Rediffusion

La sociologie de la race n’est pas une importation états-unienne

Sociologue, Sociologue

C’est un lieu commun médiatique et politique : le concept de race, et l’attention qu’y portent les sciences sociales, viendraient tout droit des États-Unis. Rien n’est pourtant plus faux, et ce sont même des travaux français, et plus largement européens, qui ont bien souvent nourri les chercheuses et chercheurs outre-atlantique sur cette question. Rediffusion du 30 août

La « race » constitue à bien des égards un objet politique traumatique, dont la mise en mots se fait rarement sans heurts. Les multiples controverses qui ont émaillé l’espace public français ces dernières années suggèrent souvent que les études sur les inégalités ethno-raciales en France minimisent les différences qui distinguent le contexte français de la situation états-unienne – quand bien même ces études se fondent sur des enquêtes empiriques. Ces critiques se doublent souvent d’une accusation plus fondamentale encore : le cadre épistémique et théorique dans lesquels ces études s’inscrivent serait lui-même « importé » des États-Unis. En d’autres termes, ce cadre épistémique et théorique serait étranger à la tradition nationale et serait un artefact diffusé par l’avant-garde intellectuelle états-unienne.

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Ces critiques appellent plusieurs remarques. Premièrement, elles sous-entendent que ces études françaises partagent un même appareillage théorique, ce qui ignore la diversité des approches théoriques mobilisées dans l’espace scientifique français. Symétriquement, on peut aussi formuler un doute quant à la lecture qu’elles impliquent des débats théoriques outre-Atlantique : les ethnic and racial studies sont bien loin de constituer un monolithe et incluent au contraire des approches concurrentes. Deuxièmement, dans la mesure où elles font peu de cas du fait que les concepts maniés dans ces études sont appliqués à des enquêtes empiriques bien réelles, elles sous-entendent que la circulation globale des concepts est problématique en soi, quand bien même ils s’adosseraient à un travail de terrain ou à un recueil de données localisé. Troisièmement, elles vont bien souvent de pair avec des préoccupations politiques, dans la mesure où elles s’inquiètent d’une « mondialisation » du mouvement antiraciste qui serait guidé par son avant-garde états-unienne, prenant en exemple l’influence du mouvement Black Lives Matter. Quatrièmement, elles sont a minima simplific


[1] W. E. B. Du Bois, Les Noirs de Philadelphie : une étude sociale, trad. par Nicolas Martin-Breteau, Paris, La Découverte, 2019.

[2] Albert Memmi, Portrait du colonisé, Paris, Payot, 1973, p. 99.

[3] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004 (1961).

[4] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, Paris, Seuil, 1952.

[5] David Macey, Frantz Fanon, une vie, Paris, La Découverte, 2013.

[6] Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, Paris, La Découverte, 2011, p. 29.

[7] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, op. cit., p. 91.

[8] Voir l’analyse qu’en donnent Louis F Miron et Jonathan Xavier Inra, « Race as a Kind of Speech Act », dans N. K. Denzin (dir.), Cutural Studies : A Research Volume, Bingley, Emerald, 2000, p. 85‑107.

[9] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, op. cit., p. 187.

[10] Voir Macey, Frantz Fanon, une vie, op. cit.

[11] Michael Banton, The Idea of Race, London, Tavistock Publications, 1977.

[12] Frank Reeves, British Racial Discourse. A study of British political discourse about race and race-related matters, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.

[13] En ce sens, la racialisation implique la compréhension ou l’interprétation d’un phénomène selon le vocabulaire de la race. F. Reeves définit par exemple ce qu’il appelle la « racialisation du discours » comme « l’utilisation croissante de certains ou de l’ensemble des éléments suivants : les catégorisations raciales, les explications raciales, les évaluations raciales ou recommandations raciales », Reeves, op. cit., p. 174. Sauf mention contraire, les traductions sont celles des autrices.

[14] Reeves, British Racial Discourse, op. cit., p. 174.

[15] Michael Omi et Howard Winant, Racial Formation in the United States, New York, Routledge, 1986, p. 64.

[16] Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste, La Haye, Mouton, 1972.

[17] Éric Soriano, « “ …Comme le petit bout d’une communauté” », Journal des anthropologues, no 150‑151, 2017, p. 188.

[18] Ibid., p. 119.

[19]

Solène Brun

Sociologue, Chercheuse postdoctorante à l'Institut Convergences Migrations

Claire Cosquer

Sociologue, Chargée d'études à l'Institut Convergences Migrations

Notes

[1] W. E. B. Du Bois, Les Noirs de Philadelphie : une étude sociale, trad. par Nicolas Martin-Breteau, Paris, La Découverte, 2019.

[2] Albert Memmi, Portrait du colonisé, Paris, Payot, 1973, p. 99.

[3] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004 (1961).

[4] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, Paris, Seuil, 1952.

[5] David Macey, Frantz Fanon, une vie, Paris, La Découverte, 2013.

[6] Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne, Paris, La Découverte, 2011, p. 29.

[7] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, op. cit., p. 91.

[8] Voir l’analyse qu’en donnent Louis F Miron et Jonathan Xavier Inra, « Race as a Kind of Speech Act », dans N. K. Denzin (dir.), Cutural Studies : A Research Volume, Bingley, Emerald, 2000, p. 85‑107.

[9] Frantz Fanon, Peau noire, Masques blancs, op. cit., p. 187.

[10] Voir Macey, Frantz Fanon, une vie, op. cit.

[11] Michael Banton, The Idea of Race, London, Tavistock Publications, 1977.

[12] Frank Reeves, British Racial Discourse. A study of British political discourse about race and race-related matters, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.

[13] En ce sens, la racialisation implique la compréhension ou l’interprétation d’un phénomène selon le vocabulaire de la race. F. Reeves définit par exemple ce qu’il appelle la « racialisation du discours » comme « l’utilisation croissante de certains ou de l’ensemble des éléments suivants : les catégorisations raciales, les explications raciales, les évaluations raciales ou recommandations raciales », Reeves, op. cit., p. 174. Sauf mention contraire, les traductions sont celles des autrices.

[14] Reeves, British Racial Discourse, op. cit., p. 174.

[15] Michael Omi et Howard Winant, Racial Formation in the United States, New York, Routledge, 1986, p. 64.

[16] Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste, La Haye, Mouton, 1972.

[17] Éric Soriano, « “ …Comme le petit bout d’une communauté” », Journal des anthropologues, no 150‑151, 2017, p. 188.

[18] Ibid., p. 119.

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