De l’activisme écologiste dans les musées
«J’ai souvent l’impression de filmer une version réelle du film Don’t Look Up[1] », ironise Rich Felgate, le jeune réalisateur qui a récemment capté de nombreuses actions du collectif d’activistes écologistes Just Stop Oil[2]. En effet, de récentes études en psychologie environnementale mettent en évidence une forme de dissonance cognitive entre, d’une part, la disponibilité de l’information scientifique relative à la crise climatique et, d’autre part, le comportement des individus et les décisions des gouvernants[3]. Les actions de résistance civile qui prennent place autour d’œuvres d’art, depuis le début de l’été 2022, dans divers musées en Europe et en Australie, et qui se sont multipliées ces dernières semaines (on en compte jusqu’ici une vingtaine), ont pour objectif de pointer cette contradiction.
Nous proposons d’analyser la manière dont elles s’inscrivent dans une stratégie d’occupation du champ médiatique ayant vocation à créer une prise de conscience, et surtout à pousser les pouvoirs publics à sortir de leur léthargie. Il nous semble intéressant d’observer la manière dont le mode opératoire de ces activistes et la nouvelle interprétation des œuvres qui est formulée à cette occasion sont mis au service de l’explication de revendications concrètes, alignées sur les recommandations scientifiques visant à réduire les émissions de CO2 des États, qui sont explicitées lors de leurs opérations ou dans les communiqués de presse qui les accompagnent : fermeture d’exploitations d’énergies fossile, basculement vers une certaine quantité d’énergies renouvelables dans un délai donné.
Stratégie et organisation en réseau
Des cas isolés d’actions protestataires sur des d’œuvres d’art exposées dans des musées ont eu lieu à intervalles réguliers ces dernières décennies[4]. Uriel Landeros, l’artiste qui a utilisé une bombe de peinture et un pochoir pour apposer le dessin d’un taureau et le mot « Conquista » sur Femme au fauteuil rouge de Pablo Picasso, en 2012 à la Menil Collection de Houston, a par exemple présenté son geste comme une performance pour la justice sociale, un acte de défiance à portée politique[5]. En 1985, la célèbre Danaé de Rembrandt avait quant à elle été aspergée d’acide sulfurique et lacérée de coups de couteau au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. L’auteur de l’acte avait déclaré avoir agi dans le but de rappeler que son pays, la Lituanie, était sous occupation soviétique depuis quarante-cinq ans. Les auteur.ice.s de ces actes de vandalisme portés par des revendications politiques ou sociales ont fréquemment pris pour cible des œuvres renommées dont la dégradation était susceptible de « faire du bruit » et de donner de l’écho à un message, à l’instar du jeune homme qui, durant la même année 1985, a incendié une toile de Rubens représentant Philippe IV au Kunsthaus de Zürich, pour protester contre la pollution de l’environnement. Dans ces cas, le vandalisme d’art est utilisé comme un moyen d’attirer l’attention sur des causes, de donner de la visibilité à des idées. L’œuvre ciblée est alors l’instrument de leur action ; le geste de déprédation sert de véhicule à une expression qui semble n’avoir que peu de rapport avec l’œuvre elle-même.
Les cas qui nous occupent ici diffèrent de ceux-ci pour plusieurs raisons. D’abord, il ne nous semble pas approprié de parler de vandalisme, terme souvent utilisé dans les articles de presse qui leur sont consacrés : les activistes revendiquent la non-violence, n’ont pas recours à des gestes d’attaque, mettent le plus souvent en avant le choix d’œuvres protégées par des vitres et n’interviennent alors que sur leur pourtour (protections, socles, murs environnants), en prenant soin de ne pas porter atteinte à leur intégrité physique[6], bien que de récentes actions révèlent un phénomène susceptible d’évoluer. Deux actions du 18 novembre 2022 menées directement sur des œuvres en trois dimensions, la voiture de sport BMW Art Car peinte en 1979 par Andy Warhol (Milan, Ultima Generazione) et la sculpture équestre Horse and Rider (2014) de l’artiste contemporain Charles Ray (Paris, Dernière Rénovation, œuvre située dans l’espace public), laissent penser que le phénomène est mouvant et que les modes d’action de ces activistes peuvent varier. Ces œuvres ne sont en tout cas pas prises à partie de manière destructrice comme elles ont pu l’être dans l’histoire du vandalisme muséal (projection d’acide, incinération, lacérations, etc.). Ensuite, la sélection des œuvres apparaît pensée en fonction de l’attention médiatique que celles-ci sont susceptibles de générer, mais aussi de leur capacité à supporter un discours. Comme nous le verrons, les activistes entreprennent de les utiliser pour donner forme à leurs revendications écologistes.
Enfin, ces actions ne sont pas des initiatives individuelles ou des gestes isolés comme c’est souvent le cas des actes de vandalisme qui ont lieu dans des musées. Elles prennent place dans le cadre, plus large et organisé, de mouvements de résistance civile, et émanent pour la plupart du réseau international A22, une coalition de collectifs écologistes qui fonctionnent de concert, partageant une vision, une constitution, des stratégies et des modes opératoires communs.
Ces collectifs sont pour la plupart financés par le Climate Emergency Fund, et efficacement organisés autour de pôles dédiés à leurs différentes activités (communication, stratégie, etc.), mettant en œuvre un large panel d’actions militantes – par exemple blocage d’autoroutes ou interruption d’événement sportifs – dont la motivation commune est de générer une perturbation impossible à ignorer, de contraindre les citoyens à réagir et de faire pression sur les gouvernements pour que soient mises à l’agenda politique des mesures concrètes pour lutter contre le dérèglement climatique. Parmi ces actions, les opérations dans les musées bénéficient d’un retentissement médiatique particulièrement important.
Le musée comme lieu de mise en scène
« Ces actions dans les musées fonctionnent parce qu’elles sont contre-intuitives » , explique Michele Giuli, co-fondateur de A22 et d’Ultima Generazione, le collectif italien à l’initiative de plusieurs de ces opérations. Contrairement à des actions plus littérales, consistant par exemple à bloquer des infrastructures pétrolières, celles dans les musées ont pour fonction de briser plus globalement l’illusion d’un monde en harmonie. Elles visent à souligner que « le problème de la crise climatique, ce n’est pas seulement la crise climatique elle-même, c’est l’immoralité de nos sociétés dans leur ensemble, qui sont choquées par tout ce qui perturbe leur tranquillité un instant[7] ». Les réactions démesurées que provoquent ces actions sont en effet au cœur de la problématique que ces militant.e.s cherchent à soulever. Dans leurs discours, leur rhétorique s’appuie sur le décalage entre, d’une part, les sursauts de l’opinion publique face à l’atteinte sans véritable dommage à des œuvres, d’autre part, la torpeur générale face à la destruction, bien réelle, des conditions de vie sur terre[8]. La violence d’apparence de ces actions est pensée comme un moyen de mettre en avant la véritable violence tacite de nos sociétés : l’indifférence et l’inertie, voire le cynisme.
Les musées et les œuvres qu’ils ont pour mission de conserver sont ciblés pour créer de véritables mises en scène. Le cadre est propice à la production d’images marquantes, qui ont en effet rapidement fait le tour du monde. « Deux personnes, pas de budget, et des images dans la presse russe, c’est incroyable » , constate Michele Giuli. Le cadre d’exposition muséale sert de point de départ à la création d’un nouveau tableau, vivant, composé d’activistes postés aux côtés de la ou des œuvres choisies, face à l’objectif médiatique. Le tout est souvent agrémenté d’autres éléments – tags, banderoles, projections diverses, notamment alimentaires – permettant d’amplifier l’impact visuel de la scène.
Nous ne sommes pas habitué.e.s à de telles images, et pour cause, elles sont inédites. Jusqu’ici, lorsque des œuvres d’art ont été prises d’assaut dans des musées, les traces visuelles, quand elles existaient, étaient de piètre qualité, ne révélaient qu’une partie endommagée du tableau ou, dans de rares cas, l’œuvre et son assaillant.e, mais jamais à travers des prises de vues frontales et des procédés de captation si élaborés.
Le dispositif mis en place pour ces opérations autour d’œuvres exposées dans des musées est à cet égard intéressant à détailler. Il fait appel au registre de l’activisme écologiste non-violent, dont l’immobilisation et le blocage sont les modes opératoires classiques, mais à travers l’utilisation, jusqu’à récemment plutôt inhabituelle, de colle forte. Véritable signe de ralliement de l’activisme climatique actuel, c’est un support qui permet aux militant.e.s d’avoir le temps de produire des images, celles-là même qui ont circulé à travers le monde et participé à publiciser aussi largement leurs actions. Les personnels de sécurité n’osant pas « arracher » les activistes aux cadres, vitres ou murs auxquels ces dernièr.e.s se collent, c’est autant de temps supplémentaire qui est ainsi gagné pour procéder à une prise de parole devant l’œuvre et favoriser la captation de la scène.
Chaque élément de leur mode opératoire est orienté vers cet objectif de création et de diffusion d’images puissantes. Le choix des œuvres est réfléchi à la fois en fonction de ce qu’elles représentent socialement et d’une logique d’association établie avec ce qu’elles représentent figurativement, dans une forme de mise en abyme articulée avec le contenu du discours des militant.e.s.
Œuvres palimpsestes
Les peintures et sculptures choisies sont souvent de la main d’artistes célèbres, ou elles-mêmes très connues, et de ce fait présentes dans notre culture visuelle. Cette présence permet d’intensifier l’intérêt des journalistes qui vont relayer l’information ainsi que la réaction émotionnelle du public. Mais les activistes cherchent en outre à déranger les habitudes de regard portées sur ces œuvres en en proposant de nouvelles interprétations, au service de la publicisation de leurs revendications.
Les nouveaux récits ainsi élaborés à partir de ces œuvres peuvent être en lien direct avec le lieu représenté par l’artiste : c’est le cas avec plusieurs peintures de paysage, à travers lesquelles il s’agit de mettre en exergue l’impact de l’activité humaine sur le site en question. Les Pêchers en fleurs de Van Gogh, une huile sur toile sur le cadre de laquelle deux membres du collectif Just Stop Oil se sont collé une main le 30 juin 2022 à la Courtauld Gallery, à Londres, a été choisie pour porter l’attention sur le territoire de la Provence, particulièrement sujet aux sécheresses extrêmes du fait du dérèglement climatique. Ce paysage peint en 1889 est appréhendé dans le contexte de l’été 2022, après un début d’année au cours duquel les niveaux de précipitations ont été inférieurs de 45 % aux moyennes historiques et alors que des restrictions d’eau sont déjà en vigueur dans la région. Un autre paysage, une vue de la Tamise en bordure de Londres peinte par William Turner, Thomson’s Aeolian Harp (1809), représente quant à elle une zone menacée par la montée des eaux, comme l’a rappelé ce même collectif également à l’origine de l’opération du 31 juillet à la Manchester Art Gallery. À cette occasion, deux militants ont posé une main enduite de colle sur le cadre du tableau après avoir tagué le sol devant l’œuvre, y inscrivant à la peinture leur slogan « No New Oil » (« pas de nouveaux projets pétroliers » )[9].
La représentation de la nature champêtre est parfois convoquée de manière plus symbolique, comme avec La Charrette de foin (1821) de John Constable, autour de laquelle a eu lieu une opération le 4 juillet à la National Gallery de Londres. Avant de coller l’une de leurs mains à son cadre, deux activistes ont apposé sur la surface de l’œuvre une image imprimée du même paysage, actualisée sous une forme ravagée par les activités humaines tributaires des énergies fossiles (un avion passant dans le ciel, la rivière asséchée etc.) : dans cette vision contemporaine de la ruine, la dissolution n’advient pas sous l’effet du temps qui doucement s’étire, mais sous celui d’une activité humaine intensive, pressée et violente. Lorsque le collectif Ultima Generazione organise une opération autour du Printemps (1478-1482) de Sandro Botticelli, au musée des Offices à Florence le 22 juillet, la référence à la nature devient plus métaphorique : « J’avais sept ans lorsque, dans l’ennui d’une journée au musée, je me suis extasiée devant la beauté, l’harmonie et la paix véhiculées par ce tableau[10] » , commente Laura, l’une des activistes, après l’action consistant à se coller une main à la vitre protégeant le tableau. Cette fois, plus de référence à une quelconque activité humaine, mais l’énumération de valeurs suggérées par la luxuriance de la nature dans cette peinture allégorique. « Je considère qu’être ici aujourd’hui est une façon d’honorer ce premier amour pour l’art, en en faisant l’instrument d’un éveil de conscience collectif qui amène chacun.e à se rendre compte du pouvoir que nous avons lorsque nous décidons d’utiliser notre corps comme moyen de pression politique. »
Les deux activistes de Just Stop Oil qui ont tenté de se coller la main, le 11 novembre à Oslo, au Cri (1893) d’Edvard Munch, ont capitalisé sur le statut de cette œuvre symbole de l’angoisse existentielle humaine : « je crie quand les politiques ignorent la science » , « je crie en voyant la nature mourir sous mes yeux » ,« je crie quand les gens meurent dans des inondations, des vagues de chaleurs et de faim » ,« je crie de peur » , se sont-elles exclamées à tour de rôle. La Norvège est le premier pays producteur de pétrole en Europe. On perçoit parfois, dans ces gestes, l’idée d’une panique apocalyptique qui remet en cause les possibilités d’attachement aux biens terrestres, de quelque nature qu’ils soient.
Des appropriations symboliques
Apparaît également, chez ces militant.e.s qui semblent maîtriser les codes de la culture muséale, la démarche sous-jacente d’une désacralisation des œuvres au profit de la naissance d’une réflexion et d’un passage à l’action. L’une des activistes de l’opération autour du groupe sculpté du Laocoon, qui a eu lieu le 18 août au musée du Vatican, vient d’obtenir son diplôme en histoire de l’art. Rompant l’attendu culturel d’un regard passif porté sur ces œuvres dans les musées, elle met en avant une démarche sacrificielle, expliquant : « Je n’ai jamais voulu m’exposer à ce point, perturber le calme d’un musée et me coller au socle d’une œuvre, mais il reste très peu d’options pour se faire entendre par les institutions[11]» .
La résonance avec le thème même de l’œuvre est ici particulièrement importante. Cette copie antique romaine d’un original grec représente un épisode de la mythologie dans lequel Laocoon, prêtre de la ville de Troie, accompagné de ses deux fils, est tué par des serpents après qu’il a tenté en vain d’alerter les citoyens du danger qu’ils couraient en faisant entrer le cheval de Troie dans la cité. Ces serpents, envoyés par Poséidon pour réduire le prêtre au silence, assurent la victoire à l’autre camp. Pour Ultima Generazione, la crise climatique et la crise énergétique sont les facteurs historiques qui risquent de produire non pas la chute d’une ville, mais celle de la vie sur Terre. « Tout comme Laocoon pour l’Antiquité, les scientifiques et les militants mettent en garde leurs communautés contre les conséquences catastrophiques de l’absence d’action pour atténuer la crise climatique. Tout comme Laocoon […] les scientifiques et les militants ne sont pas écoutés ou, pire, sont réduits au silence de façon répétée par les gouvernements[12]» , précise le communiqué de presse d’Ultima Generazione. Les activistes s’approprient ce récit fondateur pour s’ériger à leur tour, cette fois non plus dans le mythe mais dans la réalité, en figures de la résistance civile.
Parmi ce corpus d’œuvres convoquées dans ces opérations, la sculpture Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913) d’Umberto Boccioni, œuvre phare du mouvement futuriste italien, au socle de laquelle des activistes d’Ultima Generazione ont collé leurs mains le 30 juillet au Museo del Novecento à Milan, constitue un cas particulier. Cette fois, à défaut d’une atteinte physique, un discours offensif est néanmoins porté envers ce que l’œuvre représente. Ce personnage sculpté, lancé à pleine vitesse vers le progrès, si bien que ses formes mêmes semblent se dissoudre dans son dynamisme, est une métaphore du mode de vie associé à la modernité industrielle et de l’idéologie prônée par ce mouvement artistique d’avant-garde. « Nous nous sommes collés au bronze de Boccioni parce que nous ne pouvons plus nous permettre de nous précipiter vers le progrès économique. Le progrès que les futuristes espéraient est le même qui nous mène maintenant vers l’extinction massive[13]» , est-il expliqué dans le communiqué de presse. À plus d’un siècle de distance, les activistes partagent avec les artistes futuristes des questionnements sur la projection dans le temps à venir, auxquels sont apportées des réponses antithétiques. En un siècle, avec l’affirmation de la condition anthropocène, c’est tout simplement la possibilité de se projeter vers un futur lointain qui a été annihilée.
En dehors de cette sculpture de Boccioni, il ressort généralement de l’ensemble de ces opérations un sincère attachement envers les œuvres sur lesquelles les activistes se fixent. « Lorsqu’on choisit une œuvre, c’est parce qu’elle nous plaît vraiment, qu’on l’aime vraiment. La plupart du temps, c’était l’une des œuvres favorites des personnes impliquées. Utiliser une œuvre d’art sans l’endommager pour alerter sur les dangers que court l’humanité : je pense que Van Gogh aurait été enthousiasmé par cette idée[14]» , explique Michele Giuli.
Qui pour faire parler les œuvres ?
Le 9 novembre, pendant la tenue de la COP27 en Égypte, les dirigeant.e.s de 92 musées ont publié une déclaration commune en réaction à ces actions pour alerter sur la fragilité des œuvres d’art que sous-estimeraient largement les militant.e.s[15]. Quelques jours plus tard, le Conseil international des musées (ICOM), a pris une position plus consensuelle, reconnaissant ces inquiétudes de conservation mais affirmant son souhait « que les musées soient considérés comme des alliés face à la menace commune du changement climatique. » Cette déclaration a intégré l’idée que les activistes ne tentent pas d’opposer culture et militantisme, mais d’entraîner dans un même mouvement l’ensemble de la société. Dans cette atmosphère tendue, l’ICOM s’interroge désormais avec lucidité sur le rôle que les musées ont à jouer « dans le façonnage et la création d’un avenir durable[16].» Cette réaction de l’ICOM est signifiante dans le sens ou l’un des enjeux des actions de résistance civile est d’obliger différents acteurs sociaux et institutions à se positionner. En l’occurrence, bien qu’elle ne les encourage pas, le fait que la seule organisation de professionnel.le.s de musées à l’échelle internationale ne se prononce pas en défaveur de ces actions, et ce malgré leur illégalité, est notable. Il sera intéressant de voir comment réagira la justice dans les pays concernés, qui sera aussi forcée, en cas de poursuites judiciaires, de prendre position sur la légitimité de ces opérations.
Pour ces militant.e.s, mettre l’intérieur des musées en mouvement, rafraîchir la lecture d’œuvres du passé, symboles de la transmission intergénérationnelle dont la possibilité même est mise en cause par la condition anthropocène, c’est peut-être aussi un moyen de manifester l’espoir qu’un temps long pourrait encore exister à l’avenir. « La culture au sein de laquelle le monde de l’art existe entraîne souvent des changements positifs dans la société[17]» , souligne Caspar Hughes, un activiste de Just Stop Oil.
On trouve fréquemment, dans la réception de ces actes, une rhétorique de l’instrumentalisation des œuvres qui se nourrit de l’idée que celles-ci auraient une vie esthétique propre : selon ce point de vue, leur convocation dans ces opérations irait contre leur nature d’objets beaux, seulement bons à être contemplés. D’autres discours semblent avancer que seuls les historien.ne.s de l’art ou conservat.eur.ice.s de musées seraient légitimes à livrer une lecture des œuvres d’art. Pourtant, ces mêmes œuvres sont régulièrement placées au cœur d’enjeux politiques et diplomatiques par les gouvernements. Les collections muséales sont habituellement l’un des instruments privilégiés de soft power des pouvoirs politiques, ceux-là même auxquels le message véhiculé par les opérations de résistance civile est adressé. Les actions qui viennent d’être décrites nous semblent être, pour leur part, des appropriations citoyennes de ce même patrimoine collectif, en faveur de problématiques politiques et sociales dont on ne peut que, encore une fois, souligner l’extrême urgence.