obligations techniques et réglementaires. La solution passe alors par la fabrication de films multicouches, constitués de matières plastiques de nature différentes, difficiles à séparer et donc à recycler.
En outre, lors de son utilisation, l’emballage sera potentiellement contaminé par l’aliment qu’il recouvre, par l’encre d’impression d’une de ses faces, ou encore par des sources de pollution extérieures provenant du contact avec d’autres matières, notamment dans les bacs de collecte des ordures ménagères. Pour un retour à l’alimentarité, il est donc nécessaire de s’assurer que la matière plastique recyclée soit exempte de tous produits chimiques, additifs ou tout autre résidu contaminant. Ces contraintes techniques font qu’aujourd’hui le recyclage de ce type d’emballage est économiquement peu viable, et conduit à ce que la grande majorité des films multicouches et multi-matériaux soit incinérée ou enfouie.
BTP et génie civil : le long chemin vers plus de circularité
Concernant le secteur de la construction, les matières plastiques sont également largement présentes, aussi bien pour l’adduction d’eau, les applications électriques, les revêtements de sols et également pour l’isolation thermique. Ce dernier point constitue le principal levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), et d’allègement de la facture énergétique du parc immobilier. Le secteur de la construction intègre déjà un fort pourcentage de matière recyclée dans la construction de logements neufs et constitue un des principaux exutoires de matières plastiques recyclées, car leurs applications ne sont pas soumises aux mêmes exigences que dans les autres secteurs en termes de caractéristiques mécaniques ou de rendus visuels. Toutefois, la principale difficulté pour le BTP concerne la gestion post-usage de ces divers matériaux lors de la démolition. Les matières plastiques se retrouvent mélangées avec d’autres matériaux (plâtre, béton, métaux…) difficilement séparables. Ils représentent alors une part très faible de l’ensemble des déchets, et disposent de propriétés très dégradées, suite à un temps d’utilisation très important.
Dès lors, leur recyclage, à proprement dit, s’avère périlleux. En effet, afin de respecter les normes actuelles de qualité, il est, là encore, nécessaire d’extraire tous les additifs de la matière. Or, malgré l’interdiction d’utiliser des composés halogénés (brome, chlore, etc.) à partir de la fin des années 1990, les gisements de déchets issus des démolitions ou des rénovations d’ampleur sont de piètre qualité et s’avèrent très peu rentables économiquement. Ainsi ce secteur présente un niveau de circularité très faible – 20 % – et une quasi-absence de réutilisation de matières plastiques issues de ces démolitions.
Des matériaux encore indispensables dans l’automobile
Dans le secteur des transports, et plus particulièrement celui de l’automobile, l’utilisation des matières plastiques est devenue incontournable en l’espace de quelques décennies. Ces matières apportent une versatilité et flexibilité dans le design des véhicules, mais également une intégration de différentes fonctions en une seule pièce, telle que la plastronique[4] pour divers éléments de sécurité. Et surtout, elles permettent un allégement global des véhicules. Sans l’utilisation de ces matériaux, le poids moyen des véhicules serait alourdi de 200 kg supplémentaires, et la consommation énergétique serait donc plus importante. Les matières plastiques entrent également dans la fabrication des batteries pour alimenter les véhicules électriques, destinés à remplacer rapidement les véhicules à moteur thermique. L’utilisation de polymères dans les batteries sécurisera certainement leurs usages, mais entraînera aussi une consommation accrue de matières plastiques dans l’automobile de l’ordre de 25 % d’ici 2050.
Comme pour les emballages alimentaires, la conception de tous ces éléments nécessite le respect de cahiers des charges complexes. Par exemple, les éléments montés sous le capot moteur devront résister à des températures élevées en présence d’hydrocarbures ; les éléments de carrosserie potentiellement peints[5] devront résister aux chocs, rayures et également aux effets du rayonnement solaire ; et enfin, les éléments de l’habitacle devront aussi résister à la chaleur et à l’usure. Tout cela entraîne l’usage de matières présentant des propriétés spécifiques, en quantités et formes très diverses. Cette diversité génère par conséquent des contraintes pour le recyclage de ces matériaux. En effet, pour obtenir des gisements aptes à être recyclés, il sera nécessaire de réaliser un tri qui ne peut s’envisager que par un démantèlement rigoureux des véhicules. Cette opération, pourtant indispensable, pour avoir un flux de matières propres, est difficilement mécanisable et donc (là encore) très peu rentable économiquement. Les matières plastiques issues des véhicules hors d’usage sont ainsi très peu recyclées ou réutilisées, seulement 9 %[6], le reste de ces matières étant incinéré ou enfoui.
Ne pas se contenter du recyclage
Le système économique européen actuel est ainsi essentiellement basé sur une économie linéaire présentant un taux de recyclage de 14 %, le reste étant principalement incinéré avec une récupération d’énergie et mis en décharge. Si rien n’est fait, les projections montrent une augmentation de 30 % de la consommation des matières plastiques d’ici 2050, ce qui accroît mécaniquement les émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour développer la circularité et tendre vers le zéro-déchet, d’ambitieuses politiques réglementaires doivent voir le jour, afin de contraindre l’industrie européenne à viser un taux de recyclage de 33 % d’ici 2030. Ces mesures devraient aboutir à une réduction d’émission de GES et de déchets, mais ne seront pas suffisantes pour atteindre les accords de Paris et de Glasgow sur le climat. On peut ainsi regretter la prégnance – toujours marquée – pour les solutions orientées vers la gestion des déchets, et notamment le recyclage (techno-solutionnisme), sans que les enjeux d’épuisement des ressources naturelles et de soutenabilité de nos habitudes de consommation ne soient réellement adressés à l’échelle collective et politique.
Si des solutions industrielles de traitement comme le recyclage permettent de réduire les besoins en matières premières vierges et de limiter les émissions de GES, leur impact ne peut enclencher de réelle transformation de l’économie sans réflexion sur la croissance – toujours exponentielle (la production est passée de 15 millions de tonnes en 1964 à 311 en 2014) – de l’usage du plastique à l’échelle mondiale[7] .
Les enjeux posés par les matières plastiques peuvent difficilement se réduire à un débat « pour » ou « contre » ces matériaux. Si certains usages permettent d’envisager des alternatives, dans d’autres la substitution est difficile voire impossible. Le zéro déchet ou le zéro plastique est ainsi à appréhender plus comme la volonté de développer une – nécessaire – réflexion politique et une action sur les fondements matériels et les enjeux écologiques des sociétés de consommation contemporaines. Pour atteindre cet objectif, il doit être partagé par l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, en mobilisant les entreprises (donneurs d’ordre, producteurs, transformateurs, collecteurs, recycleurs) et le consommateur, en lien avec une politique publique volontariste.
Une pluralité de solutions
La notion d’amont et d’aval par rapport à l’usage de la matière est souvent représentée par la règle des 3R : Réduire – Réutiliser – Recycler. En aval de l’usage, l’un des premiers leviers pour réduire la génération de déchets consiste à diminuer, voire éliminer certains emballages secondaires ou suremballages. Le deuxième levier consiste à favoriser le partage des ressources et le réemploi, comme c’est actuellement en train de se mettre en place aussi bien au niveau des consommateurs pour l’achat de denrées en vrac ou sous forme de recharge, qu’à l’échelle de l’industrie. Dans ce cas, le fournisseur met à disposition de ses clients des emballages souples ou rigides qu’il récupère après usage. Enfin, le recyclage, troisième levier pour atteindre les objectifs de zéro déchet, doit se penser dès la conception du produit en limitant, par exemple, le nombre de matériaux entrant dans sa composition, ou en facilitant son démantèlement. La qualité du tri peut aussi être nettement améliorée en sensibilisant encore plus les consommateurs, ainsi qu’en généralisant les technologies de marquage qui permettent de différencier facilement les matériaux sur les lignes des centres de tri, voire d’aller vers une traçabilité précise du produit et du fabricant associé. C’est indispensable puisque la qualité du tri conditionne la dernière étape du recyclage, celle de la régénération de la matière soit par recyclage mécanique soit par recyclage chimique.
Ainsi, il n’y a pas de solution unique pour diminuer la production de déchets de matières plastiques. Des solutions en amont de l’usage, comme la réutilisation, peuvent avoir un effet à court terme. D’autres, au contraire, telles que l’écoconception des matériaux du secteur du bâtiment, auront des effets à plus long terme. Mais le point central, qui constitue certainement le principal défi pour viser le zéro déchet, reste le volet économique. L’accroissement de la circularité des matières plastiques présente un coût qui doit être partagé par l’ensemble de la chaîne de valeur et surtout accompagné, voire imposé, par l’ensemble des instances politiques nationales et européennes à travers une politique incitative et législative commune.
Ce texte est publié en partenariat avec Pop’Sciences Mag #11 de l’Université de Lyon, sur le thème « Déplastifier le monde ».